Le renvoi par avion des Afghans de Calais est indécent et incohérent

mardi 20 octobre 2009.
 

Eric Besson, [ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire], a confirmé mercredi 7 octobre que des vols seraient organisés pour rapatrier des réfugiés afghans appréhendés dans la "jungle" de Calais. Direction Kaboul, capitale du pays de "l’éternité en guerre". Ce dispositif, précise le ministre, sera mis en place "sous réserve (que l’on puisse) être certains que les personnes seront en sécurité en arrivant à Kaboul, et deuxièmement qu’il y ait la possibilité d’une aide à la réinstallation..." Subtilité sémantique et incohérence politique rivalisent dans cette décision affligeante, présentée en outre comme "destinée à envoyer un signal de fermeté aux passeurs"... En sanctionnant les clients...

Subtilité sémantique, car, dans le périmètre bunkérisé contrôlé par les forces de la coalition dans la capitale afghane, l’arrivée immédiate se fera en effet en sécurité. Au-delà ? Les Afghans des camps de déplacés internes le savent mieux que quiconque, l’insécurité les a eux-mêmes forcés à quitter leurs régions d’origine. Ensuite, une "aide à la réinstallation" (?) sera proposée aux infortunés migrants de Calais avant de les rendre à cette terre afghane qu’ils ont à toute force voulu quitter, au prix de mille embûches.

Qui n’a pas déjà eu peur ? Qui n’a jamais ressenti cette sourde appréhension, incontrôlable, face à un danger diffus ? Concernant leur perception de la sécurité, les Afghans présents à Calais ont déjà répondu ! Leur présence dans le cul-de-sac sordide de la jungle, sur les plages du Nord, et leurs regards lors de la dernière rafle sont leur réponse, sans équivoque.

Pour qui connaît l’Afghanistan aujourd’hui, c’est une telle évidence que les propos qui accompagnent l’annonce des renvois sont indécents. En Afghanistan, la peur est omniprésente, quasi palpable. On la perçoit dans la concentration préoccupée des troupes d’occupation quand on les observe, sur le qui-vive, patrouillant au sommet de leurs véhicules blindés. On la perçoit dans les consignes de sécurité drastiques auxquelles les équipes humanitaires s’astreignent. Dans leurs périmètres d’action chaque jour plus réduits.

Médecins du monde est présent à Calais mais également à Kaboul depuis de nombreuses années et peut témoigner de la dégradation sécuritaire qui l’oblige à réduire son aide aux populations vulnérables.

Incohérence politique ensuite de pays qui dépensent des millions de dollars pour une guerre présentée comme juste et salvatrice, face au péril extrémiste des talibans et qui rechignent à un geste d’humanité vis-à-vis de quelques centaines de migrants de la peur.

Incohérence politique à vouloir sécuriser "là-bas" et insécuriser "ici" d’autres Afghans, parfois captifs d’autres malfrats. Si, pour punir les bandits on doit chasser leurs proies, alors il faut, dans les meilleurs délais, vider l’Afghanistan de sa population et permettre au contraire une émigration massive des milliers de personnes exposées à la violence et à la coercition ! Incohérence politique de pays qui demandent à leurs armées de payer "le prix du sang " pour protéger les populations locales, comme l’avait évoqué le président Sarkozy lors de sa visite sur place le 22 décembre 2007. A contrario, aujourd’hui, il faut faire vite et renvoyer ceux d’entre eux qui se sont réfugiés à Calais. Mais, Monsieur le président, ce sont les mêmes ! Ici et là-bas ce sont les mêmes ! Quelle cohérence pour les soldats français et pour leurs familles dans ces décisions ? Sont-ils en train de se battre pour un peuple de délinquants ?

Pendant ce temps-là, les images de l’opération policière d’évacuation de la jungle de Calais tournent en boucle sur les chaînes de télévision afghanes. A l’heure d’une information instantanée, mondialisée et manipulée, nul doute que ces images retransmises ne contribueront pas à prouver les bonnes intentions des pays occupants à l’égard de la population civile.

Sous couvert d’une politique de lutte contre la traite d’êtres humains, c’est à ceux qui la subissent que le ministre s’en prend. Le haut commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, s’en est d’ailleurs inquiété : "Les victimes de la traite des êtres humains ne doivent pas être considérées comme ayant commis un délit, il existe des normes internationales reconnues (...) pour protéger les victimes de la traite contre toute responsabilité pénale. Ce ne sont pas les immigrés qui sont des criminels mais les trafiquants." Ces commentaires valent pour toutes les nationalités des réfugiés présents aux abords de Calais.

Dans le même temps, le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) publie son rapport annuel. Le document bouscule un certain nombre d’idées reçues (et médiatisées) sur les volumes et les méfaits supposés de l’immigration dans les pays occidentaux. Il prouve au contraire les effets bénéfiques pour les pays hôtes sur le plan économique et démographique. C’est un véritable réquisitoire contre les politiques antimigratoires. Cherchez l’erreur...

Pierre Micheletti, professeur associé à l’IEP de Grenoble, ancien président de Médecins du monde ;

Olivier Bernard, président de Médecins du monde ;

Bernard Granjon, ancien président de Médecins du monde.


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