En Asie, la pire mousson de mémoire d’homme

lundi 13 août 2007.
 

Malgré le recul des eaux, commencé depuis mardi, la mousson qui a inondé l’Asie du Sud au début d’août continue de faire des victimes. Les bassins d’eau stagnante mêlée aux contenus d’égout constituent des viviers mortels de maladies diarrhéiques et d’infections cutanées. Au Bangladesh, 100 000 habitants sont déjà atteints par la diarrhée et la dysenterie. Douze habitants en sont morts, d’après les médias locaux. Le bilan pourrait s’alourdir en raison du manque d’eau potable et de l’augmentation du prix des fluides de réhydratation qui soignent la maladie.

Les hôpitaux sont débordés et des tentes en plastique sont montées à la hâte pour accueillir le flot de patients. Dans les villages isolés, des centres médicaux sont installés « mais les équipes médicales n’ont pas suffisamment de matériel », déplore Ramadan Ray, responsable d’une association de médecins dans l’Uttar Pradesh, situé dans l’est de l’Inde. Alors que 1 500 habitants y ont été soignés de la diarrhée au cours des dix derniers jours, l’association évalue à 22 000 le nombre d’habitants touchés par la maladie. Dans l’Etat voisin du Bihar, un des plus touchés par les inondations, l’Unicef estime que « les eaux stagnantes constituent une sérieuse menace pour les 14 millions d’habitants, dont 1,5 million d’enfants. »

Les Nations unis évoquent également le risque d’une pénurie alimentaire. « Avec le recul des eaux, des millions de familles pauvres se retrouvent ruinées par la perte de leur récolte et de leur bétail », a déclaré Josette Sheeran, la directrice du Programme alimentaire des Nations unies. Pour les sinistrés, de retour dans leurs villages, un autre cauchemar les attend. Leurs maisons sont en ruine, leurs récoltes détruites, les rares plantations encore en terre pourrissent, et des carcasses d’animaux gisent, éparpillées, sur le sol boueux. Les organisations non gouvernementales (ONG) sur place rapportent des cas de suicides d’agriculteurs. L’Etat du Bihar a demandé aux banques de suspendre les demandes de remboursement d’emprunts auprès des familles sinistrées.

L’aide alimentaire, cruciale pour la survie des sinistrés, peine à arriver. Les hélicoptères peuvent difficilement se poser dans les zones encore inondées et larguent des vivres au-dessus des habitations. « Les sacs en polyéthylène sont tellement fragiles qu’ils éclatent sur le sol et la nourriture prend l’eau. Aucun vivre n’est destiné aux nourrissons et aux enfants, qui sont pourtant les plus menacés », constate avec amertume Vinay Odar, responsable de l’ONG ActionAid au Bihar. Avec la réouverture progressive des routes, l’Inde devrait cesser dans les prochains jours le largage aérien de produits de première nécessité.

La distribution des vivres, répartie de façon inégale dans les villages, provoque des émeutes. Au Bihar, des heurts entre la police et des villageois ont fait quatre blessés et un mort. « Des districts n’ont reçu qu’un kilo de vivre alors que d’autres, à côté, en ont reçu 25 kilos », témoigne Vinay Ohdar. Dans l’Etat voisin de l’Uttar Pradesh, où des dizaines de villages sont encore sous les eaux, « seules les basses castes restent isolées tandis que les autres ont trouvé refuge dans des villes voisines », s’indigne le docteur Lénine, du Comité de vigilance sur les droits de l’homme.

D’après l’ONU, « la mousson a été la plus importante de mémoire d’homme ». Ces derniers jours, elle s’est déplacée vers l’ouest, tuant 10 habitants au Gujarat, dans l’ouest de l’Inde et 25 à Karachi, au Pakistan. Au total, au moins 2 200 habitants ont été tués, et 30 millions sinistrés, en Asie du Sud depuis le début de juin, soit le double du bilan de l’année 2006. Alors que, au Bangladesh, la mousson inonde chaque année environ le cinquième du pays, cet été, la moitié du territoire était sous les eaux. Au Népal, 99 habitants sont morts, pour la plupart, dans des glissements de terrain. L’Inde est le pays le plus touché avec 20 millions de sinistrés et plus de 1 550 morts.

Les experts accusent les autorités de s’être lancées dans une politique frénétique de construction de barrages et de digues, aggravant les risques d’inondation. Bloqués par les digues, les sédiments s’amassent au creux des fleuves et augmentent le niveau des cours d’eau. « En 1952, le Bihar avait 152 kilomètres de digues et 2,5 millions d’hectares de zones inondables. Il y a aujourd’hui 3 482 kilomètres de digues et les zones inondables se sont étendues à 6,88 millions d’hectares », souligne Eklavya Prasad, du centre pour la science et l’environnement, basé à New Delhi. Sous prétexte d’être à l’abri des crues, de nombreuses habitations ont été construites près des digues. Leur destruction explique l’ampleur des dégâts.

L’Inde, qui évalue provisoirement le montant des pertes à 240 millions d’euros, a refusé toute aide extérieure. Le Bangladesh a accepté une aide d’urgence de 37 millions d’euros de la part du roi Abdullah d’Arabie saoudite.

Julien Bouissou

CHIFFRES

EN INDE : les trois Etats de l’Assam, du Bihar, où 1,1 million d’hectares ont été inondés, et de l’Uttar Pradesh, dans l’est du pays, ont été les plus durement touchés. Le dernier bilan dressé par le gouvernement pour tout le pays fait état de 1 550 morts et de plus de 20 millions de sinistrés, dont 234 000 sont abrités dans 1 100 camps. Au total, 743 000 maisons et 5,3 millions d’hectares de terres cultivées ont été détruits.

AU BANGLADESH : 565 000 hectares de terres cultivées et 16 000 kilomètres de routes ont été inondés. 411 habitants ont été tués, et 8 millions sont sinistrés.

AU NÉPAL : 99 habitants sont morts et 300 000 sont sinistrés. 26 500 maisons ont été détruites ou endommagées lors des glissements de terrains.

AU PAKISTAN : les inondations ont fait 222 victimes, dont 22 en fin de semaine.

LES AIDES : la Commission européenne s’est engagée à verser 4 millions d’euros d’aide pour l’Asie du Sud, le Canada 730 000 euros, les Nations unies 15 millions d’euros et l’Arabie saoudite 37 millions d’euros (à destination du Bangladesh).


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