Education. La fabrication de l’histoire scolaire

mercredi 5 avril 2017.
 

« La fabrique scolaire de l’histoire. Illusions et désillusions du roman national », sous la direction de Laurence de Cock et Emmanuelle Picard, Editions Agone, 2009, 212 pages, 16 euros.

Tout étudiant et enseignant d’histoire devrait lire au plus vite la dernière publication du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire, fondé au lendemain du vote de la loi du 23 février 2005 qui prescrivait l’enseignement du « rôle positif » de la colonisation. Le premier lieu d’usage public de l’histoire est en effet l’école, à la triple fonction intellectuelle, civique et morale, comme le rappelle Suzanne Citron, la première historienne à avoir décrypté les procédés de fabrication du « roman national » que diffusa l’histoire scolaire sous la Troisième République. Aujourd’hui, la loi d’orientation de 2003 définit encore le « socle commun d’enseignement » comme le « ciment de la nation » ayant pour mission « la construction d’une citoyenneté française et européenne ». L’école devrait apporter réponse aux « demandes d’intégration » des oubliés et des victimes de l’histoire et reconnaître celles des « groupes porteurs de mémoire ». Elle servirait ainsi d’antidote aux « velléités communautaristes » par l’éducation à la tolérance et par la reconnaissance du « patrimoine » commun.

Dans une France pluriculturelle et en crise, comment l’histoire scolaire est-elle donc fabriquée ? Elle est analysée - c’est l’originalité de cet ouvrage très bien coordonné - comme le produit d’une chaine de responsabilités, depuis l’élaboration des programmes, les prescriptions officielles de plus en plus directives, la rédaction des divers manuels et les choix pédagogiques des enseignants face à des élèves aux attentes multiples. Chaque maillon de la fabrique est interrogé à partir d’analyses critiques des programmes du secondaire, de l’enseignement du fait colonial, de la « culture de guerre » et des génocides, sans oublier une esquisse des réceptions par les élèves de la Révolution française. L’histoire scolaire construit l’image que les élites d’une société veulent donner d’elle. Elle exprime une politique du passé qui répond aux préoccupations du présent. Et les enseignants les mieux formés ne peuvent que difficilement résister à cette instrumentalisation par une demande politique.

Les auteurs interrogent. L’enseignement de l’histoire recherche-t-il la formation d’une citoyenneté d’adhésion ou l’apprentissage d’une pensée historique ? L’école doit-elle forger une « identité nationale » en prenant en tutelle les groupes communautaires par des logiques compassionnelles ? Ou doit-elle permettre l’étude des transformations des sociétés et initier à une « intelligibilité globale du monde » ? Aujourd’hui, les notions les plus médiatiques permettant les amalgames les plus grossiers comme « réforme » ou « totalitarisme » sont érigées au rang de concepts. L’histoire économique et sociale, celle des groupes sociaux et des forces politiques comme agents historiques, est quasiment évincée . La conception patrimoniale de l’histoire vient conforter les interprétations les plus conservatrices du passé. N’hésitons pas à dire que le « devoir de mémoire » ne saurait s’imposer au détriment du « devoir d’histoire ».

Jean-Paul Scot ,historien


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