Martine Aubry somme Manuel Valls de cesser ses critiques contre le PS ou de le quitter (lettre de Martine Aubry, réponse de Manuel Valls)

samedi 18 juillet 2009.
 

Face aux coups de boutoir répétés du député-maire socialiste Manuel Valls à l’encontre de son parti, la première secrétaire Martine Aubry a décidé de réagir par la manière forte, en envoyant lundi un courrier, que s’est procuré mardi Le Parisien, lui intimant de choisir son camp :

« Mon cher Manuel, s’il s’agit pour toi de tirer la sonnette d’alarme par rapport à un parti auquel tu tiens, alors tu dois cesser ces propos publics et apporter en notre sein tes idées et ton engagement. Si les propos que tu exprimes reflètent profondément ta pensée, alors tu dois en tirer pleinement les conséquences et quitter le Parti socialiste. »

...

Le député-maire socialiste a cependant répondu, par un courrier dont l’AFP a obtenu copie et qui a ensuite été envoyé à toutes les rédactions (alors même que son entourage, contacté par Rue89, déplorait que « Le Parisien ait eu connaissance de la lettre de Martine Aubry avant Manuel Valls lui-même »). Pas question pour lui de quitter le parti… ni de désarmer :

« A la lecture de ta lettre, je ne te cache pas ma profonde inquiétude sur ta conception très datée du parti. (…) Ma chère Martine, tu l’auras compris, je ne renoncerai donc jamais à l’ambition collective de définir un nouveau projet pour la gauche. (…)

Et puisque tu me sommes de donner une réponse claire à ton ultimatum, je t’informe que j’entends bien rester fidèle à mon poste, à ma famille politique et à mes valeurs. »

Autant dire que le bras de fer engagé entre les deux têtes d’affiche socialistes ne devrait pas prendre fin rapidement, tant les divergences demeurent fortes entre une Martine Aubry qui souhaite faire parler le PS d’une seule voix et un Manuel Valls qui veut jouer sa propre partition. Une stratégie qu’il a lancée au pas de course depuis maintenant plus d’un an.

La disparition du nom du Parti socialiste

La première banderille de la série est la plus symbolique. Pour lui donner plus de solennité encore, Manuel Valls l’a plantée dans un livre publié en avril 2008, « Pour en finir avec le vieux socialisme… et être enfin de gauche ! » (éd. Robert Laffont). Le député-maire d’Evry dit espérer pouvoir « tout remettre en cause », jusqu’au nom du parti :

« Parti socialiste, c’est daté. Ça ne signifie plus rien. Le socialisme, ça a été une merveilleuse idée, une splendide utopie. Mais c’était une utopie inventée contre le capitalisme du XIXe siècle ! »

L’idée est devenue une marotte pour le représentant de l’aile droite du PS, trop heureux d’être parvenu à secouer le Landerneau socialiste. « Tu donnes l’impression d’attendre, voire d’espérer la fin du Parti socialiste », lui confie également Martine Aubry dans sa missive.

Depuis, pas une interview ou presque ne paraît sans mention du projet. Encore dans Paris Match, début juillet, il réfléchissait à haute voix au nom qu’il souhaiterait pour une nouvelle formation politique, réunissant socialistes, écologistes et centristes :

« On ne peut pas abandonner le mot “gauche” tant il correspond à un choix différent de celui proposé par la droite. Il peut s’appeler le “Parti démocrate de gauche” ou le “Parti de la gauche démocratique”. Mais on peut aussi être imaginatif… J’y travaille et, à terme, on fera peut-être appel à des agences. »

Les accusations contre Aubry et le parti

Si Manuel Valls estime que la lettre de Martine Aubry « est du jamais vu », il est également l’auteur d’une première dans l’histoire socialiste : menacer de porter plainte contre son propre parti. Porte-parole de Ségolène Royal lors de l’élection du premier secrétaire à l’automne dernier, il a violemment pris à parti ses adversaires aubrystes au soir de la victoire de la maire de Lille :

« Je le dis aux militants qui sont là et qui croient, et ils ont bien raison, en la victoire de Ségolène Royal : (…) on veut nous voler cette victoire. (…) Qui plus est, de nombreux observateurs de notre candidate contestent les résultats tels qu’ils ont été proclamés dans la fédération du Nord. (…) Ce qui est en train de se passer ce soir est scandaleux. »

...

La déclaration de candidature aux primaires

Autre sujet et autre opposition à Martine Aubry. En se déclarant favorable à des primaires à gauche, Manuel Valls prend le contrepied de la première secrétaire peu favorable à ce processus de désignation du candidat du parti et de toute la gauche à la présidentielle de 2012.

Mais il ne s’est pas arrêté là et a profité de l’affichage de sa position pour aller plus loin encore, en annonçant le premier sa candidature à ces primaires, dès la mi-juin dans les colonnes du Journal du dimanche :

« Si on ne me prouve pas qu’un autre socialiste peut mieux que moi porter le renouvellement -et pour l’instant, je ne vois pas- je porterai ces idées moi-même. Clairement, je serai candidat à des primaires pour représenter les socialistes et la gauche à la présidentielle. »

Martine Aubry peut continuer à fustiger les « initiatives solitaires », Manuel Valls n’en a cure. Au point d’avoir également créé son propre courant, « A gauche, besoin d’optimisme », après avoir refusé d’intégrer la direction du Parti socialiste. La fondation de ce courant, pour l’heure peu étoffé, lui a donné une nouvelle occasion de faire connaître ses ambitions :

« Il ne serait pas absurde et il serait même logique -et quel beau projet pour la gauche- que ce soit le maire d’Evry qui succède en 2012 -en 2012 parce que je ne veux pas attendre 2017- au maire de Neuilly ! »

L’adhésion à des idées sarkozystes

L’adversaire est désormais tout désigné : Nicolas Sarkozy. Mais ce n’est pas à l’homme que Manuel Valls en veut, c’est sa fonction qu’il rêve donc d’occuper. Concernant la politique de l’actuel chef de l’Etat, il critique à l’inverse « l’anti-sarkozysme » ambiant chez ses camarades socialistes… qui le lui rendent bien, en regrettant les points d’accord entre le maire d’Evry et l’ex-édile de Neuilly.

Tous deux aiment les positions hétéroclites, quitte à bousculer jusqu’au sein de leur propre camp. Sujets de prédilection : la laïcité et la sécurité. Les deux hommes se sont accordés depuis longtemps sur la nécessité de réformer la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Plus récemment, alors que la proposition de loi de lutte contre les bandes venait d’être déposée par celui qui était alors député-maire de Nice, Christian Estrosi, et se retrouvait aussitôt sous le feu roulant des socialistes, le député-maire d’Evry affirmait tranquillement qu’il « voterait en faveur ».

Il n’en faut pas plus pour que Manuel Valls soit continuellement soupçonné d’être au bord de céder aux sirènes de l’ouverture sarkozyste. Ce qu’il ne manque pas d’alimenter, notamment en participant ce 14 juillet à la garden-party de l’Elysée.

S’il reconnaît avoir été sollicité, il a cependant toujours refusé de participer à cette « entreprise de débauchage ». Au lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy, il confiait déjà à Rue89 la nécessité démocratique d’avoir « une force de droite et une force de gauche clairement identifiées ».

Par Julien Martin le 15 juillet 2009

Source : http://www.rue89.com

2 Lettre de Martine Aubry à Manuel Valls (parue dans Le Parisien

Cher Manuel,

Notre Parti a besoin de chacun des socialistes pour contribuer à son redressement après des années difficiles ponctuées par trois échecs à la présidentielle et un Congrès de Reims difficile qui a laissé une image déplorable de notre parti.

Au congrès, les militants nous ont demandé avec force de jouer notre rôle de principal parti d’opposition, c’est-à-dire de dénoncer ce qui nous apparaît injuste, ou inefficace, et de proposer une alternative qu’attend aujourd’hui notre pays. Ils nous ont aussi demandé de nous réunir et de parler d’une même voix.

Depuis cette date, et personne ne le conteste, le parti s’est remis au travail, s’est ouvert sur la société et a su porter des propositions fortes. Nos parlementaires mènent depuis plusieurs mois un travail coordonné et tout à fait remarquable.

Par ailleurs, j’ai mis toute mon énergie à rassembler les diverses sensibilités dans le respect de la ligne politique définie par le Congrès de Reims, aujourd’hui présentes dans la direction. Je suis d’ailleurs heureuse des relations de confiance qui me permettent de débattre en toute sérénité avec Ségolène Royal.

A la suite des élections européennes, nous avons défini notre feuille de route, en nous attelant à deux tâches essentielles : la préparation du projet et le rassemblement de la Gauche.

Le séminaire de Marcoussis a constitué le coup d’envoi de ce travail collectif. Chacun a reconnu la qualité du débat qui nous a rassemblés.

Par ailleurs, après de nombreux contacts avec nos partenaires de la gauche, j’ai écrit à chacun d’entre eux pour engager une nouvelle démarche de rassemblement, fondée sur les idées comme sur la stratégie politique.

Force est de constater que ce travail collectif pour moderniser nos idées est contrarié chaque jour par la cacophonie d’expressions isolées -d’ailleurs le plus souvent contradictoires-, et par des initiatives solitaires prenant le contrepied des positions de notre Parti.

S’engager dans un Parti, c’est un acte d’adhésion à des valeurs et des pratiques communes, mais c’est aussi - qui plus est dans un parti démocratique comme le nôtre-, accepter de débattre en son sein, d’y apporter ses idées et ses réflexions, et lorsque la décision est prise de la respecter et la porter dans l’opinion.

On ne peut utiliser un Parti pour obtenir des mandats et des succès, en s’appuyant sur la force et la légitimité d’une organisation collective, et s’en affranchir pour exister dans les médias à des fins de promotion personnelle. On n’appartient pas à un Parti pour s’en servir mais pour le servir. Les militants et même les français exigent de nous du travail, du courage et des idées.

Il n’y a pas un jour, mon cher Manuel, où tu n’expliques aux médias que notre parti est en crise profonde, qu’il va disparaître et qu’il ne mérite pas de se redresser. Paradoxalement, tu t’appuies sur nos règles collectives pour appeler à « l’insurrection militante ».

Les militants, eux, ont un souhait, c’est que tu mettes ton intelligence et ton engagement au service du Parti et donc des Français. Tes propos, loin d’apporter une solution, portent atteinte à tous les militants et à tous les dirigeants, qui aujourd’hui travaillent à retrouver la confiance avec nos concitoyens.

Tu donnes l’impression d’attendre, voire d’espérer la fin du Parti Socialiste. Mon cher Manuel, s’il s’agit pour toi de tirer la sonnette d’alarme par rapport à un Parti auquel tu tiens, alors tu dois cesser ces propos publics et apporter en notre sein tes idées et ton engagement. Si les propos que tu exprimes, reflètent profondément ta pensée, alors tu dois en tirer pleinement les conséquences et quitter le Parti Socialiste.

Je ne peux, en tant que première secrétaire, accepter qu’il soit porté atteinte au travail que nous avons le devoir de réaliser. La discipline n’est pas la police des idées, mais la condition de la cohésion et de la réussite d’une équipe.

C’est un moment de vérité. Je te demande de me faire part de ton choix dans les jours qui viennent, et d’en assumer toutes les conséquences pour l’avenir.

Avec toute mon amitié.

Martine AUBRY

3) Réponse de Manuel Valls

« Chère Martine,

J’ai lu avec étonnement la lettre dans laquelle tu m’adresses tes amitiés et m’enjoins… de me taire ou de quitter le Parti socialiste.

J’ai conscience des difficultés de ton rôle et de sa part ingrate. Personne n’a oublié les circonstances exceptionnelles de notre dernier congrès. Beaucoup de forces se sont alors mobilisées pour étouffer l’indispensable démarche de rénovation. Après le désastre électoral du 7 juin dernier, je ne suis pas étonné que ces mêmes forces te demandent aujourd’hui d’imposer le silence dans les rangs.

Je suis surpris, par contre, par la méthode. Pourquoi avoir transmis simultanément ta lettre à la rédaction du Parisien ? L’objectif affiché par ton courrier n’est-il pas de clore l’ensemble de nos débats à l’abri des huis clos ? L’urgence était-elle donc telle qu’il ait fallu reprendre la plume pour masquer le cuisant échec d’une récente initiative épistolaire à l’attention des autres partis de gauche ?

Mais je veux te répondre sur l’essentiel. Tu me soupçonnes « d’espérer la fin du Parti socialiste ». J’y suis rentré à l’âge de 18 ans et j’y consacre ma vie. Sans jamais renoncer à mes convictions, j’y ai exercé de multiples responsabilités et j’en suis l’élu depuis 1986. Et contrairement à certains qui s’érigent aujourd’hui en grands sages, j’ai toujours respecté, quoiqu’il ait pu m’en coûter, le choix des militants et les règles de vote de notre groupe parlementaire dont je suis aussi l’un des animateurs.

Ton procès d’intention relève donc, au mieux, de la désinformation et, au pire, de l’insulte. S’il y a une chose dont j’espère la fin, ce n’est pas celle d’une formation qui garde encore l’honneur d’être le pivot de la gauche ; c’est celle d’une machine à perdre qui détruit l’espoir mis par nos concitoyens dans le progrès social.

Tu affirmes que notre « parti s’est remis au travail, s’est ouvert sur la société et a su porter des propositions fortes » depuis le congrès de Reims. Malgré un dévouement et une bonne volonté que je ne mets pas en cause, force est pourtant de constater, pour l’heure, que ce travail et ces propositions n’ont pas convaincu nos compatriotes.

Je suis frappé que tu n’évoques nulle part, dans ta lettre, les résultats du scrutin européen. Pourquoi un tel déni ? Faut-il que le désaveu ait été si cruel pour justifier un tel refoulement ? Il est vain de m’accuser qu’« il n’y a pas un jour, où [je] n’explique […] que notre parti est en crise profonde ». La crise de notre parti – qui est aussi celle de la social-démocratie européenne – n’est pas de mon fait ; elle a été établie et sanctionnée par nos concitoyens eux-mêmes lors de toutes les échéances électorales majeures depuis 2002.

Et si cette vérité dérange notre confort et nos certitudes, je prendrai toujours le risque, pour ma part – et avec bien d’autres – de l’assumer. Quel que soit le prix à payer, je ne me ferai pas le silencieux complice de l’aveuglement. C’est un choix éthique qui relève de ma conscience et qui donne sens à mon engagement. Je te confirme donc que mes propos reflètent bien ma pensée !

Il est également malhonnête de sous-entendre que je réserve ma parole « aux médias ». Avec une égale constance, je m’exprime à l’intérieur comme à l’extérieur de notre parti. Et si cette parole rencontre davantage d’écho hors les murs, c’est qu’elle entre en résonance avec des aspirations et des interrogations que l’on voudrait bien étouffer.

Ma chère Martine, tu l’auras compris, je ne renoncerai donc jamais à l’ambition collective de définir un nouveau projet pour la gauche – d’autant que je suis convaincu que nous pouvons gagner en 2012 et battre Nicolas Sarkozy. A travers mes ouvrages et mon expression publique, sans vouloir imposer une vérité, je me place toujours sur le terrain des idées et des propositions : école, retraites, sécurité, culture, entreprise, nouvelle ville…

C’est cet effort que j’ai souhaité amplifier – et je tiens à t’adresser, une nouvelle fois, mon intervention faite le mois dernier au Théâtre Michel ; et c’est cet effort que j’entends bien poursuivre au cours des prochaines années en m’appuyant sur l’expérience de nos élus locaux, la générosité de nos militants, l’attente de nos sympathisants et aussi sur les travaux de nos clubs de réflexions.

Oui, pour redonner une envie de gauche, je pense qu’il faut transformer profondément notre formation, l’ouvrir réellement à la société et être clair sur des alliances qui ne doivent pas être déterminées au cas par cas.

L’idée selon laquelle un parti peut être à lui-seul porteur d’un projet clé en main pour transformer la société est aujourd’hui dépassée. Son action est désormais plus horizontale que verticale à l’instar de la révolution Internet. La mise en place de primaires s’inscrit parfaitement dans cette évolution.

A la lecture de ta lettre, je ne te cache pas ma profonde inquiétude sur ta conception très datée du parti. Pour la gauche, l’urgence est de redessiner, avec les français, une perspective qui suscite, à nouveau, l’espérance. En partant de notre traditionnelle ligne de clivage avec la droite – l’appréciation différente de l’origine des inégalités entre les hommes – je m’efforcerai, avec tous ceux qui voudront en faire l’effort, de jeter les bases d’un nouveau modèle de développement pour le XXIe siècle.

Donner à chaque individu les moyens de son autonomie devrait devenir la nouvelle frontière de la gauche. « Je me révolte donc nous sommes » disait Albert Camus. Par cette formule, il établissait une dialectique originale entre l’individuel et le collectif. J’espère que tu pourras aussi y voir, comme moi, une source d’encouragement et d’espoir.

Et puisque tu me sommes de donner une réponse claire à ton ultimatum, je t’informe que j’entends bien rester fidèle à mon poste, à ma famille politique et à mes valeurs.

Avec toute mon amitié,

Manuel Valls »


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