Quel avenir pour la gauche allemande après le triomphe de Lafontaine et de Die Linke aux élections régionales ? (article Courrier international)

mardi 8 septembre 2009.
 

Le triomphe de Lafontaine aux élections du 30 août en Sarre bouleverse la donne politique au plan national.

Lire les résultats dans notre article : Bonnes nouvelles d’outre-Rhin pour Die Linke et la gauche radicale !

Mais seule la perspective d’une alliance de Die Linke et du SPD pourrait ouvrir la voie à l’alternance.

Si l’on ajoute le score obtenu par Oskar Lafontaine [Die Linke, La Gauche] (plus de 21 %) au score du SPD [Parti social-démocrate] (24,5 %), celui-ci retrouve la majorité absolue qu’il détenait lorsque Lafontaine était ministre-président de la Sarre [1985-1998]. Et, si l’on ajoute à cela les voix récoltées par Die Linke et par le SPD dans d’autres Länder, on se retrouve de nouveau avec un grand parti populaire. Voilà qui devrait faire venir les larmes aux yeux des sociaux-démocrates, mais ils préfèrent tenter d’enjoliver leurs résultats – comme la CDU [l’Union chrétienne-démocrate d’Angela Merkel], qui connaît le même fiasco mais en moins grave, 35 % au lieu de 25 %.

On s’est efforcé – en vain – de nier le charisme de Lafontaine. Après sa double démission des postes de mi­nistre des Finances et de président du SPD [en mars 1999], il s’était attiré les huées de tout le pays. “Lafontaine” était devenu synonyme de “traître”. Quand on parlait de lui, même les informations factuelles prenaient des airs de commentaires. Ce n’était pas très démocratique – mais Lafontaine vient de répliquer par des moyens démocratiques : un succès électoral. Ce dimanche, la Sarre a été l’apogée de sa contre-offensive.

La Sarre est l’alpha et l’oméga de Lafontaine : c’est là que tout a commencé pour lui. Il en connaît chaque maison et chaque pierre. Pendant vingt-cinq ans, il y a occupé les fonctions de maire [de Sarrebruck, capitale de la Sarre, de 1974 à 1985] et de ministre-président [chef du gouvernement, de 1985 à 1998]. Il est “le Napoléon de la Sarre”. C’est là qu’il a obtenu ses galons d’homme politique, c’est là que ses erreurs et ses errements pourraient prendre fin – c’est là qu’il vient de se réhabiliter triomphalement. L’histoire serait parfaite si, après ce dimanche électoral, la boucle se bouclait, si Lafontaine redevenait ce qu’il a été pendant treize ans, ministre-président du Land de Sarre. Si le SPD lui laissait cette fonction dans la Sarre, Die Linke pourrait laisser au SPD la fonction de chef de gouvernement de Thuringe. Un tel accord serait un premier pas vers le rapprochement des deux partis de gauche, un premier pas vers la fin du schisme rouge, un pas vers une coopération constructive de cette gauche actuellement divisée. On n’en est cependant pas là.

La rhétorique politique de Lafontaine a atteint son but. Il entend désormais “installer et stabiliser Die Linke”. Cela nécessite un travail stratégique et tactique acharné – dont on doute qu’il soit capable. C’est pourtant ce qu’il a fait en 1995 : pendant que ses rivaux de l’époque, Gerhard Schröder par exemple, se donnaient en spectacle, lui réorganisait la boutique [le SPD] de fond en comble, la renforçant à l’extérieur comme à l’intérieur. Il a fait de cette formation un puissant parti d’opposition.

Après ce coup de sang de 1999, Lafontaine a dû se découvrir des trésors de patience. De président du SPD, il était devenu un paria ; en mai 2005, après trente-neuf ans de fidélité au SPD, il quittait le parti et rejoignait le camp de l’opposition avec la WASG [Alternative électorale travail et justice sociale, née d’une scission de l’aile gauche de la social-démocratie], qu’il façonna à son image. Ce fut, après la rénovation du SPD de 1995, le deuxième haut fait stratégique de Lafontaine : il parvint à opérer un rapprochement entre la WASG et le PDS [parti postcommuniste est-allemand], d’où naquit une alliance et bientôt le nouveau parti La Gauche.

Ces deux victoires stratégiques pourraient à présent se transformer en un triplé historique, avec le rapprochement des deux courants de la gauche. La scission historique de 1917 fait partie des grands traumatismes de la social-démocratie. Les deux âmes du mouvement ouvrier allemand s’incarnèrent dans des corps politiques différents. C’est encore le cas aujourd’hui. “Le changement par le rapprochement” – ce slogan qui inspira l’Ostpolitik du chancelier Willy Brandt et suscita une gigantesque vague d’enthousiasme –, voilà précisément ce dont ont aujourd’hui besoin les deux partis de gauche allemands. Faute de quoi, ni le SPD ni Die Linke ne peuvent espérer en un avenir radieux.


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