Pierre de Ronsard : Contre les bucherons de la forest de Gastine

lundi 26 octobre 2009.
 

- Quiconque aura premier la main embesongnée
- A te couper, forest, d’une dure congnée,
- Qu’il puisse s’enferrer de son propre baston,
- Et sente en l’estomac la faim d’Erisichton,
- Qui coupa de Cerés le Chesne venerable
- Et qui gourmand de tout, de tout insatiable,
- Les bœufs et les moutons de sa mère esgorgea,
- Puis pressé de la faim, soy-mesme se mangea :
- Ainsi puisse engloutir ses rentes et sa terre,
- Et se devore après par les dents de la guerre.

- Qu’il puisse pour vanger le sang de nos forests,
- Tousjours nouveaux emprunts sur nouveaux interests
- Devoir à l’usurier, et qu’en fin il consomme
- Tout son bien à payer la principale somme.

- Que tousjours sans repos ne face en son cerveau
- Que tramer pour-neant quelque dessein nouveau,
- Porté d’impatience et de fureur diverse,
- Et de mauvais conseil qui les hommes renverse.

- Escoute, Bucheron (arreste un peu le bras)
- Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas,
- Ne vois-tu pas le sang lequel degoute à force
- Des Nymphes qui vivoyent dessous la dure escorce ?
- Sacrilege meurdrier, si on prend un voleur
- Pour piller un butin de bien peu de valeur,
- Combien de feux, de fers, de morts, et de destresses
- Merites-tu, meschant, pour tuer des Déesses ?

- Forest, haute maison des oiseaux bocagers,
- Plus le Cerf solitaire et les Chevreuls legers
- Ne paistront sous ton ombre, et ta verte criniere
- Plus du Soleil d’Esté ne rompra la lumiere.

- Plus l’amoureux Pasteur sur un tronq adossé,
- Enflant son flageolet à quatre trous persé,
- Son mastin à ses pieds, à son flanc la houlette,
- Ne dira plus l’ardeur de sa belle Janette :
- Tout deviendra muet : Echo sera sans voix :
- Tu deviendras campagne, et en lieu de tes bois,
- Dont l’ombrage incertain lentement se remue,
- Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue :
- Tu perdras ton silence, et haletans d’effroy
- Ny Satyres ny Pans ne viendront plus chez toy.

- Adieu vieille forest, le jouët de Zephyre,
- Où premier j’accorday les langues de ma lyre,
- Où premier j’entendi les fleches resonner
- D’Apollon, qui me vint tout le coeur estonner :
- Où premier admirant la belle Calliope,
- Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
- Quand sa main sur le front cent roses me jetta,
- Et de son propre laict Euterpe m’allaita.

- Adieu vieille forest, adieu testes sacrées,
- De tableaux et de fleurs autrefois honorées,
- Maintenant le desdain des passans alterez,
- Qui bruslez en Esté des rayons etherez,
- Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
- Accusent vos meurtriers, et leur disent injures.

- Adieu Chesnes, couronne aux vaillans citoyens,
- Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,
- Qui premiers aux humains donnastes à repaistre,
- Peuples vrayment ingrats, qui n’ont sceu recognoistre
- Les biens receus de vous, peuples vraiment grossiers,
- De massacrer ainsi nos peres nourriciers.

- Que l’homme est malheureux qui au monde se fie !
- Ô Dieux, que véritable est la Philosophie,
- Qui dit que toute chose à la fin perira,
- Et qu’en changeant de forme une autre vestira :
- De Tempé la vallée un jour sera montagne,
- Et la cyme d’Athos une large campagne,
- Neptune quelquefois de blé sera couvert.
- La matiere demeure, et la forme se perd.

Pierre de Ronsard — Elégies


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