Benoît XVI en République tchèque : Je viens vous rechristianiser (4 articles du Monde)

jeudi 1er octobre 2009.
 

1) A Prague, Benoît XVI fustige les ravages de « l’idéologie athée » et du communisme

Dès son arrivée en République tchèque, samedi 26 septembre, le pape Benoît XVI, a évoqué avec insistance les « blessures causées par l’idéologie athée » des régimes communistes et s’est réjoui de leur effondrement il y a tout juste vingt ans. « Je m’unis à vous et à vos voisins en rendant grâce pour votre libération de ces régimes oppressifs », a-t-il déclaré devant le président tchèque Vaclav Klaus, venu l’accueillir à l’aéroport de Prague.

Néanmoins, pour le pape, le passé n’est visiblement pas soldé et la rechristianisation de la République tchèque est encore à venir. « Le coût de quarante ans de répression politique n’est pas à sous-estimer. Un drame particulier pour ce pays a été la tentative impitoyable du gouvernement de l’époque de réduire au silence l’Eglise », a-t-il estimé. Lors des vêpres célébrées devant les religieux tchèques, il a rappelé le martyre de « nombreux évêques, prêtres, religieux, religieuses et fidèles qui ont résisté avec une fermeté héroïque à la persécution communiste, jusqu’au sacrifice de leur vie ».

Depuis la Révolution de Velours de 1989, la liberté de parole leur a certes été rendue, a rappelé Benoît XVI ; mais il faut aller plus loin, a laissé entendre le pape. Il a ainsi jugé que « l’engagement renouvelé de la part de toutes les composantes ecclésiales pour renforcer les valeurs spirituelles et morale dans la société actuelle » était « devenu urgent ». « Vous percevez que même aujourd’hui, il n’est pas facile de vivre et de témoigner de l’Evangile », a-t-il souligné durant les vêpres. « La société actuelle porte encore les blessures causées par l’idéologie athée et elle est souvent fascinée par la mentalité moderne d’une consommation hédoniste, avec une dangereuse crise des valeurs humaines et religieuses et la dérive d’un relativisme éthique et culturel déferlant ». Devant les autorités civiles et politiques du pays, adoptant une posture philosophique, le pape s’était auparavant interrogé sur « le juste usage » que les jeunes générations font de la « liberté humaine » retrouvée.

LE POIDS DES « RACINES CHRÉTIENNES »

Dans ce contexte particulier, plus de 40% de la population tchèque se revendiquent de l’athéisme, alors que seuls quelque 30% se reconnaissent dans le catholicisme, le pape a, de manière insistante, mis en avant le poids des « racines chrétiennes » du pays et la place des « martyrs » qui depuis 1000 ans ont jalonné son histoire. « Maintenant que la liberté religieuse a été rétablie, je fais appel à tous les citoyens de la République pour qu’ils redécouvrent les traditions chrétiennes qui ont façonné leur culture et j’invite la communauté chrétienne à continuer à faire entendre sa voix tandis que la Nation affronte les défis du nouveau millénaire ».

Avant même son arrivée en République tchèque, Benoît XVI avait reconnu dans l’avion entre Rome et Prague le caractère minoritaire des catholiques en République tchèque, et plaidé pour un dialogue entre « agnostiques et croyants ». Devant le président tchèque, il a toutefois « sincèrement souhaité » que « la lumière de la foi continue à guider cette nation ». Dans son allocution de bienvenue, le président Klaus, qui n’est pas de culture catholique, indiquait pour sa part que, si leur vision des problèmes du monde contemporain était « proche », elle s’appuyait sur des « concepts philosophiques et scientifiques différents ». Le premier contact de Benoît XVI avec les fidèles devrait avoir lieu dimanche 27 lors de la grande messe célébrée à Brno, devant plusieurs milliers de personnes, dont de nombreux Polonais et Slovaques.

LE BARS Stéphanie 28 septembre 2009

2) Reportage : A Brno, Benoît XVI invite les Tchèques à réagir à la montée de la sécularisation

La tâche était rude, Benoît XVI le savait. En se rendant du 26 au 28 septembre en République tchèque, le pape a choisi de délivrer son message de foi dans le pays le plus sécularisé d’Europe. Durant trois jours, menant une charge virulente contre « l’oppression athée » des régimes communistes et les progrès de la sécularisation, il s’est donc employé à rappeler les racines chrétiennes de la République tchèque - et plus largement de l’Europe -, pour tenter d’y redynamiser un catholicisme minoritaire.

La grande messe populaire, dimanche, a semblé symboliser cette discrétion. Si des dizaines de milliers de personnes, dont de nombreux fidèles polonais, slovaques et hongrois, avaient fait le déplacement à Brno sous un soleil estival, la cérémonie célébrée sur l’aéroport de la deuxième ville du pays a cantonné la visite papale loin du centre-ville et d’un possible intérêt populaire.

Durant ce voyage sans grande émotion, le pape allemand a placé « l’athéisme » promu par quarante années de régime communiste au cœur de ses critiques ; sans allusion au cas particulier de la République tchèque dont la distance avec le catholicisme est, pour des raisons historiques, antérieure à cette période. Comme il l’avait fait la veille en évoquant « la société actuelle, qui porte encore les blessures causées par l’idéologie athée », Benoît XVI a insisté sur ce point, lors de la messe à Brno. « L’expérience de l’Histoire montre à quelles absurdités parvient l’homme quand il exclut Dieu de l’horizon de ses choix et de ses actions », a-t-il souligné.

« Votre pays, comme d’autres nations, connaît une situation culturelle qui représente souvent un défi radical pour la foi et donc aussi pour l’espérance », a-t-il lancé aux fidèles, répétant là son inquiétude récurrente face à la sécularisation grandissante que connaissent les pays occidentaux et au matérialisme qui, selon lui, l’accompagne. Ce thème a été développé dans le discours quasi philosophique qu’il a tenu devant le monde académique. « Qu’arrivera-t-il si dans son souci de préserver un sécularisme radical, la culture se détache elle-même des racines qui lui donnent vie ? », s’est-il demandé.

« Le pape n’a pas de réponse magique » face à l’avancée de la sécularisation, a reconnu le porte-parole du Vatican, le Père Federico Lombardi. Benoît XVI semble toutefois miser sur la réappropriation par les jeunes générations de leur « héritage chrétien » et du « patrimoine de valeurs spirituelles, culturelles, éthiques, de justice et de liberté ». Cela passe aussi, pour lui, par la glorification des « saints », longuement évoqués durant son voyage.

Conscient que la liberté recouvrée, il y a vingt ans, après l’effondrement des régimes communistes, n’a pas suffi à favoriser le retour de la foi, Benoît XVI, en pape professeur, a aussi posé la question du « juste usage (de) la liberté humaine » et redit sa conviction que « la liberté et la recherche de la vérité » - Dieu pour les chrétiens - « soit vont ensemble, main dans la main, soit périssent ensemble misérablement ».

Plaidant pour une présence plus forte des croyants dans la société, il a regretté que « sous de nouvelles formes se font jour des tentatives pour marginaliser l’influence du christianisme dans la vie publique ». « Nous devons nous demander ce que l’Evangile a à dire à la République tchèque et aussi à l’ensemble de l’Europe dans une période marquée par la prolifération planétaire des points de vue. » Selon Benoît XVI, la prise en compte des religions dans le domaine de la raison universelle « est en outre indispensable au dialogue des cultures » dont le monde a « un besoin si urgent ».

Dans ce contexte, les Eglises et les croyants doivent prendre leur part de responsabilité. Lors d’une rencontre oecuménique, le pape a plaidé pour un front commun de toutes les Eglises chrétiennes afin de « rappeler à l’Europe ses racines ». Cette ambition se heurte encore souvent aux différends entre les traditions chrétiennes. Il a aussi incité les croyants « à la réflexion », convaincu que la situation actuelle de l’Eglise devait les amener « à engager une autocritique de la modernité et une autocritique du christianisme moderne ».

Une feuille de route aux effets incertains, mais incontestablement marquée de la pensée de Benoît XVI.

Stéphanie Le Bars

* Article paru dans le Monde, édition du 29.09.09.

A Prague, le pape se fera l’avocat de la rechristianisation

Pour son treizième voyage à l’étranger, le pape Benoît XVI devait arriver, samedi 26 septembre, dans l’un des pays les plus déchristianisés d’Europe. Sa venue en République tchèque coïncide avec le 20e anniversaire de la « révolution de velours », qui a vu l’effondrement du régime communiste.

Cette visite de trois jours n’aura pas le caractère historique de celle que son prédécesseur Jean Paul II avait effectuée en 1990, en rencontrant le président tchèque d’alors, Vaclav Havel. Mais Benoît XVI devrait y rappeler l’importance des racines chrétiennes et de la démocratie en Europe. La République tchèque « qui se trouve géographiquement et historiquement au cœur de l’Europe, après avoir traversé les drames du siècle passé, a besoin de retrouver les raisons de la foi et de l’espérance, comme tout le continent », a estimé Benoît XVI, dimanche 20 septembre.

Ce voyage donne aussi l’occasion de revenir sur le rôle, contrasté, des Eglises chrétiennes dans les processus de démocratisation des anciens pays de l’Est et sur leur place actuelle. « Il faut distinguer plusieurs cas de figure », prévient l’historien Krzysztof Pomian. « Les Eglises orthodoxes ont toujours été des églises étatisées, que ce soit en Russie, en Roumanie ou en Bulgarie. Et, si une forme de »dissidence religieuse« apparaît dans les années 1970, elle n’est portée que par des individus que la hiérarchie désavoue », explique l’historien polonais.

Au sein même des pays catholiques, les situations varient. Pour des raisons historiques, l’Eglise est faible en pays tchèque : la révolte religieuse du XVe siècle, emmenée par le réformateur Jan Hus, condamné à mort, a laissé des traces. « Imposée par le pouvoir impérial germanophone, l’Eglise catholique y est perçue, surtout à partir du réveil national, comme une religion étrangère », rappelle M. Pomian. « Ce terreau créera d’ailleurs une certaine réceptivité au courant social-démocrate puis au communisme tchèque après la première guerre mondiale », ajoute-t-il. Durant la période communiste, l’Eglise connaîtra de très fortes persécutions et ses moyens d’action seront limités. Dans les années 1980, certaines églises deviendront néanmoins des lieux de ralliement de la dissidence.

Durant toute cette période, la Pologne catholique demeure un cas à part. « Elle est demeurée une puissance que le pouvoir communiste a commencé par ménager, explique Krzysztof Pomian. Puis sont venus les persécutions et l’internement en 1953 du cardinal primat de Pologne. Après sa libération en 1956, une sorte de cohabitation conflictuelle s’est installée. A partir des années 1970, changement de politique : l’Eglise devient un interlocuteur quasi officiel du pouvoir. Cela ne l’empêche pas de le critiquer, notamment par le biais des lettres pastorales lues dans les églises. Dans le contexte de l’époque, l’Eglise incarne une force libératrice. »

PAS DE RENOUVEAU

L’élection du pape polonais, Jean Paul II, en 1978 va accentuer cette dimension. « Portée par un laïcat catholique fort, on peut dire que l’Eglise polonaise a accompagné le mouvement de contestation. Mais elle ne l’a sûrement pas précédé. Elle a par ailleurs joué le rôle de modérateur et de médiateur entre les parties en présence », ajoute M. Pomian.

En Allemagne protestante, les paroisses accueilleront la contestation dans la seconde moitié des années 1980. Mais, comme le souligne l’historien, « dans le régime communiste, toute manifestation de croyance religieuse acquérait une signification politique. Les pasteurs ont donc joué un rôle d’opposition spirituelle au régime ».

Vingt ans plus tard, il semble que les Eglises n’aient pas profité à plein de l’avènement de la démocratie. La République tchèque, avec ses 40 % d’athées, en est un exemple. Et, même en Pologne, où, selon M. Pomian, « l’Eglise en tant qu’institution a profité de la transition démocratique au-delà de ses mérites réels et où elle conserve une influence politique dans certaines régions, on constate un reflux et notamment une baisse du nombre de séminaristes et de la pratique dominicale ». « Le renouveau religieux attendu après 1989 ne semble pas s’être produit », juge l’historien.

Stéphanie Le Bars

* Article paru dans le Monde, édition du 27.09.09.

La République tchèque, marquée par l’athéisme, se prépare à la visite du pape

Des ouvriers s’affairent aux derniers préparatifs sur la place centrale de Stara Boleslav, où le pape Benoît XVI célébrera la messe lundi 28 septembre. La ville de Stara Boleslav, où le prince chrétien Wenceslas, proclamé saint par ses sujets dès sa mort, fut assassiné en 935 par son frère Boleslav, marquera la dernière étape du voyage qu’effectue le souverain pontife en République tchèque, à partir de samedi 26 septembre.

« Je n’irai pas à la messe », lâche Jiri Zavrel, 38 ans, le responsable de l’équipe d’entretien. « Le pape et l’Eglise ne me disent rien, mais il pourrait venir plus souvent, au moins nous aurions de belles routes », dit-il en montrant le nouvel asphalte. « Il y aura beaucoup de monde, je préfère me réfugier à la campagne », prévoit Vaclav Novak, 55 ans, venu acheter des vêtements de jardin dans les boutiques tenues par des Vietnamiens. « Je ne crois pas en Dieu et ne suis jamais entré dans les églises de Stara Boleslav », reconnaît Pavel Hradecky, un lycéen de Brandys-nad-Labem, qui jouxte, sur l’autre rive de l’Elbe, Stara Boleslav.

Rencontrer un catholique dans le « cœur spirituel » de la Bohême relève presque de la gageure. En semaine, entre cinq et dix fidèles participent à la messe, le dimanche, au plus 200, soit à peine 1,3 % des 15 000 habitants de la ville créée par les communistes dans les années 1950, Brandys-nad-Labem-Stara Boleslav, pour tenter d’effacer la mémoire de ce lieu de pèlerinage. Celui-ci fut d’ailleurs interdit et le 28 septembre redevenu une journée travaillée jusqu’au début des années 1990, lorsque, de nouveau férié, l’Eglise a recommencé à organiser le pèlerinage annuel qui jadis attirait des dizaines de milliers de fidèles.

« Stara Boleslav fait partie des cas extrêmes, reconnaît le sociologue des religions Zdenek Nespor. Mais la pratique religieuse en République tchèque est probablement l’une des plus faibles en Europe et dans le monde. » Selon l’ex-dissident et président Vaclav Havel, quarante ans de communisme et vingt ans de consumérisme ultralibéral ont fait de ce pays « la première société réellement athée sans ancrage moral ». Mais son ami de la dissidence anti-communiste, Vaclav Maly, évêque auxiliaire de Prague, se veut « optimiste » : « 400 000 Tchèques (4 % de la population) participent aux messes dominicales, selon un recensement effectué dans toutes les églises du pays au printemps », explique-t-il.

Sujets qui fâchent

« Dans la plupart des paroisses, il y a des adultes catéchumènes qui se préparent au baptême, les laïcs participent de plus en plus à la vie de l’église », Mgr Maly souligne les « signes positifs ». « Bien sûr, tout n’est pas rose, concède-t-il, nous n’avons pas su répondre aux attentes que beaucoup de nos concitoyens portaient à la sortie du communisme, nous ne savons pas »vendre« tout ce que nous faisons dans le domaine social ou éducatif, nous ne prenons pas suffisamment position dans les débats de société. »

La visite de Benoît XVI se veut surtout pastorale et un hommage au cardinal-archevêque de Prague, Miloslav Vlk, figure de la résistance au communisme, qui prendra sa retraite dans les tout prochains jours. Ce déplacement symbolique à Prague, à Stara Boleslav et à Brno, où il célébrera, dimanche 27 septembre, la messe pour quelque 100 000 fidèles, sera également l’occasion de célébrer la liberté retrouvée, il y a vingt ans, après la chute du communisme dans les pays de l’ancien bloc soviétique.

Le pape, qui rencontrera brièvement les dirigeants du pays, n’abordera pas les dossiers qui fâchent dans les relations entre l’Etat tchèque, l’église locale et le Vatican. Prague est la dernière capitale postcommuniste à ne pas avoir signé de nouveau concordat avec le Saint-Siège et n’a toujours pas réglé la question des restitutions des nombreux biens ecclésiastiques confisqués par le régime précédent.

Celle-ci n’est pas en voie d’être résolue. L’opposition sociale-démocrate, qui pourrait prendre les commandes du pays lors des prochaines élections avec le soutien des communistes, a renoué avec son discours ultra-anticlérical de l’entre-deux-guerres et ferraille contre le « cadeau » aux Eglises.

Martin Plichta

* Article paru dans le Monde, édition du 26.09.09.

LE BARS Stéphanie


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