Jaurès L’énergie du monde ouvrier (Par Marion Fontaine, historienne)

dimanche 6 juillet 2014.
 

Cerner le rapport que Jaurès a entretenu avec le mouvement social implique de briser un double stéréotype. Le premier en fait un humaniste « gentil », le second le cantonne à la célébration lyrique du monde ouvrier. Dans la relation de Jaurès à l’action ouvrière, on trouve pourtant un vrai réalisme, le souci de l’union et surtout une pensée qui ne relève guère de la rêverie et qui, si elle cherche l’harmonie, n’a rien d’une forme molle.

Tout au long de sa vie, Jaurès a été en contact avec ce qu’il nommait « l’expression directe de l’énergie du monde ouvrier » : des grèves des mineurs et des verriers à celles des tisserands. Il ne s’est pas seulement voulu le témoin de cette énergie et il s’y est mêlé à travers sa participation aux réunions et aux manifestations. Le tribun a porté la protestation ouvrière sur la scène politique et médiatique, en cherchant non seulement à dénoncer, mais aussi à analyser les causes des conflits. Il a enfin voulu en tirer les conclusions, en se faisant le porte-voix des revendications ouvrières à la Chambre. Acteur du mouvement social, il s’est préoccupé de son organisation, afin de ne pas l’épuiser et de l’engager dans des combats qu’il puisse gagner.

Dans cette entreprise, il s’est trouvé en rapport avec le syndicalisme incarné par la toute jeune CGT. Jaurès a manifesté un perpétuel souci syndical et la volonté de conserver à son parti sa chair sociale. C’est qu’il voyait dans le syndicat bien plus qu’une simple organisation corporative, mais une forme d’apprentissage et le lieu où « se renouvelle perpétuellement, au contact des faits, le sentiment de l’âpre réalité sociale de la classe ouvrière ». Souci syndical donc, et exigence. Si Jaurès estimait que les syndicats doivent bénéficier d’une entière autonomie par rapport au Parti, il pensait aussi que ces organismes doivent travailler avec lui, tout en réfléchissant sur eux-mêmes, afin que s’harmonisent la lutte économique et la lutte politique. Cela n’était pas simple et a donné lieu à un certain nombre de débats, parfois très vifs, avec une CGT marquée par le syndicalisme révolutionnaire et jalouse de son indépendance.

L’important n’est pas que Jaurès ait résolu une fois pour toutes ces débats, mais qu’il ait accepté de les poser et d’en discuter jusqu’au bout avec ses interlocuteurs. Sans doute est-ce dans cette volonté de faire le lien et d’affirmer cette exigence que réside la plus grande fécondité de son expérience.


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