Investiture socialiste pour les présidentielles : quand tant de gens sont désorientés, il y a un devoir de résistance. Balayons tout d’abord chez nous ! (interview de Jean-Luc Mélenchon)

dimanche 15 octobre 2006.
Source : Le Parisien
 

Jean Luc Mélenchon "invité du dimanche" du Parisien

Chaque dimanche, une personnalité commente l’actualité. Aujourd’hui : Jean-Luc Mélenchon, sénateur PS de l’Essonne, ancien ministre, figure de la gauche du PS.

On a le sentiment que, comme beaucoup, vous avez été pris de court par le « phénomène Royal »...

Au PS, j’ai été habitué depuis toujours à des débats d’idées. Que la scène publique soit aujourd’hui, en fait de débat, occupée à ce point par le problème des apparences -physiques, voire sexuées- est, pour moi, une chose assez nouvelle, que je déplore. L’essentiel avance masqué. On assiste en France au même « phénomène » que dans les autres partis sociaux-démocrates européens où l’aile droite dite « moderniste » l’a depuis longtemps emporté.

Sous cet angle, les choses sont claires : le PS a le choix de se mettre -ou non- au diapason des partis de Blair, de Schröder, de Zapatero, des partis de l’Europe du nord qui ont tous mis la question sociale entre parenthèses au profit de préoccupations qui sont d’ordinaire les priorités de la droite : les mœurs, la famille, l’ordre. S’aligner ou pas ?

Tel est donc l’enjeu. Ce qui me surprend et même me sidère, je l’admets, c’est la méthode utilisée. Un véritable phénomène d’hallucination collective. Et maintenant la meilleure : on ne pourrait même plus dialoguer entre socialistes sur un plateau de télé ! C’est triste !

« Hallucination, », vous y allez fort !

Que faudrait-il dire quand on ne chiffre, par exemple, aucune proposition faite ? Un exemple : Ségolène royal a dit qu’au premier acte de délinquance commis par un jeune elle souhaite les envoyer dans des centres encadrés par des militaires. Cela fait combien de jeunes par an, à votre avis ? Je vous le dis : 48 000. Soit prequ’autant que la population carcérale totale actuelle. Cette proposition-là n’a donc aucun sens. Personne ne réagis.

Il y aura mardi un premier débat télévisé...

J’ai cru comprendre que Ségolène Royal, après avoir pourtant posé beaucoup de conditions, n’exclut pas de « s’affranchir » de certains de débats prévus...

Cela vous choquerait ?

Oui. Et je pense que je ne serais pas le seul. Les Français ne sont pas sots : ils comprendraient, dans ce cas, qu’il y a un problème, et un problème sérieux.

Discuter, cela veut dire quoi ?

C’est avoir un vrai débat, sans trucage. On se réclame de la démocratie participative, et on souhaite que les trois socialistes ne se parlent pas directement, n’échangent pas d’arguments. Quelle comédie !

La vraie compétition, pour vous, c’est Royal-Fabius ?

Oui, mais il y a trois candidats, et trois orientations différentes, mais légitimes. Royal, c’est la droite de la social-démocratie : on survalorise les questions sociétales et on juge habile tactiquement de reprendre les mots de l’adversaire. C’est une ligne désastreuse...

Mais ceux qui l’ont appliquée ou l’appliquent gouvernent en Europe !

Dans des conditions qui ne nous font pas toujours honneur ! La politique du parti travailliste anglais n’est pas de gauche, les amis de Schröder gouvernent en Allemagne avec la droite. Quand a l’Europe du nord nous voici rendu au point où les conservateurs peuvent se présenter de façon crédible comme les vrais défenseurs des travailleurs ! Quel aveuglement ! Dans le même temps, partout en Europe, c’est la montée de l’extrême-droite. Il est vraiment urgent de trouver autre chose que des formules de marketing pour réagir !

Le second choix, pour les militants PS, c’est Dominique Strauss-Kahn...

Lui, c’est la candidature de nostalgie. La nostalgie du bon vieux temps quand le social-démocratie européenne arrivait à faire des compromis avec le patronat parce qu’il y avait du grain à moudre. Mais le capitalisme a changé. La finance transnationale le domine. Il faut inventer une nouvelle stratégie de n égociation.

Reste votre ami Fabius...

Oui, j’ai choisi Fabius. C’est un choix de raison. Il a la stature d’un homme d’Etat ; sa priorité c’est le social au moment où le pays est divisé comme jamais par l’inégalité des revenus. Le pouvoir d’achat est la question clef. Puis Fabius défend de façon intransigeante la laïcité de l’Etat. Et il croit à une société d’économie mixte, où le secteur public a -sans complexes- un rôle à jouer. Enfin il a su dire non à la Constitution européenne ! Nous aurons besoin d’un président de ce type quand il faudra s’asseoir à la table des 25 pour y présider, au nom de la France, l’Union.

Permettez-moi d’ajouter que le début de pré-campagne nous fait faire des découvertes. Comme Ségolène Royal n’avait jamais participé jusqu’ici à l’un quelconque des débats majeurs qui ont marqué la vie du PS et du pays, personne ne savait ce à quoi elle croyait. A présent nous découvrons au travers ses prises de positions claires -sur la sécurité, sur les 35 heures, sur la carte scolaire- qu’elle prend des distances sévères avec les positions du PS. Ou bien alors, comme sur la Turquie, elle se déclare par avance d’accord avec ce que décidera le moment venu le peuple français.

C’est là une approche très discutable du rôle du président : il ne propose pas, il suit. A ce compte-là, pourquoi Ségolène Royal n’a-t-elle pas emboîté le pas des tenants du non à la Constitution : le peuple ne s’est-il pas exprimé ? J’insiste : spécialement sur les dossiers qui engagent lourdement la vie du pays, les candidats n’ont pas le droit -moral et politique- de dire qu’ils n’ont pas d’avis.

Comment va finir cette campagne interne ?

Si je savais !... Nous ferons pour le mieux. Les médias pipolisent notre débat et, en plus, 80 000 personnes viennent d’adhérer chez nous à tarif réduit pour désigner le candidat mais sans qu’on les éclaire sur notre histoire collective et sur les enjeux. Il y a en tout cas une certitude : ce n’est pas un match entre la gazelle et les éléphants car tous les éléphants du parti font bloc derrière Ségolène. Le féminin d’éléphant, ce n’est gazelle !

Vos adversaires vont dire que vous n’avez pas un mot contre la droite...

Encore faudrait-il qu’on m’interroge à ce sujet ! Je parle du PS car, en l’état, c’est au PS que nous avons un choix crucial à faire. Mais, au fond, la droite vit une crise semblable à la notre. Allez suivre le débat au Sénat sur la fusion GDF Suez : non seulement toutes les cartes ne sont pas sur la table mais, dans une ambiance crépusculaire, aucun ténor de droite ne prend la parole.

En fait la masse du petit peuple de droite n’aime pas la libéralisme, n’aime pas la richesse arrogante et croit à l’Etat, aux valeurs du travail bien fait et bien payé. Mais, comme nous, ils se sont faits piquer les clés de la voiture par des libéraux, et ils ne peuvent plus descendre en marche !

L’extrême-droite, à vous entendre, aurait de quoi engranger ?

Quand la gauche et la droite de gouvernement reprennent à leur compte des propos de comptoir -sur l’immigration, sur la sécurité- elles donnent du crédit à ceux qui en font leur projet. Attention : sur cette pente, cela finira très mal car l’électeur préfère toujours l’original à la copie. J’adhère à la mise en garde solennelle de Fabius : au moment où Sarkozy -qui d’ailleurs semble chercher à corriger le tir- court derrière Le Pen, ce n’est sûrement pas le moment pour la gauche de courir derrière Sarkozy. Oui, quand tant de gens sont désorientés, l’extrême droite peut beaucoup engranger. Il y a donc un devoir de résistance. Balayons tout d’abord chez nous !


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message