Dérives sécuritaires et désobéissance : La désobéissance affirme que la liberté est au coeur de l’homme. Qu’elle est l’esprit même de l’humanité, de la raison

mardi 18 août 2009.
 

Au XVIe siècle, Étienne de la Boétie n’a que dix-huit ans quand il écrit son Discours de la servitude volontaire, nourri de sa connaissance de l’histoire et de ses lectures des auteurs grecs et latins. L’ouvrage est audacieux : « Soyez résolus à ne plus servir et vous serez libres », écrit-il. Plus loin il évoque ceux qui, « quand la liberté serait entièrement perdue et bannie de ce monde, l’imaginent et la sentent en leur esprit et la savourent ». En 1793, l’article 35 de la Constitution de la république allait jusqu’au droit à l’insurrection : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Ce que l’on appelle aujourd’hui la désobéissance civile n’est pas une idée neuve. Mais c’est l’Américain David Thoreau qui invente le terme en 1849, dans un essai intitulé Résistance au gouvernement civil, écrit pour justifier son refus de payer une taxe destinée à financer la guerre au Mexique.

Mais nous sommes en démocratie ! Certes, mais il y a dans l’air du temps d’inquiétants fantômes et des dérives insidieuses. Que se passe-t-il en France, quand on arrête un enfant de huit ans pour un excès de vitesse en vélo ? Quand on en emmène deux autres, encore plus jeunes, au commissariat pour un vol présumé ? Quand on poursuit à Paris un vendeur de l’Humanité, aujourd’hui heureusement relaxé, quand un lycéen est sommé de s’engager par écrit à ne participer à aucune action collective, pour être admis à revenir dans son établissement l’an prochain ? Quand « Sarkozy je te vois » ou « Casse toi pauv ’con » sont passibles de poursuites ? Que se passe-t-il quand un magistrat à Bordeaux, neuf ans après les faits et alors qu’un non-lieu avait été requis, décide de traîner en justice les organisateurs d’une exposition à la qualité reconnue ? Que se passe-t-il quand un employé dénonce son collègue, comme dans la banque que nous évoquons ci-contre ? Quand un psychiatre est mis en cause ? Quand une assistante sociale décide, de son propre chef, d’avertir la police qu’un sans-papiers s’est présenté à elle. La Boétie disait encore que l’affaiblissement des libertés dans le coeur des hommes vient aussi de l’habitude.

Tous ces faits ont en commun qu’ils ne sont pas des attaques brutales contre les libertés. Il ne s’agit pas de violence d’État, de répression caractérisée. Mais ils ont ceci d’inquiétant, précisément, qu’ils sont quotidiens et que ceux qui en sont à l’origine n’ont reçu aucune consigne, aucun ordre, mais ont intégré, oui, disons le mot, une forme de servitude. Elle ne vient pas de rien. Cet air du temps vient des vilaines marmites des démagogies sécuritaires, de la chasse aux sans-papiers, des charges de police contre des manifestants, d’une certaine vision de l’ordre qui n’est pas autre que le maintien du désordre existant. Violemment inégalitaire, dur aux pauvres et aux plus démunis, aux immigrés, aux sans-droits, aux salariés.

La désobéissance affirme que la liberté est au coeur de l’homme. Qu’elle est l’esprit même de l’humanité, de la raison. Elle a eu ses heures éblouissantes et tragiques. Dans la résistance, dans la lutte contre les guerres coloniales. Elle a aujourd’hui des formes diverses dont les plus évidentes sont dans l’éducation nationale ou dans un réseau comme Éducation sans frontières. Elle ne se contredit pas avec des luttes plus larges, sociales et politiques pour de véritables changements, pour des majorités ouvrant de réelles alternatives à la politique actuelle. La démocratie n’est pas une figure de cire. Elle ne vit que dans l’action pour changer le cours des choses.

Maurice Ulrich


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