Que projette l’opération xénophobe de Sarkozy sur l’identité nationale ?

lundi 9 novembre 2009.
 

PAR JÉRÔME VALLUY, PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE POLITIQUE DE L’ACTION PUBLIQUE À L’UNIVERSITÉ PANTHÉON-SORBONNE (PARIS-I).

Le communiqué d’Éric Besson pour « un grand débat sur l’identité nationale » du 2 novembre au 28 février ne prévoit de débattre ni des questions ni des réponses. Les premières sont imposées, qui opposent la nation à l’étranger ; les secondes aussi, qui imposent une conception traditionaliste de la nation et la stigmatisation de l’étranger comme problème. Ce n’est pas l’ouverture d’un débat mais une lettre de cadrage de la campagne électorale pour les régionales de mars 2010.

Le tollé était attendu : la finalité première est de susciter une controverse. L’« obligation pour l’ensemble des jeunes Français de chanter, au moins une fois par an, le cas échéant après une séance pédagogique sur ce thème, l’hymne national », si elle devait être juridique, n’aurait pas de précédent dans l’histoire de la République depuis 1945. L’invention d’une scolarité pour étrangers dans les préfectures et les projets d’examens de bonne identité française prolongent la stigmatisation des étrangers comme parias voués aux contrôles policiers. Tout semble pensé pour provoquer des réactions. Ces provocations créent des affrontements politiques et des polémiques qui masquent dans l’espace public d’autres problèmes : le chômage et la crise qui s’aggravent pour certains ; les privilèges qui bénéficient à d’autres, ainsi que les affaires, de Frédéric Mitterrand au prince Jean Sarkozy.

L’initiative permet aussi d’imposer à la campagne électorale le sujet souhaité par Nicolas Sarkozy : l’identité nationale. Des trois gisements rhétoriques et identitaires de la droite – le marché, l’ordre et la nation –, deux sont peu exploitables par lui : la référence au marché devient moins crédible quand le marasme économique s’aggrave ; la référence sécuritaire est moins exploitable pour qui en a usé depuis longtemps, conduit les politiques concernées et assume la responsabilité de leurs résultats. Reste la nation. Par défaut, le seul créneau électoral du sarkozysme est le nationalisme…

Cette stratégie bénéficie des tendances historiques en France comme en Europe de stigmatisation de l’étranger comme problème, risque ou menace. Le bénéfice s’accroît en raison d’une crise économique majeure qui devrait les renforcer. Et elle permet d’absorber une partie de l’électorat d’extrême droite tout en propulsant sa croissance par diffusion d’idées nationalistes et xénophobes avec une audience et une légitimité étatique sans précédent depuis les années 1930. Après l’invention du ministère de l’Identité nationale, les discours sur l’Afrique, les tests ADN, les campagnes de charters…, l’obligation de chanter l’hymne national et les cours en préfecture pour devenir bon Français ne sont qu’un prolongement : il faut s’attendre, au 28 février, juste avant les régionales, à des annonces qui, comme celle de création d’un ministère de l’Identité nationale avant les présidentielles, seront ensuite mises en oeuvre, faisant franchir au pays un nouveau seuil dans l’institutionnalisation du nationalisme et de la xénophobie. Il faut s’attendre aussi à voir cette stratégie perdurer dans les années qui viennent, notamment pour les présidentielles de 2012.

Autre aspect important : l’instrumentalisation électorale des préfets. Les partis au pouvoir ont toujours cette tentation d’utiliser à leur bénéfice privé les moyens publics dans la joute électorale. Mais ce communiqué qui semble adressé aux préfets rompt une tradition républicaine qui voit en eux les gardiens neutres de la procédure démocratique. En sommant les 100 préfets de département, les 350 sous-préfets d’arrondissement et le corps préfectoral d’animer ces « débats » dont les tenants et aboutissants sont idéologiquement fixés au seul bénéfice d’un parti, Nicolas Sarkozy transforme ces grands commis de l’État en petits commis de sa stratégie. Et comme une large part des « forces vives de la nation », appelées à participer à ces « débats », le refuseront probablement (« mouvements associatifs, enseignants, élèves et parents d’élèves de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, organisations syndicales »), les préfets risquent de ne réunir que les « représentants des anciens combattants et des associations patriotiques » ainsi que la droite des « chefs d’entreprise [et des] élus locaux », ce qui achèvera de les transformer en serviteurs non de l’État mais de la stratégie de pouvoir de Nicolas Sarkozy, renouant ainsi avec une conception bonapartiste du corps préfectoral que l’on pouvait croire d’un autre siècle.

(*) Dernier ouvrage publié : Rejet des exilés. Le grand retournement du droit de l’asile. Éditions du Croquant, 2009

Source TERRA : http://www.humanite.fr


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