Les Etats semblent impuissants face au retour des bonus (article du Monde)

jeudi 13 août 2009.
 

Vous avez aimé Bernard Madoff ? Vous allez adorer Andrew Hall. A la différence du premier, le second ne dort pas en prison. Il a le choix entre sa résidence du Connecticut (dont le style néoclassique rappelle la Maison Blanche) ou son château vieux de 1 000 ans (mais retapé) en Allemagne. A la différence du premier, le second n’a escroqué personne. Ce trader vedette de la banque américaine Citigroup est juste en train de réclamer à son employeur les 100 millions de dollars auxquels il a droit en raison des profits qu’il lui a fait gagner en 2008.

Premier problème : M. Hall et ses collègues ont beau être géniaux, Citigroup a eu besoin de 45 milliards de dollars d’argent public pour passer l’hiver. C’est donc le contribuable, désormais premier actionnaire de la banque, qui va devoir mettre la main à la poche pour que Citi puisse honorer ses engagements. Deuxième problème : c’est en spéculant sur le pétrole que M. Hall a gagné des millions. Sans qu’ils le sachent, c’est donc en partie « grâce » à lui, que les Américains ont payé en 2008 leur essence un peu plus cher que ce que la loi de l’offre et de la demande aurait exigé.

L’affaire Andrew Hall est un concentré de la situation à laquelle sont actuellement confrontés les gouvernements occidentaux. Tous, peu ou prou, doivent gérer les mêmes contradictions. D’un côté, justifier devant les électeurs les milliards utilisés pour sauver les banques et, de l’autre, ne pas mettre les établissements financiers en difficulté face à leurs concurrents. Les déclarations au Monde de Christine Lagarde sont révélatrices. La ministre de l’économie compare les bonus à une drogue dont il faut se « désintoxiquer », mais elle prend soin de dire que la solution ne peut qu’être internationale et que son rôle consiste surtout à ce que les banques ouvrent à nouveau les vannes du crédit.

A écouter les dirigeants politiques, le G20 devrait parvenir assez facilement à un accord pour encadrer les rémunérations de la finance. Mais leurs déclarations sont trompeuses. Si le communiqué publié à l’issue du sommet de Londres est resté vague sur le sujet, c’est bien parce que, derrière les déclarations de principe, chacun cherche à préserver ses intérêts.

Gordon Brown n’entend pas nuire à la City en acceptant une régulation trop contraignante. Nicolas Sarkozy dénonce les banquiers, mais, étrangement, la France n’a toujours pas rendu publiques les conventions qui lient le gouvernement aux banques aidées et qui, en principe, comportent des clauses sur les rémunérations. De même, Christine Lagarde a demandé à la Banque de France un rapport sur les bonus « d’ici à la fin de l’année ». Pas avant. L’annonce récente par Nyse Euronext, la société privée qui gère notamment la Bourse de Paris, d’un transfert de salariés de Suresnes à Londres, rappelle que la concurrence intra-européenne reste rude.

Quant à Barack Obama, il doit composer avec le Congrès et les lobbies, vent debout contre la principale originalité de la réforme annoncée (mais toujours pas votée) de la régulation : la création d’une autorité de défense des consommateurs qui aurait son mot à dire sur les produits proposés par les banques.

On devrait en savoir plus sur la stratégie du gouvernement américain concernant les rémunérations le 13 août. C’est en principe ce jour-là que les sept entreprises américaines les plus aidées par l’Etat (dont Citigroup) doivent demander aux pouvoirs publics l’autorisation d’accorder ou non des bonus à leurs dirigeants. La partie ne va pas être facile pour le gouvernement, déjà en passe d’être considéré comme « antibusiness ».

Pourtant, difficile de défendre les bonus. Le rapport publié à la fin du mois de juillet par le ministère de la justice de l’Etat de New York est un véritable réquisitoire. Chiffres à l’appui, sa conclusion est sans appel : « Quand les banques allaient bien, leurs salariés étaient bien payés. Quand les banques allaient mal, leurs salariés étaient bien payés. Et quand les banques allaient très mal, elles étaient aidées par les contribuables, et leurs employés étaient toujours bien payés. Les bonus et l’ensemble des indemnités n’ont pas varié de façon significative avec la diminution des profits. » En 2008, neuf banques ont accordé 33 milliards de dollars de bonus bien que leurs pertes aient atteint 88 milliards.

Alors que les dirigeants politiques voudraient lier les bonus aux performances à long terme, les banquiers jurent que « rien ne sera plus comme avant la crise », selon la formule de Baudouin Prot, directeur général de BNP Paribas. Est-ce si sûr ? Il y a quelques jours, Paul Krugman, Prix Nobel d’économie, notait dans le New York Times que les profits record (et donc les bonus record) de Goldman Sachs (3,4 milliards de dollars en un trimestre après une provision de 6 milliards pour les bonus) s’expliquaient en partie par les ordinateurs super-rapides de la banque, qui permettent de prendre de vitesse les autres investisseurs et d’acheter ou de vendre des actions en « une minuscule fraction de seconde avant que quiconque puisse réagir ».

Si les gouvernements ne sont pas unis et volontaristes sur le sujet, M. Prot aura raison : demain, rien ne sera plus comme avant. Ce sera pire.

LEMAITRE Frédéric

* Article paru dans le Monde, édition du 11.08.09


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