Réforme du lycée 2009 : Histoire sacrifiée, sciences économiques et sociales (SES) maltraitées, sciences physiques menacées, lettres amoindries... (article de Libération)

mercredi 7 mars 2018.
 

Dans chaque discipline, les enseignants ont fait leurs comptes. Et tous ceux qui s’estiment lésés par la réforme sont partis en campagne. Ce qui donne une certaine cacophonie. En annonçant les nouvelles grilles horaires du lycée, Luc Chatel a ainsi ouvert la boîte de Pandore. Il ne lui sera pas facile de la refermer.

1) Les plus bruyants sont bien sûr en ce moment les enseignants d’histoire-géographie.

Leur association (APHG) a d’abord lancé une pétition qui n’a pas fait grand bruit. La signature dans le Journal du Dimanche d’un appel d’universitaires de renom a propulsé leur mécontentement au niveau d’un débat national.

La raison de leur colère, la disparition de l’histoire-géo parmi les matières obligatoires des élèves de terminale S. Ils en avaient jusqu’ici 2 heures et demie par semaine en première et autant en terminale. Dans la réforme, ils n’en n’ont plus que 4 heures ramassées en première. Soit une perte nette d’une heure sur le cycle terminal (première et terminale). Du coup, l’histoire-géo devient une épreuve anticipée du bac S en fin de première. Ceux qui veulent en faire en terminale peuvent toutefois la prendre en option (2 heures par semaine).

A l’heure où le gouvernement lance un débat sur l’identité nationale avec moults références au passé, les protestataires jugent inadmissible et parfaitement contradictoire que l’on supprime l’histoire-géo, matière formatrice indispensable pour éclairer le présent. Qui plus est, cela concerne la fine fleur des lycéens, ceux de S, les meilleurs élèves destinés aux filières d’excellence du supérieur.

Luc Chatel réplique que les lycéens passent bien déjà le français au bac en fin de première, qu’ils n’en ont donc plus en terminale et que cela n’a jamais tué personne... Il rappelle aussi que cela se fait au nom du "rééquilibrage des séries" - avec une S trop dominante et une L en voie d’extinction - voulue par tous.

D’autres voix trouvent la polémique disproportionnée. Ils rappellent que les élèves français ont déjà 1100 heures d’histoire durant toute leur scolarité et qu’il s’agit de la suppression d’une heure sur 36 semaines. Ils trouvent que le débat est trop centré sur la série S, série d’élite, et qu’on ne s’émeut pas de l’absence d’histoire-géo dans plusieurs grandes séries technologiques. Enfin ils jugent que le débat devrait dépasser le cadre des disciplines.

2) Les professeurs de SES sont les grands perdants.

Selon leurs calculs, avec la réforme, ils perdent plus de 25% de leur volume horaire au cours des trois ans de lycée. Alors même que les SES sont la discipline charnière de la série ES (Economique et sociale).

Avec Xavier Darcos, ils avaient obtenu que les SES deviennent obligatoires en seconde au titre qu’aujourd’hui tous les lycéens doivent avoir une ouverture en économie et sciences sociales. Mais aujourd’hui en seconde, leur discipline devient carrément mineure : elle est réduite à une heure et demie par semaine et mise en concurrence avec une nouvelle matière : "Economie appliquée et gestion" (ou "Principes généraux d’économie et de gestion", on ne sait plus trop...).

La première, l’association des professeurs de SES (APSES) s’est mobilisée et a appelé à manifester le 2 décembre. Elle estime que cette attaque est largement idéologique. Toute une partie de la droite trouve que les SES font la part trop belle aux questions sociales et à la sociologie, et qu’elles présentent une vision trop négative de l’entreprise.

Mais leur mobilisation porte moins que celle des historiens. La suppression des heures de SES n’a pas la même charge symbolique que celles des heures d’histoire, par ailleurs une passion pour bon nombre de Français.

3) Bien moins connue, la grogne de l’Union des professeurs de physique et de chimie (UDPPC) et de SVT.

Comme leurs collègues d’histoire et de SES, elle a lancé une pétition. Elle dénonce "la diminution de 144 heures des horaires de sciences sur l’ensemble du lycée". En première S notamment, les sciences physiques passent de 2 heures et demie à 1 heure par semaine. Et selon eux, cette perte de 33% n’est pas compensée en terminale, pourtant annoncée comme plus scientifique.

Plus discrets encore, les professeurs de SVT (Sciences et Vie de la Terre) ont fait leurs comptes. En seconde, les SVT passent de 2 heures à 1 heure et demie, et en première S, de 4 heures (2 de TP et 2 de cours) à 3 heures. "Enfin, écrit un enseignant révolté, en terminale S, le ratio 6 heurs de maths, 5 heures de physique-chimie et 3 heures 30 de SVT devient risible pour notre matière. SVT, Sciences ne Valant pas Tripette, ou Sciences Vraiment Tocardes ?", conclut-il avec humour.

4) Déception des professeurs de français

Sans être totalement exhaustif, il faut aussi citer la déception des professeurs de français. Richard Descoings, le patron de Sciences Po inspirateur de la réforme actuelle, puis Luc Chatel avaient annoncé une grande revalorisation de la série littéraire (L), toujours plus désertée. Elle ne passe pas par un renforcement des lettres. Et encore moins des maths, qui sont supprimés en première L.

En fait, cette revalorisation apparait limitée. Elle passe par un renforcement des langues vivantes -on introduit un cours de "Littérature étrangère dans la langue d’origine" - et une nouvelle matière "Droit et grands enjeux du monde contemporain", censée ouvrir davantage de débouchés aux littéraires.

Tout cela montre au moins une chose ; une grande réforme ne peut se résumer à du bricolage d’heures - je prends ici et je remets là - sur fond de suppressions drastiques de postes - encore 16000 en 2010.


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