« Le PCF veut être au cœur de la gauche, et non faire une « petite gauche » (interview de Pierre Laurent, n°2 du PCF, dans Mediapart)

mardi 1er décembre 2009.
 

Good bye le spleen, pour les communistes français ? Après deux week-ends de « conférences régionales » réunissant élus et cadres locaux, la base intermédiaire a globalement approuvé la stratégie du Front de gauche proposée par la direction nationale du PCF, en vue des prochaines élections régionales.

Dans un entretien à Mediapart, le n◦2 du PCF (et ancien directeur de la rédaction de L’Humanité), Pierre Laurent, explique sa volonté de participer aux exécutifs régionaux aux côtés du PS et d’Europe-Ecologie (mais pas du MoDem), estimant que cette échéance électorale sera le point de départ d’une recomposition à gauche.

La proposition du Front de gauche (indépendant du PS au premier tour) devrait être largement majoritaire lors du vote militant. On parle souvent au PCF d’une base plus radicale que ses élus, davantage gestionnaires et habitués au compromis ?

Ces conférences ont réuni près de 2300 délégués, et 80% de ces délégués se sont prononcés pour des stratégies de Front de gauche au premier tour. Cette large approbation devrait être confirmée par le vote des militants. Il y a plusieurs régions où le résultat est serré et partagé, où les militants trancheront. Je tiens à dire que dans ces régions le débat peut s’entendre, car le rapport des forces peut y être difficile pour le Front de gauche. Dans ces cas, ce n’est pas la stratégie nationale qui est remise en cause, mais ses chances de réussite électorale au niveau local. On sent une volonté très forte d’approfondir la démarche des européennes.

Que le militant soit élu ou ne le soit pas, le point de vue est le même. Ce qui est vrai, c’est qu’il y a aussi dans ce débat un attachement des élus communistes à défendre l’importance et l’intérêt de leur rôle et de leur travail, tout comme la difficulté d’obtenir des avancées dans un rapport de force qui se complique. C’est ce rapport de force qu’on doit améliorer au premier tour. Il y a donc convergence entre les attentes de tous.

Le parti communiste français semble toujours être tiraillé entre la participation au pouvoir et la radicalité. Comment l’expliquez-vous ?

Le rapport aux institutions est profond dans le PCF et lui a permis d’être un grand parti dans l’histoire de la République française. Défendre un ancrage social et le porter jusque sur les bancs des assemblées, voilà ce qui a longtemps fait la force et l’importance du communisme français. Le programme du conseil national de la résistance reste un exemple de participation au pouvoir, où on a obtenu la sécurité sociale ou des nationalisations, malgré un contexte politique peu favorable. De même l’ancrage territorial du PCF aujourd’hui est le résultat de politiques locales, sociales ou culturelles, impulsées par nos élus depuis plusieurs dizaines d’années. Et ce serait une folie, dans le contexte actuel d’un Sarkozy voulant s’attaquer aux collectivités locales, que de déserter le terrain de l’exercice du pouvoir. Cela ne veut pas dire qu’il faut abandonner tout rapport de force.

Il y a un ancrage du communisme dans l’histoire de la Nation, malgré le déclin politique et électoral. Notre histoire est inscrite dans la culture nationale, notamment parce qu’on a toujours cherché à mettre les mains dans le cambouis. C’est aussi lié à la tradi- tion démocratique et républicaine française : avoir construit dans des luttes un rapport de force, mais aussi être des acteurs politiques. Ça marque l’histoire du pays, mais ça marque aussi l’histoire du parti.

Vous avez affiché votre hostilité face au MoDem comme préalable à tout accord avec le PS. Mais qu’en est-il précisément ? Que vous interdisez-vous concrètement lors de l’entre-deux tours des régionales ?

On ne souhaite aucune alliance ni sur les listes, ni dans les exécutifs, car on estime que la gauche a les moyens de gagner, sans donner comme signe politique qu’elle a besoin pour cela d’une partie de la droite. Maintenant, il faut être lucide. La question de la recomposition politique ne se joue pas seulement à travers la question du MoDem, et traverse également les socialistes et les écologistes. Le débat de cette recomposition de la gauche doit-elle tourner autour d’une résignation et d’un accompagnement du mieux possible des logiques libérales dominantes, ou peut-il avoir comme point de départ le fait que c’est cette logique qui nous a emmenés dans le mur ?

La volonté d’infliger une défaite à la droite ne peut-elle pas justifier une ouverture à ceux qui sont aujourd’hui dans l’opposition à Nicolas Sarkozy ?

Beaucoup de gens cherchent en ce moment le meilleur moyen de faire barrage à Sarkozy. Des gens qui se cherchent politiquement, qui ne votent pas de la même façon élection après élection. Mais est-ce que ça signifie que le seul programme pouvant cimenter une majorité alternative doit reposer sur le seul antisarkozysme, qui n’est qu’une addition électorale incertaine sur le papier ? Nous ne le pensons pas. Au contraire, il faut mettre en œuvre d’autres politiques. Si nous ne levons pas les doutes sur la possibilité d’une réelle alternative, on va laisser beaucoup de monde dans l’abstention. On peut ne plus vouloir de Sarkozy, mais pas forcément se déplacer si ce que l’on propose en face ne donne pas l’impression d’un vrai changement et de politiques très différentes. Si on reste dans le mi-chèvre mi-chou, on ne convaincra pas. Cela étant dit, il faut aussi s’adresser à ceux qui cherchent une issue, y compris dans l’électorat du MoDem.

Mais comment vouloir déplacer le centre de gravité des majorités à gauche, ce qui est l’enjeu affiché du PCF à ses régionales, tout en s’adressant aussi à l’électorat MoDem ?

Je ne pense pas qu’aujourd’hui les électeurs se déplacent en fonction des étiquettes politiques. Les repères partisans ne jouent plus un rôle structurant et sont beaucoup plus mouvants : désormais, on regarde sérieusement les idées et l’offre politique des uns et des autres. A nous d’avoir la meilleure. Qui pouvait prévoir les 18% de Bayrou en 2007, les 16% d’Europe-Ecologie, ou même que le Front de gauche serait devant le NPA aux européennes ? Il y a en ce moment de nombreux électeurs de Sarkozy qui peuvent voter tout à fait différemment aujourd’hui. La gauche a besoin de croire en elle-même et ne doit plus avoir peur du projet qu’elle met sur la table.

Comment vivez-vous le fait d’avoir été « assimilé » au rassemblement de Vincent Peillon à Dijon le week-end dernier ? N’y a-t-il pas une mauvaise manière du PS à inviter sur ses listes Robert Hue et ses amis, qui critiquent durement le PCF aujourd’hui ?

Je le vis mal, car le PCF n’est pas embringué dans le processus de Dijon. Il y a un ancien dirigeant communiste, qui dit lui-même avoir pris ses distances avec le PCF. Cette opération politique a tendance à prendre ses désirs pour une réalité, alors que l’alliance arc-en-ciel n’existe pas du tout dans les faits. Les communistes n’en veulent pas, mais je remarque aussi que le MoDem dit un jour oui un jour non, et Peillon comme Royal ne parlent pas au nom du PS dans cette affaire-là. Au contraire, je pense qu’il y a une opposition majoritaire dans chaque partie de cet “arc” pour une telle alliance.

Quant à Robert Hue, nous, on s’occupe du PCF et, sauf si les communistes en ont décidé autrement, il n’y aura pas de membre du parti communiste sur les listes socialistes. Attendons de voir ce qui se passe vraiment. Là aussi, il se dit beaucoup de choses, mais la réalité pourrait être différente.

Vous parlez de Front de gauche élargi pour ces régionales, mais quand on demande le détail, on nous répond souvent « élargi à des personnalités ». Y aura-t-il de nouvelles forces politiques constituées ?

Oui, hormis le NPA, les discussions sont en bonne voie. On a convenu en commun d’attendre la fin des discussions pour l’annoncer. Au-delà, il y aura effectivement un élargissement citoyen, car de nombreux acteurs du mouvement social, associatif et syndical n’ont plus envie d’être seulement des électeurs et cherchent les voies d’un engagement politique. Sans rejoindre forcément telle ou telle force, pas plus la nôtre qu’une autre. Il y a une situation nouvelle de ce point de vue là. La stratégie du Front de gauche vise aussi à offrir un espace de participation unitaire à ces acteurs. Si l’on prend l’exemple du mouvement universitaire de l’an dernier, les régionales vont être de fait un moment important pour continuer ce combat.

On a l’impression que l’incompatibilité avec le NPA n’est guère soluble dans l’unité de la gauche de gauche. Par exemple, si jamais les militants du parti d’Olivier Besancenot votaient contre leur direction et se prononçaient pour une participation au Front de gauche, avec des attitudes différentes quant à la participation des exécutifs, cela ne vous conviendrait pas pour autant ?

Ce n’est pas un problème de tension avec le NPA. On a toujours sincèrement déclaré ouverte la démarche du Front de gauche. La dynamique qu’on a initiée n’a d’intérêt que si elle répond à la question de l’utilité de la gauche dans la gestion des collectivités. Si l’objectif de cette construction politique transige avec cette ambition, elle se marginalisera. Y renoncer, c’est la tuer dans l’œuf. Là aussi, les additions électorales sont fictives, si la dynamique politique n’est pas au rendez-vous et l’objectif politique n’est pas clair.

Nous voulons porter le débat au cœur de la gauche, et pas faire une “petite gauche” à la gauche de la gauche pendant que l’essentiel de la question du pouvoir se joue entre Europe-Ecologie et le PS. Ceux qui pensent devoir d’abord faire l’unité de la gauche radicale prennent un raccourci qui mène à une impasse. Le vrai raccourci, c’est de parler directement à la grande majorité de l’électorat de gauche, pour les convaincre qu’une autre politique de gauche est possible. Non seulement nous n’avons pas renoncé à dialoguer avec le NPA, mais nous entendons convaincre ses militants et ses électeurs de l’intérêt de cette démarche.

Dire « je ne veux pas aller dans les exécutifs », c’est dire par avance que la politique menée dans ces exécutifs sera mauvaise. Nous ne voulons pas de bonnes oppositions de gauche, mais de bonnes majorités de gauche. Donc ces deux logiques sont différentes. Une alliance où chacun ferait ce qu’il veut serait cacophonique. Les électeurs ne la jugeraient pas audible et iraient voir ailleurs.

Que vous inspire les récents ralliements d’élus communistes ou de figures de la gauche radicale à Europe-Ecologie ?

Je prends au sérieux ce qui se passe. Il y a des gens dans toute la gauche qui cherchent le moyen de sortir de la situation actuelle, et de l’impuissance de la gauche à régler les problèmes. Mais de la même façon que l’antisarkozysme ne suffit pas, on ne peut pas avoir comme seul programme commun la disparition du PS, qui fédérerait de Laurence Vichnievsky, amie de Nicolas Sarkozy, à Stéphane Gatignon, maire PCF de Sevran. On ne peut pas dire que l’alliance du PCF au MoDem est une impasse, et reproduire la même chose sous couvert d’écologie.

Au-delà de simples coalitions électorales, quand il faudra débattre du fond des politiques de lutte contre les inégalités ou de l’écologie sociale, je pense que des contradictions inhérentes au ras- semblement hétéroclite d’Europe-Ecologie apparaîtront. Je pense donc qu’il nous faudra débattre le plus possible de ces questions avec Europe-Ecologie. Et j’espère alors que nous retrouverons le dialogue avec ceux qui s’éloignent aujourd’hui.

On parle de vous comme tête de liste en Île-de-France. Qu’en est-il ?

On est en train de discuter avec les partenaires du Front de gauche. On a aujourd’hui abondance de biens pour faire une très bonne liste en Île-de-France. On aura un rassemblement très large dans cette région, mais il faut que tout le monde s’y retrouve et s’y sente respecté. D’autre part, il y a beaucoup de forces militantes et de grands élus du PCF en Île-de-France. On cherche donc une équation qui permette de contenter tout le monde, avec une tête de liste qui soit avant tout l’animateur d’un collectif. Pour l’instant, mon nom est sur la table, comme celui de Patrick Braouezec ou Jean-Luc Mélenchon.

Vous avez envie de mener cette liste ?

Bien sûr. Si c’est possible de mener ce combat, je le mènerai. Mais j’en serai de toute façon, en me présentant à Paris. Je ne suis pas élu, donc je peux porter le renouvellement de la vie politique et le non-cumul des mandats, comme l’énorme envie des communistes d’être des animateurs efficaces du rassemblement. Ce qui se joue pour ces régionales va au-delà du seul rendez-vous électoral. Elles vont dessiner le paysage politique français pour les années à venir et amorcent l’ouverture d’une nouvelle séquence politique jusqu’en 2012.

LAURENT Pierre, ALLIES Stéphane

* Article publié le dimanche 22 novembre 2009 dans Médiapart.


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