Pour les classes populaires, l’espace national est un levier pour l’action ( Par Quynh Delaunay, sociologue)

lundi 7 décembre 2009.
 

Pourquoi la nation et l’identité nationale sont toujours un combat d’actualité ?

Pour la droite des affaires, la nation n’est pas adaptée à la mondialisation. Mais l’affectif national est travaillé par de fortes tensions qu’il convient de contrôler. Pour la gauche, l’heure est à l’altermondialisme. Cet affectif doit s’absorber dans la multiculturalité. 1) Les nations sont des constructions historiques, se fondant sur des éléments qui, au fil des ans, évoluent dans la hiérarchie des valeurs. Au principe dynastique, la bourgeoisie substitua celui de la souveraineté nationale, inscrite dans une entité nouvelle, la société, transcendant les communautés régionales.

La nation fut un moule politique et culturel dominé par la bourgeoisie, mais adéquat à la mise en place du système capitaliste. Les travailleurs acquirent par leurs luttes une meilleure position dans l’ensemble national, d’abord pour le droit de vote en 1848, qui devint universel, puis au XXe siècle, avec le vote des femmes. La structure qui a aidé à installer les institutions du capitalisme est l’État moderne (Max 
Weber). Elle a engendré un espace, l’État-nation. La nation est donc un mode concret d’existence et de solutions des contradictions de la société capitaliste industrielle. À la fin du XXe siècle, la nation apparaît obsolète pour ceux qui s’y sentent à l’étroit dans la valorisation de leurs capitaux et qui supportent mal les conquêtes sociales des salariés. L’espace mondial est présenté comme l’issue du capitalisme. 2) Pour la gauche, on ne peut débattre de l’identité nationale, chaque individu en ayant une vision propre. Or l’identité nationale n’est pas plus une addition de subjectivités individuelles qu’une classe n’est un groupement d’individus. Certes, pour que la nation existe, il faut que sa conscience soit portée par des individus. Mais celle-ci s’est forgée au fil des siècles dans la violence et l’oppression, et aussi dans les luttes et les résistances, dans les compromis nécessaires. Autour d’une identité nationale contradictoire, les groupes sociaux produisent des interprétations conflictuelles.

Les nations appartiennent à des aires de civilisation matérielle (Fernand Braudel) et à des économies de l’affectif (Norbert Elias) qui sont des façons de concevoir les conventions de style, les formes de la civilité et d’éducation de la sensibilité, l’espace public, les rapports entre les individus et à l’État.

Dans la dynamique de l’Occident, un même processus de civilisation conduit à l’État moderne, à l’individualisation et à la régulation de l’émotivité (Elias). Il s’effectue dans le cadre de l’absolutisme royal par l’autocontrôle des pulsions de la chevalerie, puis dans celui de la bourgeoisie. Les habitus de la noblesse s’étendent à la bourgeoisie qui les adapte. À la Révolution, le personnel des châteaux répand ces habitus dans la société. Ils acquièrent un caractère national. La révolution industrielle diffuse le progrès scientifique et technique, transformant les conditions de vie et déplaçant le seuil de pénibilité. En France, où la fermeture sociale était moins forte qu’en Angleterre ou en Allemagne, la circulation des idées et des hommes s’effectuait dans une tradition assimilatrice, reprise par la République. Hier, l’assimilation des populations des colonies consistait à nier leur culture, en diffusant, par la force, celle de la puissance colonisatrice. Aujourd’hui, l’assimilation, par la société d’accueil, des populations connaissant peu ou pas de son fonctionnement n’a pas le même sens. Sa portée est pratique et intégrative.

Assimiler, c’est rendre semblable à soi, partager avec l’autre les valeurs pour lesquelles on a combattu. On peut aussi s’assimiler les valeurs de l’autre. Cela suppose, en France, que leur orientation, en tendance, aille dans le sens du processus de civilisation évoqué par Elias. La France n’est pas multiculturelle. Elle est assimilatrice, dans la tradition du droit romain et canonique. Elle ramène les différences essentielles vers ce qui constitue son identité, refoulant les autres dans la sphère privée, pourvu qu’elles soient compatibles avec les lois de la République. La nation demeure l’espace de proximité pour les classes populaires, comme un levier pour l’action. La libre circulation des travailleurs fait partie des vocations du capitalisme qui transforme tout en marchandises (Marx, Polanyi). Dans le rapport de forces actuel, les travailleurs de France ne pourraient refuser un reclassement en Roumanie ou en Inde, si cette liberté l’emportait.

Plus le capital et le travail se libèrent de leurs entraves, plus on a besoin d’un État-nation prenant en charge les conflits et leur trouvant des solutions. La nation n’est pas figée dans un territoire. Cette forme sociale peut s’élargir à d’autres nations pour former un ensemble mieux adapté aux besoins contemporains et reposant sur un fonds 
commun. Il sera multiculturel dans un court terme qui durera longtemps, s’unifiant autour du meilleur de chacune de ses composantes. Faire un retour sur la nation et son identité, c’est s’inscrire dans les conquêtes des générations passées et faire progresser leur combat. Les sociétés développées sont des sociétés où les services et les femmes occupent une place croissante. La nation européenne devra en tenir compte. La lutte entre le capital et le travail est d’actualité pour lui donner un contenu progressiste.

(*) Auteure (avec Jean-Claude Delaunay) 
de Lire le capitalisme contemporain, essai sur la société 
du XXIe siècle, Le Temps des cerises, 2007.


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