Jacques René Hébert « Je suis le véritable Père Duchesne, foutre  ! »

dimanche 28 juillet 2019.
 

Figure radicale de la Révolution française, l’auteur 
d’un des plus célèbres pamphlets de la Révolution française choisit le mode burlesque pour délivrer les « bons avis » 
et « grande colère » du père Duchesne.

« Il est bougrement en ­colère aujourd’hui le père Duchesne.  » Entre 1790 et 1794, pendant la Révolution française, ce cri lancé dans les rues de Paris par les sans-culottes annonçait une lecture, souvent publique, des derniers méfaits relatés dans le journal de ces «  bougres  » d’aristocrates  ! Son auteur, Jacques René Hébert, n’est pas aussi célèbre que le pseudonyme auquel il s’identifie pour rédiger son journal, le Père Duchesne, le plus célèbre des périodiques de la presse pamphlétaire.

D’apparence, Jacques René ­Hébert est à peu près l’antithèse du héros de son journal. Dans une biographie rédigée en 1859 (1), Charles Brunet le décrit comme un «  homme petit, mince, d’une figure assez jolie et d’une propreté parfaite. Il avait la parole facile et s’exprimait avec correction  ». Né à Alençon le 15 novembre 1757, celui qui devient un des porte-parole des sans-culottes est issu d’une famille de la petite bourgeoisie. Le jeune Hébert poursuit des études au collège quand une sombre affaire de règlement de comptes entre deux familles éclate en ville. Le meurtrier est reconnu, mais, à la faveur d’un ­arrangement, la justice ne le condamne pas. Révolté, Hébert ­rédige alors un pamphlet qui dénonce une justice à deux vitesses  : «  L’assassinat est donc toléré par une juridiction qui venait de faire pendre deux malheureux pour avoir volé 40 sous dans un tronc d’église.  » Poursuivi pour la rédaction de ce texte, il est condamné au bannissement, quitte Alençon et débarque à Paris, en 1780.

Quand éclate la Révolution française, le jeune homme vit d’expédients, pas toujours honnêtement gagnés, et laisse passer le premier train  : la prise de la Bastille. Mais il ne manque pas le second. L’appel à l’expression de toutes les doléances lancées dans le mouvement des États généraux voit fleurir toutes sortes de brochures. La liberté de la presse s’impose. Hébert s’investit au sein du club des Cordeliers, un des foyers d’agitation politique de Paris, aux côtés d’autres noms illustres, ­Marat, Camille Desmoulins, Danton. ­Hébert s’engage alors plus hardiment. ­Retourné par la fuite du roi à Varennes, il signe la «  pétition du champ de Mars  », qui réclame la ­déchéance du monarque.

Au début de 1790, l’abbé Maury, chef de la droite contre-révolutionnaire, devient la cible de nombreux articles. Jacques René Hébert essaye sa plume contre celui qui, écrit-il, défend que la corruption des aristocrates «  n’est point un mal et que la perte de l’innocence est nulle pour ceux qui sont faits pour en imposer par leur rang au reste de la terre  » (2). Le style du Père Duchesne est là, en filigrane  : utiliser le mode burlesque pour désigner les ennemis de la Révolution. Hébert pousse l’avantage et décide d’éditer un journal qui s’adresse plus directement aux sans-culottes. Et parle leur langage.

En septembre 1790, paraît le premier numéro du Père Duchesne. Le journaliste emprunte la gouaille de ce personnage imaginaire, né dans les foires du XVIIIe siècle, représentant l’homme du peuple qui, dans un style familier, s’empresse de ­dénoncer les injustices. Beaucoup de Père ­Duchesne circulent, mais très vite, celui d’Hébert s’impose. «  Je suis le véritable père Duchesne, foutre  !  » porte à sa une l’imprimé. Rédigé à la première personne, le journal se ­résume souvent à un long article, semé de jurons. En octobre 1790, camouflé derrière son ­personnage fictif, Hébert raconte l’arrivée de «  quelques ­messieurs et dames  » au milieu de paysans qui vendangent, et écrit  : «  Nom d’un foutre  ! que je dis, est-ce que tous ces aristocrates vont déjà nous attrister  ? C’est dit  : je m’en vais si ces bougres-là restent avec nous.  »

Alors qu’il jouit d’une influence grandissante au sein du club des Cordeliers, Hébert est un acteur de premier plan de l’insurrection du 10 août 1792 qui provoque la chute du roi, cet «  ivrogne Capet  » tonne son père Duchesne. Il devient substitut du procureur de la Commune de Paris, dont le comité général est élu par les citoyens des 48 sections de la ville. C’est à ce titre, le 15 octobre 1793, qu’il intervient lors du procès de Marie-Antoinette, qu’il accuse alors d’inceste sur la personne de son fils. Va-t-il trop loin  ? Le public s’émeut de cette saillie, Robespierre la déplore.

Après la chute du roi, le divorce grandit entre les républicains modérés que sont les Girondins et la gauche de l’Assemblée, les Montagnards. Parmi eux, une frange radicale, les «  enragés  », mené par Jacques Roux et que soutient Hébert, réclament une accélération des réformes contre la vie chère et l’instauration d’une «  terreur légale  » contre les «  accapareurs  ». Les Girondins sont encore majoritaires. Ils nomment une «  commission des douze  » chargée d’enquêter sur les arrêtés de la Commune. Marat, puis Hébert sont arrêtés. Les sans-culottes de Paris menacent d’une insurrection imminente. Hébert est libéré. Le père Duchesne entre alors dans une «  grande colère  » contre les ­Girondins  : «  Nous avons détruit la royauté, et foutre, nous laissons s’élever à la place une autre tyrannie plus odieuse encore.  »

Hébert participe aussi activement au mouvement de déchristianisation qui marque la fin de l’année 1793. Il parle de Jésus comme d’un «  pauvre sans-culotte  ». Le fossé se creuse, aussi, avec les robespierristes. Le 29 octobre, au club des Cordeliers, il réclame l’accélération du procès des Girondins, accuse les Montagnards, dont ­Robespierre, d’être «  des endormeurs  » et en appelle à l’insurrection du peuple. Les sans-culottes, cette fois-ci, ne le suivent pas. D’accusateurs, Hébert et ses amis deviennent suspects. Dix jours plus tard, ils sont arrêtés. Puis jugés et condamnés à mort par le tribunal révolutionnaire. Le 24 mars 1794, le rideau tombe. Après avoir publié 385 numéros d’un pamphlet dont la forme fut largement inspirée par le théâtre, Jacques René Hébert quitte la scène, laissant dans son sillage un ­terrain d’étude pour les historiens, à partir des «  bons avis  » et des «  grandes colères  » du Père Duchesne.

(1) Charles Brunet, le Père Duchesne d’Hébert, accessible sur Gallica, 
la bibliothèque numérique de la BNF.

(2) Ouzi Elyada, «  La mise au pilori 
de l’abbé Maury  : imaginaire comique et mythe de l’antihéros pendant la Révolution française  », Annales historiques de la Révolution française, juillet-septembre 2005.

Paule Masson


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