Mexique : Conclusions et recommandations de la Fédération Internationale des Droits Humains (FIDH), à l’occasion de la fin des séances du Tribunal International de la Liberté Syndicale

mardi 10 novembre 2009.
 

Le gouvernement mexicain viole gravement les droits fondamentaux du travail et met en danger la paix publique.

Mexico, 25 octobre 2009

1.

Au Mexique, les niveaux de pauvreté et d’inégalité sociale sont énormes, ce qui pousse à réfléchir sur l’impact du modèle économique en cours, la gouvernance démocratique, la paix sociale.

Cette dégradation progressive de l’Etat de Droit Social est consacrée dans la Constitution Politique Mexicaine. Les faiblesses et absence d’organisation institutionnelles s’expriment, entre autres, par l’emploi abusif de l’institution publique pour servir des intérêts privés plutôt que les intérêts nationaux du peuple mexicain. Cela se traduit, en ce qui concerne ce Tribunal, par l’absence d’une justice du travail indépendante, avec des exceptions qui n’affectent pas la tendance générale.

2.

Ce modèle économique qui cherche à privatiser et qui, dans la pratique a été mis en place par la violence, au moyen d’externalisations et sous-traitances de services ou encore d’attributions de ressources stratégiques mexicaines telle que sa richesse énergétique, minérale ou d’hydrocarbures, est un modèle qui a provoqué la fermeture de l’entreprise « Luz y Fuerza » du Centre et jeté 44000 travailleurs à la rue.

3.

Le Mexique possède un énorme potentiel géostratégique mais, contrairement aux pays du sud-est asiatique qui ont protégé et développé leurs industries, le Mexique, sur décision de ses derniers gouvernants, a choisi d’adopter la globalisation qui ouvre les portes de son économie au capital et aux biens étrangers. Les traités de libre concurrence peuvent favoriser certaines élites économiques mais ont des effets très néfastes sur les petites et moyennes entreprises -pmipme-, qui n’ont pas de capacité de reconversion industrielle et se voient condamnées à la faillite. Cet effet néfaste, face au droit au développement, affecte également le droit au travail de milliers de mexicains et de mexicaines, ce qu’a mis en évidence le Traité de Libre Echange d’Amérique du Nord -TLCAN- concernant la production et l’emploi agricole et, par voie de conséquence, affectant d’autres droits humains comme le droit à la nourriture.

4.

Avoir ouvert, par des traités de libre échange, les portes du Mexique à des économies plus développées, stimule la course vers le bas ; cela implique aussi bien la dégradation de la protection environnementale que le sacrifice des droits du travail. Ceci a été imposé « sine qua non » aux économies les plus faibles afin d’offrir, à moindre coût, une production sacrifiant les travailleuses et les travailleurs. Phénomène qu’illustrent bien les zones franches et les entreprises de sous-traitance et leurs graves répercussions sur le droit de la liberté syndicale et la négociation collective.

5.

Ce modèle s’oppose au modèle de développement prévu dans la Constitution Politique Mexicaine, dans ses articles 25, 26, 27 et 28, modèle qui garantit un état contrôlant l’économie, protégeant le travailleur ainsi que d’autres secteurs exclus, ordonnant le contrôle des ressources stratégiques essentielles de la nation mexicaine nécessaires à son développement économique. Il est regrettable que la Constitution de 1917de Queretaro, pionnière des démocraties du XXème siècle, soit démantelée, à l’aube du XXIème siècle sans même avoir été réformée formellement.

6.

En 87 et 98, les violations des conventions fondamentales du travail accompagnent d’autres graves violations des droits humains tels que des attentats contre le droit à la vie, à l’intégrité physique, la privation arbitraire de liberté, la discrimination, la diffamation, l’utilisation de listes noires, harcèlements sexuels et autres pratiques illégales, qui ont aboutis à autoriser le développement des nommés « groupes de frappeurs », sortes de structures paramilitaires, qui ne sont réprimées ni par la force publique ni par les autorités judiciaires. Cette dangereuse impunité stimule le fait que des intérêts privés et corrompus du capital portent atteinte non seulement aux droits individuels mais aussi à l’institution démocratique.

Au regard de tout ce qui est énoncé ci-dessus, nous demandons :

1.

A l’Etat mexicain de respecter pleinement les recommandations du Comité du Pacte de Droits Sociaux, Economiques et Culturels de 2006 ainsi que les récentes recommandations du Conseil des Droits Humains des Nations Unies après l’examen périodique universel auquel s’est soumis le Mexique l’année dernière.

2.

Au gouvernement mexicain de respecter le principe de progressivité envisagé dans divers pactes qu’il a ratifiés ou promus, pour ne pas dévaloriser les conquêtes sociales et le modèle de développement qu’établit la Constitution mexicaine.

3.

A l’Etat mexicain, au niveau fédéral et aux états fédéraux dans leurs divers organismes de pouvoir public, de reconnaitre la primauté du droit international des droits de l’homme et, en particulier, du droit international du travail, pour ainsi contribuer à l’enracinement de la démocratie et de la paix sociale au Mexique.

4.

Au bureau de la Haute Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies, de réaliser des études d’impacts sur les accords de libre échange sur les droits humains et, en particulier, le droit du travail, les droits fondamentaux du travail et de la protection environnementale.

5.

Aux organisations de la société civile mexicaine, en particulier aux organisations syndicales, d’utiliser plus fréquemment les mécanismes des Nations Unies et de la OEA qui protègent les droits humains.

Enfin, au nom de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme -FIDH-, nous voulons exprimer notre solidarité active et ouverte avec le Syndicat Mexicain des Electriciens (SME). Il ne s’agit pas seulement d’un conflit pour la défense du droit du travail, il s’agit d’une décision qui, par son importance et ses effets, dépasse les frontières mexicaines en attentant contre le droit international des droits de l’homme et contre le droit international du travail. Si cet arbitraire prospérait, il se créerait un précédant néfaste qui, non seulement mettrait en danger la paix publique mais aussi la raison d’être des institutions démocratiques. Le gouvernement mexicain, en niant l’existence du SME, doit tenir compte du fait que le SME existe et continuera à exister pour la communauté internationale et que la solidarité mondiale grandira en même temps que la mobilisation du peuple mexicain pour défendre ses droits fondamentaux !

Luis Guillermo Pérez Casas

Secrétaire Général du FIDH

Membre du jury du Tribunal International sur la Liberté Syndicale.

Traduction par Françoise Bague


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