Une justice tenue en laisse (par Hélène Franco)

samedi 10 octobre 2009.
 

« Un régime se définit d’abord selon la manière dont il traite le pouvoir judiciaire (…). C’est un régime monarchique que celui où le président de la République impose les procédures, révoque les tribunaux et nomme les juges » François Mitterrand, « Le coup d’État permanent » 1965.

Nicolas a ordonné, la commission Léger a obtempéré. C’était attendu de la part d’une commission taillée sur mesure, comprenant même en son sein l’avocat et ami personnel du président de la République. Deux de ses membres, une juge et un journaliste en avaient d’ailleurs démissionné dès ses débuts, ayant compris que les desiderata présidentiels, exprimés lors d’un discours devant la cour de Cassation en janvier dernier, valaient feuille de route impérative.

Le principal point du rapport Léger, remis à son commanditaire le 1er septembre 2009, est la suppression du juge d’instruction, dont les prérogatives seraient dévolues au parquet, avec la possibilité pour la défense et les parties civiles de mener elles-mêmes des actes d’enquête. Il ne s’agit pas d’une simple réforme de la procédure pénale, mais de l’entrée dans un système judiciaire où la lumière sur les infractions les plus graves et les plus complexes serait laissée à la charge d’un parquet dépendant étroitement du pouvoir exécutif. En clair, un juge imparfait mais indépendant serait remplacé par des magistrats tout aussi imparfaits mais placés sous la dépendance directe du ministre de la Justice.

La première conséquence sera la possibilité d’étouffement et de manipulations des enquêtes sensibles par le pouvoir, notamment en matière de délinquance politico-financière. Le statut actuel de dépendance du parquet a d’ailleurs valu à la France d’être condamnée en octobre 2008 par la Cour européenne des Droits de l’Homme au motif que « le procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire, il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour être ainsi qualifié ».

Ce qui est proposé évoque le système états-unien, où chaque partie, accusation d’un côté et défense de l’autre, a la possibilité de mener sa propre enquête. Sauf qu’aux Etats-Unis, le parquet est réellement traité comme une partie et ne dépend pas du gouvernement. La mise en œuvre des propositions Léger nous ferait revenir deux siècles en arrière, à l’époque où existait un « super-procureur » aux ordres du gouvernement qui avait la haute main sur les enquêtes judiciaires. Quels recours auront les victimes d’infractions mettant en cause par exemple des proches du pouvoir ? Aujourd’hui, elles peuvent saisir directement un juge d’instruction en cas d’inaction illégitime du parquet, mais demain ?

La deuxième conséquence des propositions Léger sera l’accentuation de l’inégalité des citoyens devant la justice. Certes, la situation est loin d’être satisfaisante de ce point de vue : les conditions restrictives d’accès à l’aide juridictionnelle et la faiblesse de cette aide sont des obstacles importants à l’accès à la justice. Rappelons que cette aide, qui couvre en totalité ou en partie les frais de procédure, d’expertises et d’honoraires d’avocat, est déclenchée sur la base d’une étude des déclarations fiscales des intéressés au regard de plafonds de ressources définis annuellement par la loi de finances.

Ces dernières années, l’accès à l’aide juridictionnelle n’a cessé de se dégrader : en 2003, alors que le SMIC brut était de 1200 € par mois, l’aide juridictionnelle totale s’obtenait avec des revenus inférieurs à 816 €, et des revenus de 1223 € (un montant très proche du SMIC brut) ouvraient à une aide partielle. Parmi les bénéficiaires de 2003, la moitié ne percevait aucun revenu, 7% percevaient le RMI, un fonds national de solidarité ou une allocation d’insertion, 30% avaient un revenu inférieur à 816 € et 12% un revenu entre 816 et 1223 €. Si le taux d’admission à l’aide juridictionnelle est resté depuis 1992 très élevé de l’ordre de 90%, il peut donc être observé que des personnes ayant des revenus moyens en sont très largement écartées.

Une circulaire du ministère de la Justice du 22 juin 2009 accentuera encore cette situation inégalitaire puisque, alors que les allocataires du RMI étaient admis d’office au bénéfice à l’aide juridictionnelle, les allocataires du RSA devront justifier de la faiblesse de leurs revenus. La nouvelle carte judiciaire imposée par le pouvoir, qui se traduira par la suppression de 200 juridictions, accentuera l’inégalité territoriale. Comment imaginer que dans ce contexte, de simples citoyens, qu’ils soient poursuivis ou plaignants, pourront assumer la charge financière d’actes d’enquête dont ils prendraient l’initiative ? Qui pourra payer par exemple une analyse ADN à 180 € ?

La volonté d’en finir avec le juge d’instruction n’est pas nouvelle, elle peut même se défendre s’il s’agit de transférer ses prérogatives à une formation collégiale de magistrats indépendants. À l’inverse, le système Léger/Sarkozy nous ferait entrer sous le règne de l’arbitraire et de l’inégalité assumée devant la Justice. Le principe démocratique en serait gravement affecté. Le projet de loi est annoncé pour janvier 2010, il est encore temps de se mobiliser pour y faire échec.

Hélène Franco


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