La prostitution en polémiques (Sandra INVERNIZZI)

lundi 12 décembre 2016.
 

La prostitution, vaste sujet de controverse, suscite les avis et les tendances politiques de tout bord. Elle est étroitement en lien avec la question du genre et des rapports de domination qui continuent à perdurer entre hommes et femmes (1) dans une société qui garde une bonne part de ses origines phallo-centrées. Il existe trois approches de traitement politique de la question de la prostitution. L’approche prohibitionniste, l’approche réglementariste et l’approche abolitionniste.

L’approche prohibitionniste

La politique prohibitionniste semble devenir, à juste titre, complètement obsolète dans la plupart des états dits progressistes. Ce n’est que dans certains états US, en Afrique du Nord et dans quelques pays d’Europe de l’Est que l’activité est purement et simplement interdite et son organisation entièrement réprimée. Au nom de la protection de l’ordre public et dans la plus pure hypocrisie puritaine - car les interdictions légales n’empêchent pas une tolérance dans les faits - les prostituées, les proxénètes et parfois aussi les clients sont poursuivis et pénalisés.

L’approche réglementariste

La seconde approche, dite réglementariste, représente tout de même une évolution dans les mentalités. Née de la prise de paroles de prostituées aux Etats-Unis qui revendiquaient la reconnaissance de leur activité comme profession et de leur droit à une dignité, les tenants de ce courant ont construit leur raisonnement sur l’existence de la prostitution comme fait de société inévitable et sur la nécessité de sortir les circuits de la clandestinité et des zones de non-droit social.

Or pour une grande partie des prostituées, si la démarche originelle semble louable et souhaitable, il n’en résulte pas moins que lorsque des processus d’encadrement sont mis en place, ceux-ci sont ignorés et contournés. Selon Geneviève Boutsen, auteure d’un mémoire à l’ULB sur la reconnaissance d’un statut social de la prostitution, « la demande de reconnaissance d’un statut social de la prostitution ne provient pas des travailleuses elles-mêmes mais émane de certaines associations et des médias pour lesquels la prostituée est une personne nécessitant un contrôle attentif des classes supérieures ». Cette approche réglementariste semble d’autant plus insensée que les cadre sociaux, juridiques et fiscaux nécessaires existent déjà mais ne sont pratiquement pas utilisés ou appliqués. Soit que l’administration les méconnaisse, soit que les travailleuses préfèrent s’y soustraire pour ne pas en subir les effets pervers.

Suivant en réalité une préoccupation fondamentalement sécuritaire, cette politique consiste dans les faits à canaliser les réseaux de prostitution vers des quartiers réservés (dans le maintien de la vieille idée que la prostitution ne doit pas troubler l’ordre public) ; à reconnaître les activités des proxénètes, des prostituées et des tenanciers de maison comme des métiers à part entière et à annuler toute idée de répression du client de ce qui sera devenu un « commerce du sexe » tout ce qu’il y a de plus légal et « réglementé ». Cette forme de surveillance permettrait à l’Europe forteresse un regard sur les mouvements d’immigration. En organisant une structure légale autour de la prostitution, les arrivées de filles (ou de garçons) dans les pays occidentaux via des circuits de prostitution sont canalisés, contrôlés et étiquetés. On constate d’ailleurs que dans les pays où le réglementarisme est en vigueur, les prostituées autochtones quittent les circuits légaux pour laisser leur place à des filles immigrées qui deviennent totalement dépendantes du « mac » qui est garant, non seulement de leur « métier » mais également de leur possibilité de rester « en ordre » de papiers. Sous couvert du sacro-saint statut social on balaie sous le tapis la réelle liberté des personnes qui obtiendraient un permis de séjour dans ces conditions.

Or, les résultats de cette politique de non répression et de professionnalisation se révèlent bien souvent inutiles. En acceptant la prostitution comme un fait nécessaire et en la banalisant, cette politique met à mal toutes les possibilités de prévention de la prostitution, de réinsertion des anciennes prostituées dans d’autres formules d’autonomie économique.

Ces deux politiques, prohibitionniste et réglementariste, représentent deux orientations opposées. La première nie totalement les réalités des prostituées qui se retrouvent bloquées dans les circuits et aggrave encore leur situation en l’alourdissant d’un dossier pénal. La seconde fait disparaître le débat sur la cohérence que peut avoir l’existence de la prostitution dans une société dite civilisée et égalitaire et annule par la même occasion toute tentative de faire disparaître cette activité à terme.

Le point commun des deux approches est que ni l’une ni l’autre n’envisage de filière de reconversion pour les prostituées qui voudraient en sortir ni de mesures d’accompagnement et de prévention des comportements machistes qui confortent l’utilité de la prostitution comme soupape de sécurité pour les « besoins » masculins.

L’approche abolitionniste

L’abolitionnisme, troisième courant de pensée, s’oppose aux deux courants précédemment développés et à son origine est étroitement liée aux combats pour l’abolition de l’esclavage. En Belgique, il se matérialise à travers la loi adoptée le 28 août 1948 qui ne permet plus la répression des prostituées, mais étend par contre le champ de répression aux proxénètes, aux souteneurs, aux tenanciers de maisons.

Contrairement aux réglementaristes dont la thèse de départ est que la prostitution représente un mal nécessaire qui perdurera dans notre société, les abolitionnistes partent du principe qu’elle incarne le paroxysme violent et marchand du rapport de domination entre hommes et femmes et qu’une société dite civilisée doit pouvoir mettre un terme à ce type de rapports. Les abolitionnistes ne sont ni des puritain/es, ni des moralisateur/trices de la trempe des prohibitionnistes. Il faut distinguer les libertés sexuelles des hommes et des femmes, de la liberté des hommes de disposer à leur guise du corps des femmes, amenées à vendre ce « service » à cause de leur précarité. Les besoins (physiques) des hommes ne devant pas prédominer sur ceux des femmes, il n’est pas cohérent de permettre qu’un commerce se crée sur ce présupposé.

L’abolitionnisme, tel qu’il existe légalement en Suède, se décline en plusieurs temps :

- la reconnaissance du métier de prostituée pour permettre un encadrement légal et un accès aux droits sociaux élémentaires.

- La prévention et la reconversion. Prévention dans les milieux fragilisés. Campagnes d’éducation émotionnelle et sexuelle exemptes de principes machistes de domination. Immunité fiscale et pénale pour les prostituées afin de leur permettre de réellement repartir à zéro. Milieux d’accueil et d’aides pour quitter la prostitution et se reconvertir.

- La pénalisation des exploitants de la prostitution : proxénètes, souteneurs, tenanciers et clients, pour démanteler les réseaux qui entretiennent son existence.

La question de la pénalisation des clients reste délicate dans une société de contrôle et de répression, où l’Etat « social » cède de plus en plus la place à l’Etat pénal. Mais la politique de répression à cet égard se veut ouvertement dissuasive et table surtout sur l’embarras qui découlerait d’une mise en accusation.

Un courant politique qui se veut féministe doit pouvoir se positionner sur le rôle de la prostitution dans une société dite égalitaire. Nous ne sommes pas pour une libéralisation des services, nous sommes contre les lois de la concurrence qui permettent d’exploiter les travailleurs du métal, nous refusons la mondialisation du marché comme base de société. Pouvons-nous accepter la libre exploitation des corps de personnes précarisées par des personnes privilégiées financièrement sous couvert de la liberté d’échange commercial ?

Note

1. La prostitution, un droit de l’homme ?, Cahiers Marxistes 216, Juin-juillet 2000, Ed. Pierre Gillis. INVERNIZZI Sandra

* Publié sur le site de la LCR-La gauche (Belgique). Mis en ligne le 25 août 2009


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