Manuel Barroso devant le Parlement européen : Une euro-béatitude tranquille et imperturbable, comme un orchestre du Titanic.

samedi 12 septembre 2009.
 

Je suis venu à Bruxelles pour entendre monsieur Barroso plancher devant le groupe de la GUE dont je suis membre.

Et voici monsieur Baroso devant nous. II commence son petit discours sur le mode monotone et ennuyeux que tout homme important doit se donner pour être pris au sérieux. Puis il s’enflamme quand la salle approche du sommeil attentif que seules connaissent les assemblées d’importants. Pas de danger avec lui. Bras en avant, œil brillant, mouvement d’épaule Sarkoziens. La c’est le grand art. Car le verbe est radicalement creux.

Il s’enflamme pour mieux ne rien dire. "Je vais vous le dire très franchement (pause et doigt levé) et très directement (nouvelle pause et hochements de tête) au risque de choquer (bond par-dessus la balustrade de tout le torse, puis rythme de mitraillette avec martèlement du doigt dans l’air) : je vais être clair, nous allons faire tout notre possible pour affronter les problèmes qui se posent !" Et ainsi de suite. Malin, monsieur Baroso. De toute façon, autant se souvenir qu’il n’a pas gagné sa place dans une pochette surprise. Et il ne va pas la garder en enfilant des perles. Les députés portugais se déchainent. Tous sont inscrits dans la séance de questions. Lui ça le fait sourire. A la première occasion il se jette à l’eau avec assurance. Statut de la propriété ? "La commission est agnostique ! La commission n’a jamais rien demandé à ce sujet ! Demandez à vos gouvernements"

Et comme ça lui plait de pousser ce genre d’arguments rustiques, hop il passe au cran supérieur : "mais certains ont des services public en monopole et profite du statut de concurrence pour s’implanter chez les autres" Et toc ! Vous voyez ? Il n’est pas manchot pour un rond. Certains de mes collègues font patte de velours et besognent dans le style ennuyeux qui fait bon genre, mais comme ils ne lâchent rien sur le fond non plus, Baroso prend un air navré de déception absolue. Bonne pioche, car ici il n’y a pas une voix pour lui. Si bien qu’il se donne une posture de victime de l’acharnement. Et maintenant, comme l’heure tourne, le voila qui nous dit qu’il restera avec nous aussi longtemps qu’avec les autres. Donc deux heures. Mais il ne reste plus qu’une demie heure. Petite remarque assassine : dans les autres groupes ils ont limité a une minute de temps de parole les questions. Et pan sur les bavards qui s’épanchent ici pendant quatre ou cinq interminables minutes comme des incontinents.

Je me sens visé. Mais quand vient le tour de ma réponse, je ne peux que rougir du compliment qu’il me fait de m’être exprimé « dans la grande tradition française de la rhétorique ». Rassurez vous l’émoi ne dure pas. J’ai déjà été largement régalé de ce type de compliments au Sénat. Je sais donc que la suite va être sévère. Elle l’est. D’une facture assez classique mais bien rodée : "ce n’est pas moi ce sont les États membres qui ne veulent pas." ou bien "Vous faites des caricatures. Libre à vous bien sur car c’est plus confortable etc. etc." Soyons raisonnables ! Il n’allait quand même pas me remercier de l’avoir essoré ! De tout cela il me reste l’impression d’un homme plutôt affable et bon politicien à la sauce fade de l’Europe encore que son origine méditerranéenne nous sauve du style passe muraille des nordiques et assimilés de l’est européen.

Mais comme cela serait bien superficiel de ma part d’en rester à ces impressions d’ambiance, je vais donc passer à votre information concernant le programme de monsieur Baroso. Daté du 3 septembre et arrivé dans ma boite vendredi dernier, il est disponible sur le site européen en version française quoique son auteur, qui parle parfaitement bien le français, nous ait avoué l’avoir écrit en anglais. Cinquante pages. Dans la novlangue européenne lisse et contournée, comptez cent cinquante pages car il faut lire trois fois pour être sur d’avoir compris. J’ai dit à Baroso que j’informerai mes concitoyens de son propos et je l’ai remercié de l’avoir mis par écrit. Ça prouve que je peux être courtois. Moi aussi je pratique le « in cauda venenum » que je décrivais il y a un instant ! Car quant au fond, je préviens, rien ne me va. Après avoir lu mon commentaire et vérifié que je n’ai pas exagéré chacun pourra aussi se faire une idée de ce que valent les sociaux démocrates qui ont voté pour ce programme et cet homme.

Le social ! le social !

Dans son document de candidature José Manuel Baroso annonce "une attention nouvelle et beaucoup plus soutenue à la dimension sociale en Europe". Je lui ai dit que j’avais d’abord cru a une forme d’humour de sa part mais que je me suis aperçu ensuite qu’il n’en était rien, mais qu’il y avait un vrai malentendu entre nous. Ce qu’il nomme "préoccupation sociale" ne se nommait pas de cette façon chez nous et dans notre esprit de gauche. En effet la question posée n’est pas de "grossir l’enveloppe des aides sociales" mais de faire vivre un système général de sécurité sociale pour tous. Je lui ai dit que nous faisions notre la formule du poète Victor Hugo selon laquelle notre but n’était pas de "soulager la pauvreté mais d’éradiquer la misère". Lui m’a répondu qu’il ne faisait pas d’humour "avec le social". Et ainsi de suite.

L’affichage social, volontairement voyant en introduction, trouve vite les mots qui le réduisent au néant libéral. Il se propose de "garantir un travail décent" et de développer "la flexicurité" pour laquelle il plaide à plusieurs reprises pour "établir des principes communautaires de flexicurité à appliquer dans le cadre de parcours nationaux". Ce verbiage d’incitation au démantèlement des acquis sociaux est même accompagné d’une de ces diatribes contre la lutte de classe qui est le charme indépassable de cette sorte d’archaïque. Évidemment cela est dit dans la novlangue eurocratique : il se prononce en faveur de l’individualisation des relations de travail et de la fixation des normes directement dans l’entreprise en appelant à "renoncer au modèle fondé sur des relations industrielles conflictuelles, qui est dépassé, au profit d’une approche plus globale sur le lieu de travail fondée sur l’engagement des travailleurs".

Libéralo-béatitude

Reste que son manifeste de candidature confirme le cours néolibéral de la politique européenne et opte en faveur d’une commissionnerai qui aggravera encore le déficit démocratique de l’UE. Je lui ai demandé comment il pouvait expliquer l’abime d’abstention dans lequel s’effondre la construction européenne compte tenu de la satisfaction qu’il exprime sur le bilan de L’union. Il a répondu que la crise ne venait pas de l’Europe ni de’ son fonctionnement mais des États-Unis. Tel quel. Et d’ailleurs son document ne concède pas la moindre erreur d’analyse ou d’appréciation dans les politiques menées jusqu’à ce jour. Au contraire, Barroso ne voit que des succès dans "le marché unique qui a démontré sa résistance" ou encore la "monnaie unique" comme "socle de stabilité". Il prétend même "avoir fait de l’élargissement un succès", sans préciser bien sûr dans quel domaine et pour qui …

Il ne voit pas non plus la moindre responsabilité de l’Europe et de ses politiques libérales dans la crise financière et n’a pas peur d’affirmer que ce serait au contraire "la méfiance » vis-à-vis de l’Europe « qui a trop souvent causé des failles dans notre système : elle a contribué aux défaillances de notre système de régulation financière, si brutalement mises en lumière l’an dernier". Amis partisans du non au référendum vous voila démasqués ! D’ailleurs, à un mois du nouveau référendum destiné à faire plier les Irlandais, Barroso exalte à chaque occasion le traité de Lisbonne, "qui je l’espère sera bientôt ratifié, nous fournira la capacité institutionnelle nécessaire pour agir". Comme d’habitude chez les partisans du Oui, le Traité de Lisbonne est paré de toutes les vertus : en matière de politique économique, de diplomatie, d’efficacité institutionnelle, de droits des citoyens et des Parlements … sans jamais que ces avancées virtuelles ne soient pourtant précisées ou explicitées. Ni prise ne compte la moindre critique de ses opposants. Une euro-béatitude tranquille et imperturbable, comme un orchestre du Titanic.


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