La mutation « royaliste » (point de vue de la minorité LCR sur le débat socialiste pour l’investiture)

samedi 28 octobre 2006.
 

... La désignation de Ségolène Royal paraît désormais probable. Avec elle, se dessine un projet porteur d’une véritable mutation de la social-démocratie française. En concurrençant délibérément Sarkozy sur son propre terrain - la démagogie sécuritaire, l’« harmonisation » des régimes de retraite ou la remise en question de la carte scolaire -, c’est une orientation inspirée de l’exemple d’un Tony Blair qu’elle entend manifestement représenter, prenant ainsi l’exact contre-pied d’une tradition qui voulait, jusqu’alors, que le parti autant que le premier tour des élections générales se gagnent... à gauche, autrement dit au moyen d’un discours prétendant répondre aux attentes sociales de l’électorat populaire.

En usant sans vergogne des techniques du marketing politique, en réduisant le débat de fond à de petites phrases aussi creuses qu’attrape-tout - « l’ordre juste », la « république du respect »... -, en poussant jusqu’à ses pires extrémités la dérive présidentialiste engendrée par la Ve République, en s’adressant directement à une opinion modelée par les sondeurs et en contournant les cadres de confrontation militants, elle prétend s’adresser directement à l’opinion, au détriment du « parti de militants » hérité de la tradition du mouvement ouvrier. Les dizaines de milliers d’adhérents à vingt euros, venus pour influer sur la décision socialiste pour la présidentielle mais à peu près ignorants des véritables enjeux de la discussion interne, permettront, à l’évidence, de parachever ce processus... Tout un secteur de la rue de Solferino, qui rêvait depuis longtemps de s’aligner sur les mutations ayant déjà frappé d’autres partis frères à l’échelle internationale, voit ainsi arriver le moment de franchir un seuil qualitatif dans la transformation du Parti socialiste en une sorte de parti démocrate à l’américaine.

Jospin avait, un temps, caressé l’espoir de susciter une dynamique autour de lui au nom d’une autre conception du parti. Son retrait révèle que les digues ont peu à peu cédé devant le « royalisme ». Ce n’est évidemment pas Strauss-Kahn qui peut porter une alternative, lui qui depuis des lustres incarne la conversion du PS à la gestion du libéral-capitalisme et qui ne dispose plus que d’un slogan - « moderniser la social-démocratie » - pour tenter de faire entendre sa différence.

Reste Laurent Fabius. Dans la plus pure tradition du mitterrandisme dont il est l’héritier et faisant valoir son engagement en faveur du « non » au référendum de 2005, il se veut le « candidat du pouvoir d’achat » et d’un PS ancré dans les classes populaires. Il a, pourtant, pour handicap majeur d’avoir été un précurseur en matière de social-libéralisme et, plus récemment, de s’être rallié à la synthèse du Mans comme au projet socialiste, lesquels ont fait le lit de l’offensive Royal. Quelle que soit l’issue de la bataille interne qui commence, c’est une nouvelle page de son histoire que le PS s’apprête à écrire. Et la crise qui pourrait s’ensuivre sera à la mesure de son décalage accru avec le rejet qui frappe le libéralisme dans le peuple de gauche...

Christian Picquet


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