Nouveauté : À vos ordres ! … À vos ordres ? Jamais plus ! (livre de Maurice Rajsfus aux éditions du Monde libertaire)

vendredi 23 octobre 2009.
 

L’État de l’ordre, le régime de l’ordre, interventions de l’ordre, un gouvernement de l’ordre… L’ordre, l’ordre, le mot est sans cesse évoqué, répété, asséné, brandi comme la solution pour une tranquillité qui implique la vacuité critique face aux arguments liberticides d’une autorité qui affirme son bon droit. Dans les discours, le mot ordre est particulièrement à l’honneur. « L’ordre, c’est la condition de la démocratie » répètent les chantres du pouvoir actuel. Mais quelle démocratie et de quel ordre s’agit-il ? Les universités sont occupées par les contestataires ? « Faisons appel aux forces de l’ordre et virons la “minorité ” des contestataires » avance le gouvernement. L’ordre doit régner, sinon gare !

Fichage, fouilles à nu, menottages, violences, tabassages, procès, amendes, gardes à vue abusives, utilisation de gaz lacrymogène, emprisonnement sans preuve… La liste s’allonge et les droits s’amenuisent. Et pourtant, d’après l’article 10 du code de déontologie de la police, « Toute personne appréhendée est placée sous la responsabilité et la protection de la police ; elle ne doit subir, de la part des fonctionnaires de police ou de tiers, aucune violence ni aucun traitement inhumain ou dégradant. » Or dans la pratique, c’est une autre histoire.

« À vos ordres ? Le moins possible ! » écrit Maurice Rajsfus car « Qui dit ordre sous-entend : commander, adjoindre, prescrire, intimer, sommer, menacer si nécessaire. Parler d’ordre, c’est surtout signifier obéissance sans discussion. On ne déroge pas aux ordres, sauf à être considéré comme un dangereux contestataire. En effet, ceux qui sont au pouvoir, et s’efforcent de ne pas le perdre, finissent par estimer indispensable de maintenir l’ordre qu’ils ont institué. À cette fin, il y a des forces de l’ordre, jamais réticentes pour réprimer ceux que les tenants de l’ordre désignent comme des émeutiers menaçants les institutions. Pour apporter une touche amère, constatons que, dans les dictionnaires, “ordre” se situe entre “ordonner” et “ordure”. » Le rapport annuel de la CNDS (Commission nationale de déontologie de la sécurité) fournit une illustration de cet ordre du pouvoir en place en constatant ses multiples et inquiétantes dérives. Les pratiques brutales et les abus de la police se banalisent, notamment envers les mineurs, car « la délinquance juvénile fait l’objet d’orientations de politique pénale de plus en plus répressives ». Et l’on sait, depuis l’affaire de Tarnac et l’emprisonnement de Julien Coupat, que l’État ne s’embarrasse guère des droits des personnes. « La stratégie policière fabrique tactiquement l’ennemi tel qu’elle le veut, de toutes pièces. Il ne s’agit plus de punir le coupable d’un méfait (ce qui, déjà, était inacceptable), mais de créer le méfait et son coupable pour criminaliser, effaroucher, désolidariser, et donc prévenir la grogne qui monte. »

« Le parti de l’ordre n’a nul besoin d’affirmer son honnêteté. Même si ses représentants sont de fieffés gredins arrivés en fraude au pouvoir. La forfaiture déguisée en volonté de moraliser la société devient une forme de civisme, et il est fortement recommandé de croire à cette sinistre fable. Peu importe les entorses au droit. Les hommes d’ordre n’ont que faire de cette démocratie formelle dont ils se proclament les hérauts. Ils ont délibérément choisi de mettre au pas des femmes et des hommes, lesquels se devraient de démissionner de leur libre-choix, et confier les clés de leur avenir à de dangereux autocrates pour qui la notion d’ordre prévaut sur celle de liberté. »

EXTRAITS :

INTRODUCTION EN BON ORDRE ?

En touches rapides, nous avons tenté d’aborder toutes les facettes de ce que peut présenter l’ordre public, l’ordre brutal mis au service du pouvoir – quel qu’il soit. Il faut être cohérent : l’ordre n’est pas réellement au service des citoyens mais sert essentiellement à les encadrer, les surveiller, les contrôler. L’ordre, c’est le bon plaisir du souverain, jadis, de celui qui gouverne, de nos jours. Au-delà, l’ordre ne représente pas uniquement la volonté du prince, comme ses caprices du moment. Une certitude, lorsqu’une société fonctionne en bon ordre, elle perd les moyens de contester, de se soulever même lorsque le poids des interdits devient insupportable.

L’ordre ne se partage pas ! C’est l’expression de l’autorité, de la toute-puissance de ceux qui se donnent pour mission de faire appliquer des lois écrites et des volontés non dites. L’ordre implique la domination et l’oppression. La loi servant de paravent pratique car il faut bien justifier les atteintes aux libertés. Comme nous le savons, le bon citoyen hésite toujours à violer la loi, même si les textes sont éminemment liberticides. Hélas ! Le peuple est suiviste à l’instar des pauvres moutons de Panurge si bien mis en scène par Rabelais. C’est précisément parce qu’il est disponible et naïf, craintif et individualiste dans le même temps, que le peuple se laisse imposer un ordre strict. Indirectement, la majorité d’une population que l’on a pu décrire comme rebelle, ne semble plus guère tentée par la révolte. C’est le cas en France, jadis terre de liberté, mais la contestation survient alors qu’on s’y attend le moins.

Il faut avoir souffert de l’ordre pour bien comprendre sa nocivité. C’est au nom de l’ordre que l’on asservit les peuples. C’est au nom de l’ordre que l’on tue. La sinistre formule, toujours à l’honneur, « l’ordre règne ! » peut cacher toutes les ignominies, mais également tous les renoncements. L’ordre est nuisible pour ceux qui en sont les victimes désignées. L’ordre est vexatoire et vecteur de persécution. Il s’applique aux dépens des plus faibles, et détruit la qualité des relations entre les hommes, bien plus qu’il ne sert à les réunir.

Toutes les mauvaises raisons sont invoquées pour maintenir un ordre qui, par ailleurs, n’est nullement menacé. Les partisans de l’ordre peuvent devenir rapidement des tenants inconditionnels de l’ordre musclé. Parallèlement, pour maintenir l’ordre, tout est possible, sinon permis. L’ordre n’est pas nécessairement compatible avec la liberté, l’ordre ne peut que corrompre, il pervertit, il incite à la malveillance et au rejet, à la marginalisation des sceptiques même. Au nom de l’ordre, il est possible de se livrer tranquillement à la délation de ses semblables, comme à bien d’autres forfaits. C’est ainsi que l’ordre peut être source de toutes les indignités, de tous les crimes officiels. L’ordre est infâme, l’ordre corrompt. [...]

Quand cesserons-nous d’entendre ce cri de soumission absolue : « À vos ordres ! » ? Jusqu’à quand sera-t-il possible d’assister à cette démission permanente face à des autorités qui n’ont que le pouvoir qu’elles se sont donné. Que ce soit par la force ou suite à des élections considérées comme hautement démocratiques ?

Lorsque des êtres réfléchis, devenus raisonnables dans le vrai sens du terme, seront enfin en mesure de refuser les ordres reçus, ils auront fait un grand pas vers la liberté. Quand l’humanité pourra poursuivre un développement harmonieux, sans qu’il soit nécessaire que les uns obéissent aux ordres impératifs des autres, nous ne serons pas loin d’atteindre aux rivages de ce pays d’Utopia que décrivait Thomas More, dès le XVIe siècle. Dans un monde où les hommes ne se détesteraient plus, et n’auraient donc plus la volonté de se dominer les uns les autres. À vos ordres ? Le moins possible !

CHAPITRE 8. L’OBÉISSANCE, PILIER ESSENTIEL DE L’ORDRE

Ceux qui donnent des ordres perdraient la primauté de leur pouvoir s’ils n’étaient pas obéis au doigt et à l’œil. L’obéissance absolue est nécessaire au pouvoir absolu. Bien au-delà de l’obéissance passive, celui qui donne les ordres et n’entend pas voir contestée son autorité fera en sorte de mettre au pas les récalcitrants. À ce niveau, l’obéissance passive ne suffit pas. Le citoyen contraint doit faire paraître de l’enthousiasme à son adhésion obligée aux ukases. Il ne suffit donc pas de se mettre au garde-à-vous, en proférant le célèbre « à vos ordres ! ». Celui qui ne peut qu’obéir doit être convaincu du bien-fondé des ordres reçus, tout en les exécutant sans rechigner. Par ailleurs, celui qui donne les ordres doit être persuadé qu’il obtient satisfaction en scrutant le regard de ses subordonnés.

On n’obéit jamais que par nécessité – avec le regret de n’être pas le donneur d’ordres. Le plus souvent, celui qui rectifie la position en maugréant n’a pas d’autre choix. Robot malgré sa volonté, il ne fait qu’accomplir les gestes mille fois répétés et les mots qui lui ont été enseignés. C’est le sous-ordre qui obéit. Celui lui est considéré comme un sous-ordre, un homme du rang comme on dit à l’armée, est incité à se conduire avec cette veulerie propre aux esclaves qui ont l’espoir d’être affranchis. La triste condition de dépendance n’autorise pas le dépendant à s’opposer, à discuter, à suggérer même ; il ne peut que s’incliner. Triste perspective d’une existence confinée dans la soumission, à subir la volonté d’une hiérarchie que l’on n’estime pas, à être assujetti à des ordres qui ajoutent l’odieux à l’insupportable.

Il faut apprendre à obéir sans réfléchir pour bien marcher au pas, garder ses distances dans les rangs tout en affichant une attitude résolue. Comme si l’on était convaincu de l’importance d’une troupe exécutant des ordres qu’elle n’a pas à comprendre. On évite de marcher sur les talons de celui qui précède et, la corvée terminée, la satisfaction réside dans le fait de n’avoir pas été remarqué par des supérieurs toujours en quête d’une défaillance dans un mécanisme tellement bien huilé qu’il ne doit pas laisser apparaître le moindre grain de rouille, la plus petite aspérité anormale.

Les tenants de l’ordre ne cessent d’expliquer que si les citoyens se refusent à obéir, la société pourrait perdre son équilibre. Il est toujours possible d’envisager une concertation mais sans jamais céder sur l’essentiel. Comment un chef d’entreprise pourrait-il admettre d’être contredit, même s’il est dans l’erreur, aussi bien dans ses objectifs que dans les rythmes de travail imposés ? Il est chez lui, et ne peut pas supporter qu’un autre avis que le sien puisse être cohérent. Un peu sur le mode : je veux bien vous donner du travail, mais vous devez accepter les conditions établies, d’un commun accord ou pas… Si vous n’êtes pas satisfait, la porte n’est pas loin ! Je suis chez moi, et celui qui prétendra m’apprendre à gérer mon entreprise n’est pas encore né.

Celui qui obéit, par nécessité, est forcément un inférieur. Il se doit d’être aux ordres car il ne peut en aller autrement. Il n’y a pas d’alternative : sans être nécessairement à la dévotion du supérieur qui intime les ordres, il faut satisfaire ses moindres caprices. Bien sûr, le temps de l’esclavage et du servage est depuis longtemps révolu, et celui qui refuse les injonctions ne risque plus d’être torturé ou tué comme un animal malfaisant. Faut-il en remercier ceux qui, disposant d’un pouvoir discrétionnaire, sont en mesure d’imposer leur volonté à un groupe d’hommes et de femmes qui n’ont pas les moyens de refuser les ordres quasi-impérieux qui leur sont donnés ? Il faut penser au lendemain, comme à la spirale du chômage qui entraîne le contestataire vers les abîmes sociaux.

Comme cela ne suffit pas, l’insurgé qui refuse d’obéir ou fait montre d’un dynamisme malvenu sera mis au pas, quand il ne sera pas rejeté du système. On lui imposera l’humilité pour lui apprendre à ne pas déroger à la règle instituée. Se cabrer devient alors difficile, et il faut avoir l’échine souple pour tenter de survivre dans un monde où chacun se doit de filer doux. Le fataliste se fera une triste philosophie, considérant que sa survie économique est à ce prix. Il n’en reste pas moins que l’esprit de résistance, même passive, n’est jamais absent. C’est heureux. Pourtant, lorsque la négociation n’est pas envisageable ou qu’il n’y a pas de porte de sortie, ni de solutions de rechange, il faut bien tenter de survivre, quitte à feindre l’acceptation de la domination subie. En attendant des jours meilleurs.

Refuser d’obéir n’est pas sans risque. La simple objection peut être considérée comme un acte de rébellion. Cela peut aller très loin car le supérieur refuse la moindre atteinte à son autorité. Le patron, le chef d’entreprise, ne doutent jamais. Ils ne peuvent être dans l’erreur alors que les subordonnés n’auraient d’autre ambition que de leur mettre des bâtons dans les roues. Même leurs propositions constructives peuvent être considérées comme une atteinte à leur autorité. Celui qui apparaît comme un chicaneur ou un raisonneur se doit d’être ramené à la raison. Il n’y a pas de « mais » possible. Seules les approbations peuvent être acceptées, encore doit-on les croire sincères. Il n’est pas possible d’argumenter avec celui qui est persuadé d’avoir toujours raison car il ne peut en aller différemment. Lorsque de bonne foi l’« inférieur », qui n’a plus le sentiment de désobéir, s’aventure à faire la moindre remarque qu’il juge positive, comment pourrait-on imaginer qu’il est devenu subversif – quasiment l’ennemi public de l’entreprise qu’il se doit de servir sans broncher – et il en va de même dans la Cité. De quel droit celui-là se permet-il d’objecter à tout propos ? Demain, il demandera peut-être le partage du pouvoir ou des richesses. Inenvisageable ! Il n’est pas dans l’ordre naturel de contredire le « supérieur ». On ne polémique pas avec celui qui assure votre pain quotidien. On ne réplique pas, on ne répond pas avec arrogance. On ne rétorque pas. On obéit.

L’« inférieur » est un sous-ordre qui doit se satisfaire de sa condition. C’est un subalterne dont il est possible de se séparer. Bien sûr, il n’est pas traité comme un domestique, mais c’est tout comme puisqu’il n’est pas en mesure de discuter les ordres ou la consigne. L’« inférieur », même en démocratie, n’est rien d’autre qu’un citoyen dépendant. Il est l’image réelle de cette métaphore : les hommes sont égaux mais certains le sont moins que d’autres. L’« inférieur » est l’obligé de celui qui le domine. Par nécessité, il a trouvé un maître et celui-là ne manque jamais de le lui rappeler. C’est un vaincu qui n’a même pas eu l’occasion de se battre pour refuser sa condition. C’est une victime sur qui personne ne viendra s’apitoyer : il a accepté son sort et n’a donc pas à se plaindre. Celui qui obéit car il n’y a pas d’échappatoire, qui perd pied faute d’être en mesure de résister, n’est pas un lâche. Il a le sentiment de transiger, en faisant croire à son dominateur qu’il a capitulé. Lequel est toujours inquiet, constamment aux aguets car il sait, instinctivement, que la braise n’est jamais éteinte sous la cendre. D’un côté, l’« inférieur » ronge son frein, il se fait complaisant, bonasse, girouette même à l’occasion. À quoi pourrait servir de foncer tête baissée contre un mur ? Peut-être est-il plus subtil d’envisager de faire le mur face à un interlocuteur intraitable. Il n’est pas possible de passer son existence à s’incliner, à s’abaisser, paraître malléable à l’extrême. Celui qui raisonne ainsi, car il se sent seul dans une lutte inégale, estime peut-être que le « supérieur » finira par mieux le respecter, lui le récalcitrant camouflé, que celui qui a trouvé raisonnable de faire le chien courant – celui qui rapporte.

Maurice Rajsfus, À vos ordres !! À vos ordres ? Jamais plus ! (éditions du Monde libertaire)

SOMMAIRE :

1. Citoyen ou individu ?

2. Menaces, mensonges et mépris

3. L’ordre, les bonnes moeurs et la morale

4. L’ordre et la propriété

5. L’ordre familial

6. Le parti de l’ordre apprécie la médiocrité

7. L’immobilisme au service de l’ordre

8. L’obéissance, pilier essentiel de l’ordre

9. Ordre et désordre

10. La violence au travail

11. Et Dieu, dans tout ça ?

12. Les tarés à la rescousse !

13. L’ignorance, béquille de l’ordre

14. La peur et l’horreur

15. La peur comme habitude

16. Patriotisme et xénophobie

17. L’ordre patronal

18. Le vaudou moderne

19. L’ordre misogyne

20. Vivre dans la joie ou mourir dans l’honneur

21. L’ordre glorieux

22. L’ordre guerrier

23. Morale et civisme

24. L’exclusion

25. La discipline au service de l’ordre

26. L’ordre financier

27. La publicité dans l’ordre des choses

28. L’autoritarisme

29. La haine à la rescousse de l’ordre

30. Comment vivre sans armée ?

31. Vivre sous haute surveillance

32. Le nationalisme sans fard

33. L’ordre comme morale

34. L’ordre devrait forcer le respect

35. Le retour de l’homme des cavernes

36. La contrainte dans l’ordre des choses

37. La hiérarchie, premier maillon de l’ordre

38. La punition, gardienne de l’ordre

39. La banalité de l’ordre

40. La volonté autoritaire

41. Dura lex sed lex

42. Le système carcéral, sous-produit de l’ordre

43. Un seul contrordre : la révolution

44. L’ordre contre-révolutionnaire

45. Le pouvoir en bon ordre

46. Gouverner, c’est réprimer !

47. Les forces de l’ordre

48. La justice en ordre de marche

49. Le drapeau et la chanson

50. Ordre public et ordre privé

51. Le vocabulaire de l’ordre

52. Le devoir de désobéissance

Pour conclure : Vers la société autoritaire


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