Le druide, ce philosophe

mercredi 15 juin 2016.
Source : Le Monde
 

Ce village est une cour d’école. Il y a le souffre-douleur, le barde Assurancetourix. Il y a le querelleur, le forgeron Cétautomatix qui cherche constamment noise au poissonnier, Ordralfabétix. Il y a les bons, les mauvais élèves. Et, bien sûr, il y a le druide Panoramix - le vieux sage. La IIIe République est passée par là. Dans son Histoire de France populaire publiée en 1875, l’historien et homme politique Henri Martin (1810-1883) "représente les druides comme des philosophes-précepteurs", écrit Nicolas Rouvière dans Astérix ou la parodie des identités (Flammarion, 2008). "Dans l’enseignement laïc de la IIIe République, ajoute-t-il, (...) le druide atténue la barbarie de la religion (...), il est dépositaire du savoir, ancêtre de l’instituteur."

Plus que celle du magicien barbare, c’est donc cette figure du druide en enseignant laïc que choisiront Goscinny et Uderzo. Les druides, précurseurs de l’école républicaine ? Voire. Le poète romain Lucain (39-65), les décrit comme habitant "au fond des forêts dans des bois reculés" et, surtout, leur reproche leurs "rites barbares et leur sinistre coutume des sacrifices" humains. Quant à l’historien Suétone (70-130 environ), il fustige la sauvagerie de leur "religion atroce". Mais il est vrai que tous deux écrivent à une époque où le druidisme est, déjà, entré dans la légende...

Qui croire ? Pour l’historien et archéologue Jean-Louis Brunaux (CNRS), les druides ne sont ni de gentils professeurs ni de sombres sacrificateurs sanguinaires. Il faut, selon lui, voir le druidisme comme une école philosophique "à la grecque". Un mouvement qui aurait littéralement régné sur la Gaule entre le Ve et IIe siècle avant notre ère, avant de décliner pour disparaître tout à fait au tournant de l’ère chrétienne. Ainsi, lorsque César (100-44 avant J.-C.) part en campagne, en 58 avant notre ère, "il ne reste déjà presque plus de druides en Gaule, les derniers se font discrets et ne sont que des produits de l’institution pédagogique", assure Jean-Louis Brunaux.

Chose étrange. Car César est aussi l’auteur de l’Antiquité qui s’étend le plus sur les druides et le druidisme. Dans La Guerre des Gaules -, le récit, mené tambour battant, de ses opérations diplomatiques et militaires entre le Rhin et l’Atlantique - il consacre au sujet quelques pages des plus célèbres. Mais à aucun moment de son récit il ne narre la moindre rencontre avec l’un de ces mystérieux mages gaulois. "En réalité, la majorité des passages ethnographiques de La Guerre des Gaules, sont recopiés de l’oeuvre de Poseidonios d’Apamée (135-51 avant J.-C.), un philosophe grec qui a voyagé en Gaule une quarantaine d’années avant César", explique M. Brunaux. Injustement méconnu, Poseidonios d’Apamée est une puissance intellectuelle. Il est scolarque (directeur) de l’école du Portique. Il est astronome et géomètre. Il est peut-être l’inventeur du prodigieux mécanisme d’Anticythère, machine antique permettant de calculer les positions astronomiques. Il est géographe et historien. Il est grand reporter.

Que diable va-t-il faire dans la lointaine Gaule ? "Il cherche l’Age d’or, il veut observer un monde dans lequel les gouvernements sont encore tenus par les savants, comme cela avait été le cas quelques siècles avant lui, lorsque des écoles philosophiques administraient des cités grecques, dit Jean-Louis Brunaux. C’est, entre autres choses, ce qu’il pense trouver en Gaule avec les druides." Un siècle et demi avant Lucain et Suétone, les druides gaulois pouvaient donc aussi être considérés par les philosophes grecs comme des alter ego.

Hélas ! Le récit complet de Poseidonios est perdu ; il faut se fier à ce qu’en laissent filtrer les auteurs ultérieurs qui l’ont lu, dont César. Les druides, écrit le proconsul, "apprennent par coeur, à ce qu’on dit, un grand nombre de vers : aussi certains demeurent-ils vingt ans à leur école. Ils estiment que la religion interdit de confier ces cours à l’écriture, alors que pour le reste en général, pour les comptes publics et privés ils utilisent l’alphabet grec". César ajoute qu’ils "discutent abondamment sur les astres et leur mouvement, sur la grandeur du monde et de la Terre, sur la nature des choses" ; qu’ils cherchent à "établir que les âmes ne meurent pas mais passent après la mort d’un corps dans un autre".

Il les crédite donc d’un pouvoir politique exorbitant, excédant de loin la seule régulation des pratiques religieuses. Ces druides, "commandés par un chef unique" et qui se réunissent une fois l’an, "dans un lieu consacré, au pays des Carnutes" (près d’Orléans), arbitrent les différends entre particuliers ou entre la soixantaine de peuples qui forment cette mosaïque bigarrée qu’est alors la Gaule. "Si un particulier ou un Etat ne défère pas à leur décision, ils lui interdisent les sacrifices et cette peine est chez eux la plus grave de toutes", précise César. Mais tout cela était bel et bien révolu au moment de la Guerre des Gaules : sinon, César se serait inquiété des druides lors de ses opérations. Il n’en a rien été.

Croyance dans la transmigration des âmes, prohibition de l’écriture pour conserver le secret de l’enseignement, initiation, pratique de l’astronomie, implication dans la vie de la cité : pour un esprit grec formé à la philosophie, ce qui est décrit là ne peut faire penser qu’à la doctrine du grand Pythagore (vers 580-497 avant J.-C.), le "premier philosophe". "De nombreux auteurs grecs se sont interrogés sur ces ressemblances frappantes entre les idées pythagoriciennes et celles des druides, explique Jean-Louis Brunaux. Certains se sont même demandés si Pythagore n’avait pas été instruit par des druides !" L’inverse est vrai, comme en témoigne saint Hippolyte qui, au IIe siècle de notre ère, écrit que "les druides chez les Celtes se sont appliqués avec un zèle particulier à la philosophie de Pythagore". De même, Ammien Marcellin (vers 330-395), dernier grand auteur païen de l’Antiquité, dit à propos des druides qu’ils sont "formés en communautés dont les statuts étaient l’oeuvre de Pythagore" et que leur esprit est "toujours tendu vers les questions les plus abstraites et les plus ardues de la métaphysique".

Stéphane Foucart


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message