« L’EXUBERANCE IRRATIONNELLE DES MARCHES »

mercredi 28 octobre 2009.
 

C’est en quelque sorte un jour historique : le 21 octobre, l’euro a franchi la barre symbolique de 1,50 dollar. Depuis la mi-mars, la monnaie européenne s’est appréciée de 20% par rapport à la devise américaine. Il en résulte une perte de compétitivité pour la plupart des pays de l’UE qui fait écrire au quotidien économique Les Echos : « Pour beaucoup d’entreprises comme Airbus, le taux de 1,50 dollar indique le seuil où l’on passe des profits aux pertes, du vert au rouge. » Réunis début octobre à Istanbul, les ministres des finances du G7 ont dit « surveiller étroitement » l’évolution du marché des changes. Sans résultat... Le rapatriement par les investisseurs américains de leurs avoirs à l’étranger, pour éponger leurs pertes aux Etats-Unis après la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, avait orienté le dollar à la hausse. Mais l’apparente « normalisation » de la situation économique entraîne un redéploiement international des capitaux qui fait plonger le billet vert. A tel point que dans différentes régions du monde, on évoque à voix haute la possibilité de créer une nouvelle monnaie de référence internationale.

Il y a surabondance de dollars. Depuis les années 70, Washington laisse filer les « déficits jumeaux », celui de sa balance commerciale et celui du budget, que les Etats-Unis financent avec leur propre monnaie. Cette situation unique et inique, dénoncée en son temps par le général de Gaulle, a par trop duré. D’autant que les entreprises et les ménages américains ont eu, eux aussi, recours à un endettement massif pour soutenir l’activité et la consommation. Le quadruplement du déficit fédéral opéré par l’administration Obama pour renflouer les banques et tenter de relancer l’économie élève encore le niveau du flot de dollars qui irrigue le monde. Et laisse planer le risque d’une forte poussée inflationniste dans les années à venir, ce que Jacques Attali n’hésite pas à prédire comme un « Weimar mondial ».

Mais si le dollar baisse, le Dow Jones monte, tout comme le CAC 40 et les indices boursiers des principales places financières de la planète. Ce mouvement haussier est bien sûr en rapport avec l’affichage insolent des bénéfices réalisés par les banques et les entreprises qui se sont refait une santé à coups de licenciements et autres restructurations. Sans que les « moralisateurs du capitalisme » y trouvent à redire…Alors que le chômage de masse ne cesse de croître dans les nations industrialisées, le comportement des Bourses nous ramène à « l’exubérance irrationnelle des marchés » que dénonçait dans les années 90 Alan Greenspan, alors à la tête de la Réserve fédérale américaine et lui-même largement responsable de la formation des bulles de crédit qui ont fini par mettre à mal lesdits marchés.

La réalité et les perspectives d’avenir ne devraient pourtant pas inciter à un optimisme confinant à l’aveuglement. La crise accélère la recomposition planétaire du capitalisme et confirme le rôle prépondérant attribué à la zone Asie- Pacifique. Les prévisions de croissance pour l’année 2009 se chiffrent à 8% pour la Chine et 6% pour l’Inde ! Aussi l’essayiste Nicolas Bavrez, libéral mais lucide, n’a-t-il pas tort de doucher l’enthousiasme de ceux qui croient au mirage de la reprise : « Au sein de cette grande transformation de la mondialisation, l’Europe est sous la double menace d’une stagdéflation à la japonaise et d’un déclassement vis-à-vis des Etats-Unis et de l’Asie. Elle conjugue vieillissement démographique, surendettement et sous-compétitivité – sauf l’Allemagne. Son salut ne peut venir que de la reconstitution d’un appareil productif performant, indissociable de la réindustrialisation ». Certes, mais la reconstitution de l’appareil productif est simplement impensable sans la résurrection d’un Etat républicain qui serait le poumon de la politique économique. Il revient à la gauche d’en faire le socle de son programme.

« L’EXUBERANCE IRRATIONNELLE DES MARCHES », SUITE ET NON FIN…

« Nous sommes dans une opération de mise en scène et de méthode Coué. La plupart des consommateurs américains ne connaissent pas d’autre baromètre économique que la Bourse. On essaye d’établir un lien malhonnête. Le public, voyant la Bourse remonter, doit se dire que la crise va finir. Cela permet effectivement de gagner du temps, mais c’est un mauvais calcul… »

par Paul Jorion, économiste et universitaire.

Au cours des derniers jours, plusieurs organes de presse ont consacré articles et dossiers à ce que le supplément économie du Monde (édition du 3 novembre) n’hésite pas à qualifier de « grand retour de la bulle spéculative

 ». Et nombreux sont les économistes à abonder dans le même sens en dépit du ronronnement officiel sur la « sortie de crise ». En prolongement du dernier numéro de Combat Républicain, nous présentons à nos lecteurs chiffres et commentaires puisés dans l’actualité.

Tout d’abord un constat. Suite à l’injection de centaines de milliards de dollars par les banques centrales afin de renflouer les établissements financiers et l’industrie automobile, l’accroissement sans précédent des liquidités mondiales réalimente la spéculation. Presque tous les prix flambent : les titres d’emprunt d’Etat, l’or, le pétrole, une large gamme de matières premières, en particulier les métaux. Et les actions, surtout en Asie, bien au-delà de toute rationalité économique. Ainsi, la Bourse de Shanghaï a progressé de 63% depuis le début de l’année. A la Bourse de Taïwan, les valeurs des actions représentent 100 fois les bénéfices des sociétés, 90 fois en Australie, contre 13 fois à Paris. Au niveau mondial, la hausse est généra-lisée depuis le 1er janvier : +13,5% pour le Dow Jones, +33% pour le Nasdaq, +15% pour les indices français, anglais, allemand, italien ou suisse...

« La liquidité mondiale n’a jamais progressé aussi vite, explique Patrick Artus, responsable de la recherche économique chez Natixis. De 1990 à 2007, la monnaie en circulation, estimée sur la base des bilans des banques centrales, progressait de 15% par an en moyenne ; aujourd’hui, le rythme est de plus de 30% ». Exprimant la même idée, les économistes de Barclays calculent que 1 300 milliards de dollars de bons du Trésor américains seront émis en 2009 et 900 milliards de titres d’emprunt en Europe. Encore Patrick Artus : « En 1990, la base monétaire représentait 4% du PIB mondial ; aujourd’hui, c’est 21% ! »

Or que font les investisseurs pour placer tout cet argent ? Ils achètent tour à tour des actifs sur le marché immobilier, sur celui des matières premières, des actions ou des obligations, créant autant de « bulles spéculatives » déconnectées de l’économie réelle. Au risque de frapper durement les populations les plus pauvres lorsque la flambée des prix des produits de premières nécessités aboutit à des émeutes de la faim. Au risque aussi de faire payer à la société toute entière les conséquences négatives de l’explosion de telles bulles, comme ce fut le cas en 2008 avec le retournement brutal du marché de l’immobilier américain.

Le monde est donc confronté à un dilemme redoutable. Que l’on durcisse par trop les politiques monétaires et c’est la reprise économique qui s’en verrait brisée ; que l’on émette des liquidités en abondance et la finance se remet à faire des bulles !

Sortir de l’impasse appelle donc une réponse politique que les gouvernements libéraux sont bien incapables de fournir. Il est impératif de mettre hors d’état de nuire la spéculation, d’imposer des gardefous afin de protéger la production du parasitage de la finance. Faute de cette volonté, faute de se donner les moyens d’agir pour inverser le cours des choses, l’humanité demeurera prise.


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