Dan Brown, Le Symbole perdu, la révolution américaine et la franc-maçonnerie (3 articles et interviews)

mercredi 2 décembre 2009.
 

"Dan Brown a une fascination sympathique pour la franc-maçonnerie"

En 1793, Washington pose la première pierre du Capitole en habit de maçon.

Après l’Opus Dei, l’auteur de Da Vinci Code met en scène la franc-maçonnerie dans son nouveau thriller, Le Symbole perdu, en librairie à partir de ce vendredi. Alain Bauer, ancien grand maître du Grand Orient, décrypte cette plongée dans l’univers des "frères" d’Amérique. Alain Bauer a été grand maître du Grand Orient de France, de 2000 à 2003.

Dans son roman, Dan Brown laisse-t-il croire que la création des Etats-Unis serait une sorte de complot maçonnique ?

Alain Bauer : complot, je ne crois pas, mais tous les fondateurs majeurs de la République et donc de la Révolution américaine - Washington, Franklin et le Français La Fayette - sont initiés. Les idéaux maçonniques constituent clairement l’inspiration et un puissant moteur de la Révolution... comme en France, mais sans la Terreur. La vision de Dan Brown est plutôt positive, puisque, dans son roman, les bons sont les maçons et le méchant, c’est Mal’Akh, son "héros", un eunuque tatoué des pieds à la tête.

La capitale, Washington, est-elle un rébus sacré bâti sur un plan maçonnique ?

Elle a été dessinée par un architecte français, Pierre Charles L’Enfant, de manière géométrique, avec une dimension maçonnique évidente, des carrés, des triangles et des orientations particulières. Cela se voit de façon éclatante avec le plan d’origine. Depuis, l’évolution urbaine a pris le dessus.

Le Capitole, siège du Parlement américain, repose-t-il sur une pierre maçonnique ?

La première pierre du Capitole a été mise en place par des frères, au terme d’une cérémonie purement maçonnique, avec George Washington, vêtu de son tablier et truelle à la main, ainsi que ses collègues en tenue, au vu et au su de tout le monde. D’ailleurs, beaucoup de bâtiments américains affichent une "première pierre" offerte par une loge maçonnique, comme le célèbre obélisque du Washington Monument.

On a même dit que la pyramide et l’oeil imprimés sur le billet de 1 dollar étaient des symboles maçons...

Il y a débat. Le triangle appartient à toutes les religions préchrétiennes, et le catholicisme s’en est inspiré. Le soleil est utilisé par de nombreuses cultures.

Dans Le Symbole perdu, il est question d’une légende concernant une pyramide. Celle-ci constitue-t-elle un signe maçonnique ?

Dan Brown a utilisé beaucoup de symboles maçonniques. Et, à la fin de son roman, il retrouve non pas le symbole perdu, mais la parole perdue. Car, en maçonnerie, tous les symboles sont des outils pour retrouver la parole, les racines chrétiennes de nos rituels étant indiscutables ("Au commencement était le verbe..."). Dans notre mythologie, les porteurs de la parole disparaissent : le maître Hiram est assassiné par de mauvais compagnons et avec lui disparaît le mot du maçon. Du coup, le titre du livre de Dan Brown ne correspond pas exactement à son contenu. C’est un roman, pas un ouvrage historique. Il a le droit de modifier la réalité. Et il le fait là de manière beaucoup plus habile que dans Da Vinci Code, où il y avait de vraies erreurs. Dans Le Symbole perdu, la maçonnerie s’en sort bien mieux que les Illuminati, les jésuites ou l’Opus Dei dans Da Vinci Code. Il a, en fait, une fascination sympathique vis-à-vis des frères.

Les références de Dan Brown aux "châtiments maçonniques" sont-elles abusives ?

Dans la mise en scène des assassinats perpétrés par Mal’Akh, il puise dans les rituels maçonniques. Il s’agit d’un élément du rite initiatique où l’on garantit les secrets de l’Ordre par la menace d’un châtiment. Sauf qu’il s’agit chez nous de symbole, alors que Mal’Akh inflige un châtiment physique. Dans toute l’histoire de la maçonnerie mondiale, un seul maçon a été assassiné, une affaire qui a bouleversé les grandes loges américaines, au milieu du xixe siècle : le capitaine Morgan, un mormon qui avait quitté la franc-maçonnerie pour la dénoncer, avait disparu sans que l’on retrouve son corps, ce qui provoqua une très violente campagne antimaçonnique.

Contrairement aux français, les francs-maçons américains affichent-ils leur appartenance ?

Oh, que oui ! Même sur leur carte de visite ! C’est la différence entre un pays qui n’a pas été occupé et un autre qui l’a été par les nazis. Les persécutions ont provoqué la pratique du secret dans les pays sous joug hitlérien ou stalinien. Lors de mon premier voyage aux Etats-Unis, le professeur de San Francisco qui m’accueille me fait monter dans sa très belle Ford Camaro à la Starsky & Hutch. Je tombe en arrêt devant son pare-soleil avec l’inscription "Je suis à la grande loge de Californie" et sa plaque d’immatriculation, où je lis : "Vive le rite écossais !" Un choc pour moi, à qui l’on avait appris qu’il fallait ne le révéler à personne, y compris à sa compagne ou à son compagnon. Il m’a fait visiter son temple, dont la façade gigantesque était ornée d’un néon fluo annonçant sans ambiguïté qu’il s’agissait d’un édifice maçonnique, alors qu’en France ces lieux sont on ne peut plus discrets, dans des ruelles obscures.

Cela se manifeste-t-il aussi dans leurs interventions publiques ?

Depuis la fameuse affaire Morgan, la franc-maçonnerie américaine ne prend plus position sur des questions politiques, économiques et sociales. Elle ne s’occupe que de charité et de débats symboliques. Ces loges très spiritualistes en meurent. On peut difficilement rester maçon pendant des décennies en planchant sur la symbolique du chiffre 3 ou celle des gants blancs. Il y avait 4 millions de frères en 1950, il en reste 400 000, dont sans doute 200 000 actifs. A comparer avec le nombre de maçons en France et en Belgique, deux pays qui totalisent ensemble de 160 000 à 170 000 frères.

Y a-t-il des maçons influents dans les administrations Obama et, auparavant, y en a-t-il eu chez Bush ou Clinton ?

Oui, bien sûr. Dans une proportion importante - ils ne se cachent d’ailleurs pas - même si personne n’en fait le décompte, car cela correspondrait à une logique franco-française.

Les Blancs et les Noirs américains fréquentent-ils les mêmes loges ?

Pas du tout ! La maçonnerie américaine est ségrégationniste. Y compris pour les hispaniques. Dans de très rares loges, en Californie notamment, on peut voir des Blancs et des Hispaniques, rarement des Noirs. Les maçons noirs se regroupent dans l’obédience Prince Hall (du nom de son fondateur), créée en 1791. Rien n’a changé. C’est leur drame. Quant aux femmes, elles sont quasi-absentes du paysage maçonnique, puisqu’on n’en trouve que dans une minuscule obédience mixte.

Par François Koch

A LIRE :

Le Symbole perdu décodé, par Alain Bauer et Roger Dachez, Vega, 176 p., 16 euros. Ils viennent également de publier ensemble Le Convent du sang (J.-C. Lattès).

Viennent également de paraître :

La Saga des francs-maçons, par Marie-France Etchegoin et Frédéric Lenoir, Robert Laffont, 358 p., 20 euros ;

Le Symbole perdu décrypté, par Simon Cox, Michel Lafon, 284 p., 14,95 euros

et Le Symbole retrouvé. Dan Brown et le mystère maçonnique, par Eric Giacometti et Jacques Ravenne, Fleuve Noir, 278 p., 16 euros.

2) Franc-maçonnerie : Dan Brown en trois points

Source : http://www.sudouest.com/accueil/loi...

La multiplication des livres. C’est le miracle annoncé par la parution en France du nouveau thriller de Dan Brown. Et vérifiable en librairies. Ainsi l’arrivée du « Symbole perdu » (1) a-t-elle provoqué une cascade de livres de décryptage qui vont s’atteler à la mission de désenfumage du best-seller (lire encadré).

Les ouvrages ésotériques séduisent de plus en plus de Français. Et le segment « maçonnerie » des librairies est particulièrement fréquenté. Le Salon du livre maçonnique, qui a lieu tous les ans au début de décembre, accueille chaque année 3 500 à 4 000 visiteurs. D’après « Livres Hebdo » (13 novembre 2009), « la franc-maçonnerie génère de longue date une production abondante qui, au-delà des 150 000 maçons français, touche quelque 300 000 personnes attirées par ce monde mystérieux ».

Relent de complot

On peut donc s’attendre à en trouver un certain nombre parmi les acheteurs du « Symbole perdu ». Et quelques-uns prêts à trouver dans le rituel, inventé par Dan Brown, des maçons qui boivent du vin dans un crâne, l’illustration des soupçons distillés par l’antimaçonnisme de Vichy et de la propagande nazie. Ils débusqueront peut-être sous le récit du mélange entre agents de la CIA et personnalités politiques américaines de premier plan ce fameux relent de complot qui accompagne l’histoire de la franc-maçonnerie. Surtout en France d’ailleurs.

« L’histoire du complot maçonnique n’existe pas aux États-Unis », assure Roger Dachez, l’historien de la franc-maçonnerie. Elle est née en France fin XVIIIe, début XIXe. C’est un jésuite, Barruel, appartenant aux milieux émigrés, qui a soutenu la thèse de la responsabilité des francs-maçons dans le déclenchement et l’extension de la Révolution française. C’est devenu un lieu commun alors qu’il y a eu autant de maçons chez les guillotinés que chez les guillotineurs. Et au tournant de la IIe République, les francs-maçons eux-mêmes, pour des raisons politiques, ont fini par accréditer cette idée. Reste que depuis des années les historiens sérieux ont fait litière de cette légende.

Ce que l’on peut dire en revanche, c’est que les loges au XVIIIe siècle étaient peuplées de bourgeois et d’aristocrates libéraux qui ont fait avancer les idées des Lumières. Si la thèse du complot n’a jamais pris outre-Atlantique, celle du crime maçonnique a traumatisé la société américaine durant quelques années du XIXe siècle. Cécile Revauger, historienne de la maçonnerie américaine et professeur à l’UFR d’anglais de Bordeaux 3, raconte l’histoire de la disparition de William Morgan en 1824. « Il aurait été séquestré et jeté dans les chutes du Niagara parce qu’il voulait publier les secrets maçonniques. Cela a déclenché une campagne antimaçonnique avec de grosses pertes d’effectifs et la constitution d’un véritable parti. »

Crime maçonnique

« En France, reprend Gérard Dachez, il y a toujours eu un antimaçonnisme diffus lié à l’opposition de l’Église catholique. » « D’autant, souligne Cécile Revauger, que lorsqu’il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Ratzinger avait rappelé qu’un franc-maçon était privé de la Sainte communion. » Quant à Gérard Dachez, il explique : « Traumatisée par la guerre, la franc-maçonnerie française s’est rétractée, alimentant les rumeurs. Elle devrait faire son outing comme aux États-Unis. »

Éditions Jean-Claude Lattès, 595 pages, 22,90 ?.

Interview de Cécile Revauger

« Plus dynamique ici qu’aux États-Unis »

Vous avez lu le livre de Dan Brown en anglais lors de sa parution.

Globalement, qu’en pensez-vous ?

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est un éloge de la franc-maçonnerie. Tolérante, défenseur des valeurs morales et dont les secrets sont honorables. Dan Brown n’insiste pas sur l’esprit des Lumières qui a animé les pères fondateurs de la Constitution américaine, dont un grand nombre étaient francs-maçons. Il insiste sur l’importance de la Bible. Ce qui risque de dérouter les lecteurs français.

La franc-maçonnerie a-t-elle joué le même rôle dans la révolution américaine et dans la française ?

La franc-maçonnerie n’a pas joué le rôle qu’on lui prête en 1789 (NDLR : lire aussi ci-contre), et pendant la Terreur, la plupart des loges ont disparu. D’ailleurs, le grand maître de la maçonnerie française, Philippe Égalité, a démissionné dès le début d’une révolution qu’il jugeait très sociale. Aux États-Unis, la franc-maçonnerie a compté un grand nombre de signataires de la déclaration d’indépendance, mais cette guerre contre l’Angleterre était faite pour des raisons économiques. Beaucoup de généraux qui entouraient Washington étaient francs-maçons, comme leur commandant en chef. Quand Washington a été élu président, il a prêté serment sur une bible qui appartenait à une de ses loges maçonniques. Et entre le début et la fin de la guerre, le nombre de francs-maçons a doublé.

Quelles sont les différences actuelles entre la franc-maçonnerie américaine et la française ?

Aux États-Unis, il faut croire en Dieu. La France conserve une tradition laïque, sauf à la GLNF, qui est la seule obédience reconnue par les maçons américains. Aux États-Unis, la maçonnerie est une institution vieillissante qui exclut les femmes, confinées dans des tâches charitables, et qui sélectionne une élite par l’argent. Leurs réunions se limitent à la récitation de catéchismes avec rituels, mais il n’y a pas de discussions. Cela ressemble au Rotary-Club. La maçonnerie américaine est tombée de 4 millions de membres à 1 million. Ce qui n’est pas le cas en France, où les effectifs grimpent surtout au Grand Orient et à la GLNF. Il existe des loges féminines et des loges mixtes, le recrutement est plus diversifié, et les membres travaillent réellement. Auteur : Hélène Rouquette- Valein


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