Analyse de la progression de Die Linke

mardi 6 octobre 2009.
 

Par-delà la victoire d’Angela Merkel et la défaite historique des sociaux-démocrates, les 12 % obtenus par la formation de la gauche radicale Die Linke sont assurément un des principaux enseignements des dernières élections législatives allemandes. Dirigée par le charismatique Oskar Lafontaine, Die Linke a été créée par un rapprochement entre le PDS (1) (l’ancien parti communiste est-allemand), des sociaux— démocrates et des syndicalistes de l’Ouest en rupture de ban avec le SPD, qui s’étaient regroupés à l’époque dans la WASG (2). L’ambition de cette nouvelle formation était de constituer une force de résistance à gauche face à un recentrage des sociaux-démocrates, engagé sous l’ère Schröder et amplifié par la participation de ce parti à une grande coalition avec les chrétiens-démocrates entre 2005 et 2009. Le pari de ses dirigeants était de hisser Die Linke au rang des principales formations politiques allemandes pour peser sur le débat. Si les bons scores enregistrés dans plusieurs élections régionales ces derniers mois (résultats permettant à Die Linke de siéger dans des parlements régionaux, y compris à l’Ouest) étaient encourageants, il semble que ce pari soit réussi au regard des scores obtenus lors de ces législatives. Avec près de 12 % des voix, les amis d’Oskar Lafontaine apparaissent donc comme la quatrième force politique, devant les Verts. Mais alors que les écologistes ne sont parvenus à remporter qu’une seule circonscription (à Berlin-Ouest), Die Linke a obtenu 14 mandats directs, preuve de son enracinement et de la capacité de certains de ses candidats à s’imposer sur leur nom. Ces 14 circonscriptions sont toutes situées à l’Est, qu’il s’agisse de quartiers de Berlin-Est (Pankow, Köpenick, Marzahn) ou de villes de province comme Frankfurt/Oder, Magdeburg, Rostock ou Halle par exemple. La géographie du vote en faveur de Die Linke reste très marquée par le clivage est-ouest, y compris à Berlin, où les circonscriptions de l’ancien Berlin-Ouest apparaissent comme un îlot isolé dans un vaste territoire acquis à cette gauche radicale.

Die Linke : en moyenne, 29,8 % à l’est et 8,3 % à l’ouest

À quelques exceptions près, toutes les circonscriptions où Die Linke fait un score supérieur à sa moyenne nationale sont situées à l’est du tracé du mur, qui ressort de manière spectaculaire sur la carte. Ce parti obtient ainsi le niveau impressionnant de 29,8 % en moyenne sur le territoire de l’ancienne RDA contre 8,3 % à l’Ouest.

Si la différence d’implantation et d’audience est bien réelle entre les deux parties du pays, Die Linke apparaissant toujours comme une formation défendant les intérêts des « Ossies » (les habitants de l’ancienne RDA), ce parti est néanmoins parvenu à prendre pied à l’Ouest lors de ces élections législatives. Avec plus de 8 % et une progression de 4,4 points, il ne peut en effet plus être considéré comme faisant de la figuration à l’échelle des anciens Bundesländer. De surcroît, il dispose à l’Ouest d’un certain nombre des points d’appui. C’est le cas de la Sarre, fief d’Oskar Lafontaine qui a longtemps dirigé cette région, où Die Linke obtient de très bons résultats (24 % à Saarbrücken, par exemple) mais aussi dans certaines régions industrielles comme la Ruhr (13,7 % dans la circonscription de Duisburg-2), les grands ports du Nord (15,4 % à Bremerhaven et 13,8 % dans la circonscription de Hamburg-Mitte) ou bien encore le bassin de Kassel (11,2 %) dans le nord de la Hesse. Tous ces territoires, qui sont autant de fiefs historiques du SPD, ont été marqués parallèlement par une baisse - significative du score des - sociaux-démocrates. Tout se passe donc comme si la progression et l’enracinement de Die Linke dans les régions industrielles d’Allemagne de l’Ouest s’expliquaient en partie par un transfert de voix sociales-démocrates, le recul sans précécent du SPD étant également causé par l’abstention d’une part importante de son électorat traditionnel, désorienté par son nouveau positionnement sur les questions sociales et économiques.

Parmi les personnes ayant un emploi, le SPD passe ainsi de 34 % en 2005 à 21 % en 2009, la baisse étant de 7 points parmi les retraités (29 %) et de… 15 points (de 34 % à 19 %) parmi les chômeurs. Dans cette dernière catégorie, Die Linke obtient 31 % (en hausse de 6 points) et surclasse donc très largement les sociaux-démocrates, en devenant le premier parti chez les chômeurs, alors que l’Allemagne est confrontée à une hausse sans précédent du nombre des sans-emploi. Si le parti d’Oskar Lafontaine a donc rencontré un écho important chez les chômeurs (en tout cas, parmi ceux qui sont allés voter), il a également bénéficié d’un vote important dans les catégories populaires.

C’est notamment vrai à l’Est, où Die Linke recueille les suffrages de près de 30 % des ouvriers et des employés (contre à peine 20 % pour le SPD), mais aussi à l’Ouest, où 12 % des ouvriers ont voté pour cette formation. Dans cette partie de l’Allemagne, le vote Die Linke est donc d’abord un vote ouvrier (même si les sociaux-démocrates demeurent loin devant avec 27 % de voix), ce que l’analyse cartographique laissait deviner. À l’Est, il s’agit davantage d’un vote identitaire et très largement « interclassiste », la gauche radicale obtenant plus de 20 % dans toutes les strates de la population, y compris parmi les indépendants et les chefs d’entreprise…

Des Résultats encourageants chez les jeunes

Cette capacité à représenter de larges pans de la société de l’ex-Allemagne de l’Est se retrouve également dans l’analyse du vote par tranches d’âge. Loin de n’être soutenu que par des retraités nostalgiques de la RDA, Die Linke recueille ainsi certes 28 % des suffrages parmi les plus de soixante ans mais pratiquement le même score parmi les moins de trente ans et les trente-quarante-quatre ans. À l’Ouest, on constate également peu d’écarts en termes d’âge, les jeunes étant même un peu plus favorables que les seniors à Die Linke, ce parti souffrant sans doute encore d’un réflexe anti-RDA et anticommuniste dans cette tranche d’âge.

En dépit d’un passé encore assez sulfureux, Die Linke a donc réussi à s’imposer dans le paysage électoral allemand. Ce parti demeure tout-puissant dans ses fiefs de l’Est mais il est également parvenu, sous l’impulsion d’Oskar - Lafontaine, à mordre sur la clientèle traditionnelle du SPD à l’Ouest. Constituée par les - ouvriers et les chômeurs, cette base électorale ne se reconnaît plus dans un SPD, qui a abandonné ses fondamentaux (cette nouvelle ligne ayant d’ailleurs causé à l’époque le départ d’Oskar Lafontaine). L’implantation et le renforcement de la gauche radicale constituent donc un véritable défi pour les sociaux-démocrates, qui vont devoir plus que jamais compter avec la concurrence de Die Linke dans la critique de la politique libérale que la nouvelle majorité CDU-FDP devrait mener.

(1) PDS. Parti du socialisme démocratique.

(2) Alternative électorale, travail et justice sociale.

Par Jérôme Fourquet, directeur adjoint du département opinion de l’IFOP.


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