« Caritas in veritate » Les peuples, le XXIe siècle, le capitalisme et l’encyclique

dimanche 26 juillet 2009.
 

Les encycliques papales sont assez rares. Benoît XVI vient d’en publier une en ce mois de juillet 2009. Les milieux catholiques ont analysé ce texte, de l’OPUS DEI à GOLIAS ; ils monopolisent toutes les premières pages du web concernant « Caritas in veritate » que je traduirais par La charité dans la vérité.

Ci-dessous, le point de vue d’Antoine Casanova, historien, adhérent du PCF, venu du christianisme progressiste.

L’historien Antoine Casanova revient sur l’encyclique « Caritas in veritate » publiée début juillet, dans laquelle Benoît XVI critique les dérives financières du capitalisme mondialisé.

Les interventions des papes, en forme généralement copieuse et substantielle d’encycliques, ont lieu - et cela est particulièrement le cas après la Révolution française et depuis deux cents ans - au moment de tournants et de processus majeurs des rapports sociaux (1). Cela avec, en ces cheminements, à la fois de fortes continuités et de réelles différences dans ces interventions de la papauté, sommet de la hiérarchie catholique (2). Je ne peux en examiner ici trop sommairement que quelques aspects.

À ces divers égards, la connaissance raisonnée des thèmes, des contenus, de la démarche d’une encyclique est importante pour tout citoyen qui veut mieux voir, juger, agir dans le monde où il vit. Il en va d’autant plus ainsi pour « Caritas in veritate » (« l’Amour dans la vérité »). Benoît XVI, élu en 2005, y présente (3) aux clercs, aux catholiques, à tous les hommes de bonne volonté, aux peuples, les orientations qui sont celles de la papauté pour travailler au « développement intégral dans la charité et dans la vérité ». Il le fait en juin 2009 en un cours du monde où la dominance des firmes transnationales, marchandes, industrielles et financières, au long des années 2000, a généré, puis fait se développer, en voies multiformes, la plus immense et la plus profonde crise de l’histoire du capitalisme.

Les relations entre l’évolution économique, sociale, politique, l’attitude de Benoît XVI depuis 2005, et l’encyclique, ses contenus, sont très complexes.

Dans les dernières décennies, on a vu se réaliser de plus en plus une sorte de « socialisation » et de « collectivisation » immenses et protéiformes… pour le compte des maîtres du capitalisme. En même temps la politique des firmes et des grands États a eu (et a) comme « esprit des lois » le dogme de la « concurrence libre et non faussée », avec les privatisations, la déréglementation, et, en tout cela, une énorme pression sur les salaires et le pouvoir d’achat.

1. - La pauvreté de millions de personnes sur terre n’est pas seulement ici conséquence mais cause et racine de la crise ; notamment avec le recours par les firmes à « l’économie hypothécaire », aux « titrisations » bancaires.

2. - Ces désastreuses réalités ne pouvaient et ne peuvent être mises en échec par les peuples qu’en associant solidarité concrète d’un côté, et de l’autre (c’est là une autre forme de l’amour des autres) partage élargi des luttes et mobilisations sociales et civiques pour changer les choses. Non en les opposant totalement, comme l’a fait Benoît XVI, notamment dans l’encyclique « Deus caritas est ». Il a critiqué avec hauteur en ce sens les activités d’associations catholiques, françaises ou allemandes par exemple. Il fait en revanche l’éloge de l’exemplarité du Parti populaire européen en « matière sociale » et « valeurs chrétiennes ».

3. - C’est avec le développement de la crise et des souffrances en 2007 et 2008, avec l’extension des résistances, que des actions, des prises de positions des initiatives novatrices vont commencer à changer les choses parmi les peuples et les travailleurs. Il en va ainsi, parmi les chrétiens ; notamment des catholiques, des prêtres, des évêques, des jésuites (dans les Caraïbes, à Haïti par exemple), en Amérique latine, aux États-Unis, en Europe, et, plus largement, dans les pays du Sud. Leurs voix se sont fait entendre jusqu’au Vatican, avec le document du conseil pontifical Justice et Paix qui, en novembre 2008, demande (4) un nouveau pacte pour refonder le système financier international. L’explosion en chaîne, à l’automne 2008, de grands organismes bancaires, les vacillements et fermetures dans les firmes industrielles, vont conduire au constat incontournable (notamment au Vatican) de la profondeur aiguë de la crise ; et aussi à la nécessité urgente de réfléchir, de réagir, et d’agir. En octobre 2008 au synode des évêques, Benoît XVI déclare : « Aujourd’hui, nous le voyons bien avec la faillite des grandes banques, l’argent n’est rien. » Il prend à la fois la mesure de la crise tout en esquissant peut-être en partie la problématique de l’encyclique sociale encore alors en attente.

Son texte présente des dimensions de grande complexité et, tout à la fois, contrastées, éclairantes, discutables et aptes à nourrir de riches débats. Il faudra y revenir. Je n’en évoquerai ici que quelques traits essentiels.

1. - « Caritas in veritate » observe, note, relève à maintes reprises en divers endroits de ses pages les caractères nocifs du cours dominant des choses pour les peuples, les personnes, les nations, la planète, sous l’impact des coups portés aux réseaux de protection sociale, aux syndicats (n°s 24 et 25), aux droits et besoins fondamentaux à l’alimentation et à l’eau (n° 27). L’encyclique ne met pas directement en cause et en lumière la logique politique et économique globale qui a caractérisé la marche du capitalisme à la fin du XXe siècle et dans les années 2000 (5).

En même temps, le texte pontifical cerne avec force (n° 40) des « déviances et dysfonctionnements » majeurs de la « dynamique économique et politique » dominante : prédominance considérablement accrue des capitaux actionnaires « d’extrême mobilité » ; emploi (porteur de grands dommages) des ressources financières pour les « profits à court terme » et/ou « spéculatifs » ; délocalisations, oublis par les firmes du respect de leurs obligations et responsabilités envers les territoires, les travailleurs, les régions, les nations. Ces « dysfonctionnements appellent à tous niveaux de profonds changements » (n° 40).

2. - Soulignons avec force la portée et l’intérêt tout à la fois économiques, sociaux, politiques et anthropologiques de ce document, dimensions nourries sans doute à la fois par l’expérience de la crise et par celle du mouvement des capacités neuves de l’humanité.

a. - Tout d’abord (voir chapitre III, notamment n°s 36, 41, 42), celle de l’affirmation de la nécessité et de la possibilité de créer et de développer au niveau de la recherche, de la production, de la culture, des types d’échanges marchands transformés et des rapports « interconnectés », de coopération, de mutualisation, zonales, planétaires. Rapports fondés non plus sur le seul profit (6) considéré en lui-même et pour lui-même ; mais plutôt et de plus en plus sur « une mondialisation de l’humanité en termes de relationnalité, de communion, de partage » (fin du chapitre III). Cela dans le cadre d’une « confrontation réciproque », d’une « hybridation », entre le marché capitaliste actuel et ces neuves formes de rapports. Perspective souhaitable, réaliste et profondément éclairante ; mais qui, en même temps et par ailleurs, pour vivre et croître, appelle (et ici « Caritas in veritate » n’en dit rien) et exige de très larges mobilisations actives et créatives, pour imposer de progressives mais fortes transformations.

b. - Comment enfin (et nous sommes ici encore sur un terrain à la fois économique, social, politique et anthropologique) entendre et construire la réforme des Nations unies et l’autorité internationale que la papauté estime nécessaire pour orienter, faire vivre cette mondialisation de coordination et de partage ?

L’encyclique ne présente d’autre voie que celle d’un système de « subsidiarité ». Il y a là un concept venu de l’univers féodal des hiérarchies de seigneurs à princes, et empereur. Concept repris et remanié dans le cadre de la structure actuelle de l’Union européenne ; laquelle structure (comme la Cour constitutionnelle allemande vient de le dire avec force), met sa subordination, et tutelle les parlements et les peuples associés mais souverains dans l’Union.

Pourquoi ne pas travailler pour l’ONU, à une autorité internationale démocratique résultant de l’association de peuples libres et égaux ? Une instance où les décisions et orientations concernant la coordination mondiale se fait non au niveau du G8 ou du G20, mais au niveau du G192, celle de l’Assemblée générale des nations de la planète ? Pourquoi, dans ces réflexions sur la crise, ses raisons, ses issues, l’encyclique ne dit-elle rien des initiatives du G192, de l’Assemblée générale de l’ONU, de la commission indépendante présidée par Joseph Stiglitz qui travaille sur la crise ?

Portons, pour finir, un regard sur un aspect de cette encyclique qui n’est pas de moindre importance. À maintes reprises Benoît XVI (notamment dans le chapitre III) reprend à nouveau, comme en d’autres textes (tels « Deus amor est », ou plus encore « Spe Salvi »), des affirmations qui, à bien des égards, prolongent des thèmes idéologico-théologiques venus de l’univers historique seigneurial, patriarcal, monarchique des siècles de l’Ancien Régime, et attribués par la papauté à sa conception du christianisme.

Cette fois, le pape déclare ainsi que sans la foi en Dieu (telle qu’il l’entend) les êtres humains peuvent « constituer des communautés humaines » mais point « construire et développer la fraternité entre eux y compris dans les rapports sociaux ». Il en va de même en ses railleries méprisantes sur les droits sexuels « somptuaires » ou « jouissifs ». Il n’est pourtant (il faut le dire avec force), je crois, aucune idéologie (aucune idéologie théologique comprise) qui puisse détenir seule, en soi et pour soi, la capacité à penser, agir et construire dans le sens de la démocratie, du bonheur commun, de l’amour des autres, de la fraternité dans la société.

Les critères essentiels précieux, menacés, mais sans cesse ressourcés (« flamme tourmentée » disait Jaurès), critères dont les principes, inaliénables, imprescriptibles, qui s’imposent à tous aujourd’hui sur la planète, sont ceux de l’égalité des droits ; et, sur cette base de la liberté de pensée (religieuse ou athée), dans toutes les dimensions de l’existence.

Seule la séparation de l’État, de ses services publics (ce qui est autre chose que « l’espace public », des paroles, des débats, etc.), des religions comme aussi de toute philosophie officielle quelle qu’elle soit, peut fonder, garantir, au moins au niveau des principes politiques, la démocratie, l’égalité des droits, la liberté de conscience, de penser, de vie, d’expression, liées à ces modes pluralistes de penser et de s’associer.

Les principes, cette « flamme tourmentée », sont selon des voies très différentes de plus en plus devenus composantes imprescriptibles du patrimoine commun de l’humanité entière. Les précieux pas en avant opérés sur ce terrain dans son mouvement complexe et contrasté par le concile Vatican II font partie de ce vivant patrimoine.

C’est aussi tout cela, je crois, qu’ont signifié, dans les premiers mois de 2009, les réactions massives qui ont eu lieu en regard de l’extrême droite intégriste, fascisante, de l’évêque négationniste Williamson, et par ailleurs de « l’excommunication thérapeutique » (termes de l’archevêché de Recife) de la petite fille brésilienne. Réactions claires de rejet, de refus, envers l’attitude d’une forte partie (point de tous) des responsables de Vatican, qui ont été aussi (notamment en Allemagne, en France) celles de la majorité des citoyens, des chrétiens, y compris des catholiques.

NOTES

(1) L’Encyclique « Quanta Cura »

de Pie IX (1864) après d’autres textes mais avec une plus rude roideur l’égalité des droits, la suppression

du système social d’Ancien Régime, les Lumières, la liberté de pensée,

la souveraineté populaire, la séparation des religions et de l’État… C’est à cela que Pie IX impute l’esprit de profit du capitalisme, puis

le développement de monstrueuses aberrations : le socialisme et

le communisme.

(2) Rappelons seulement que la forte inscription de Jean-Paul II dans la démarche historique des papes depuis le XIXe siècle n’a exclu par ailleurs

en rien de courageuses initiatives : notamment contre la violation du droit international, du rôle de l’ONU dans les guerres d’Irak et des Balkans. Ou encore dans la dénonciation claire et sans euphémisme, notamment

le 15 janvier 1998 à Cuba, du néolibéralisme qui, avec ses « centres de pouvoir, fait peser sur les peuples un poids insupportable. Parfois

des programmes économiques insoutenables sont imposés pour recevoir une aide, avec comme résultat que les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres ».

(3) Texte complet dans « la Croix », mercredi 8 juillet 2009.

(4) Voir la présentation du document dans « la Croix » du 24 novembre 2008.

(5) Le profit capitaliste est ainsi déclaré « utile » s’il est orienté vers

un but ayant un « sens » (n° 21). Mais « s’il est produit de façon mauvaise », il « risque d’engendrer la pauvreté

et de détruire les richesses » (voir aussi n° 22).

(6) Voir chapitre V, n° 57 à n° 67 (notamment n° 57 et n° 67).


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