Identité nationale : Derrière la manœuvre électorale,
la conquête d’une hégémonie

lundi 16 novembre 2009.
 

Pourquoi faut-il prendre au sérieux l’opération identité nationale de Sarkozy  ?

Le combat idéologique engagé par 
Nicolas Sarkozy autour de l’identité nationale peut-il être réduit à une simple manœuvre électorale contre la gauche ou politicienne vis-à-vis du Front national  ? Je ne le pense pas. Au-delà de la conjoncture actuelle il y a, me semble-t-il, la volonté chez lui de donner de l’ampleur à l’objectif qu’il s’était fixé dès sa prise de pouvoir au sein de l’UMP  : rassembler toutes les sensibilités de la droite française autour d’un projet qui refondrait, dans les conditions nouvelles de la mondialisation capitaliste, son efficacité sociale, idéologique et politique. Ce projet que l’on nommera, faute de mieux, libéral-populiste, a l’ambition, de rassembler sur la longue durée une majorité de notre peuple, particulièrement ses catégories populaires, autour des valeurs historiquement les plus conservatrices de la droite nationale en prenant la précaution de les teinter de modernité et d’obtenir la caution de personnalités prétendument de gauche  : la fascination pour la réussite individuelle, la valorisation inégalitaire du mérite au sein d’une concurrence définie comme naturelle, l’amour de la famille, de la terre et de la patrie, la passion du patrimoine, de l’argent et de la propriété, les attaques contre la laïcité prônant le retour du religieux comme mode de régulation sociale et comme référent symbolique, la légitimation de l’autorité dans toutes les sphères de la société, l’appel à la génétique pour définir les déviances sociales, sont autant de thèmes travaillés à longueur de discours et dont on aurait tort de sous-estimer l’impact par ces temps où la crise pousse à la perte et à la recomposition des repères.

Face à une aggravation brutale des effets sociaux de la crise du capitalisme mondialisé qu’ils savent inéluctable, les tenants du système sont aujourd’hui convaincus que la poursuite de cette domination passe par la reconquête d’une hégémonie culturelle et idéologique qui tente de refonder les termes d’un nouveau pacte national et social. D’où la passion récente de Sarkozy pour Gramsci et sa volonté répétée de mener et de gagner la bataille des idées.

Réduire la campagne sur l’identité nationale à un simple électoralisme, c’est s’interdire de voir l’ampleur de l’offensive idéologique, ses contenus comme son ambition  : accompagner et permettre l’actuelle déréglementation sociale généralisée et l’attaque frontale contre la démocratie à tous les échelons. Quant à ceux qui à gauche s’imaginent résoudre le problème en raillant ces thèmes rétrogrades, voire en s’exclamant « chiche  ! » l’histoire récente a montré qu’ils ne font que conforter et légitimer le pouvoir en place.

L’identité nationale est un concept dangereux parce qu’il renvoie à une vision figée, linéaire, consensuelle de la nation française. Il n’y a pas d’identité collective homogène mais des traits identitaires, des formes d’appartenance et de référence symboliques à une histoire elle-même complexe et par certains aspects contradictoire. Les représentations collectives sont des « objets chauds » au sens lévi-straussien du terme, toujours en évolution, en dynamique permanente.

Pour m’en tenir à la seule dimension politique de ces représentations, celles-ci se sont construites en France depuis la Révolution française autour des combats émancipateurs symboliquement définis par la devise républicaine, liberté, égalité, fraternité, actualisées à chaque étape d’une histoire contradictoire qui a opposé les acteurs de la Commune, du Front populaire, de la Résistance, de la solidarité internationale, de Mai 68 à une droite majoritairement belliciste et colonialiste, pétainiste et collaborationniste, anticommuniste et antisociale.

C’est dans ce contexte que s’est également construit notre rapport à l’immigration, à laquelle le patronat français a largement fait appel pour des raisons purement économiques et démographiques. Là aussi le mouvement ouvrier, particulièrement au siècle dernier, a opposé à cette logique le droit du sol, le syndicalisme unique, l’universalité de ses valeurs et une intégration politique. Certes, ce modèle était culturellement assimilationniste et sa crise renvoie non seulement à la mutation radicale des modes de production mais aussi à une aspiration des migrants d’aujourd’hui à faire vivre la diversité culturelle dont ils sont porteurs, parfois même de la pire des manières, le communautarisme. À nous de leur proposer d’inventer ensemble, contre la politique d’exclusion Sarkozy-Besson, un nouveau modèle fondé tout à la fois sur la libre circulation des individus, sur l’égalité des droits, sur le refus de toute discrimination, le respect de l’altérité culturelle tout en favorisant l’échange, le métissage et les combats communs.

Plus largement, contre l’idéologie rétrograde de l’identité nationale, nous ne ferons pas, à gauche, l’économie d’une contre-offensive sur le terrain des idées qui suppose une refondation autour d’un projet politique réinventant l’utopie émancipatrice. Un projet de transformation sociale, écologique, démocratique et culturelle en opposition radicale avec le libéral-populisme sarkozyste et en rupture avec le soviétisme dont on célèbre la chute, il y a vingt ans déjà, comme avec la social-démocratie, dont on commence tout autant à percevoir l’échec.

PAR ALAIN HAYOT, ETHNOSOCIOLOGUE, DÉLÉGUÉ NATIONAL DU PCF À LA CULTURE.


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