L’Origine du capitalisme L’expropriation comme scène primitive

lundi 21 décembre 2009.
 

L’historienne Meiksins Wood montre comment le système économique mondial, loin d’être une extension du marché, doit son triomphe à la violence des relations de classe.

L’Origine du capitalisme, 
une étude approfondie, d’Ellen Meiksins Wood. Éditions Lux Humanités, 2009, 354 pages, 20 euros.

Qui veut sortir du capitalisme doit penser sa nature et comprendre son histoire. Rien ici n’est simple, et il serait vain de croire que l’historiographie nous livre une version unique du processus qui a mené à la constitution du système capitaliste mondial.

Le livre d’Ellen Meiksins Wood va au cœur du débat qui a divisé les historiens marxistes de langue anglaise  : le capitalisme a-t-il été le fruit du commerce à l’intérieur des villes et du négoce international  ? Ou bien est-il un événement exceptionnel et propre à une zone géographique très précise  ?

La première hypothèse voit le capitalisme comme une simple extension du marché tel qu’il a existé sous de multiples formes dans les sociétés non capitalistes, de sorte que la fin du processus (le capitalisme) est contenue dans son commencement (le marché). C’est ainsi que de nombreux historiens ont entériné une vision linéaire qui fait de l’essor du capitalisme le résultat d’une levée plus ou moins rapide selon les pays des « obstacles » qui entravaient une marche inéluctable vers la « modernité ». Contre une telle « pétition de principe », cet ouvrage propose une conception fort différente.

Le capitalisme n’est pas réductible au marché « en général ». Car ce dernier peut fonctionner comme lieu d’échanges et occasions de profit sans imposer sa logique à la production économique et à la reproduction de la société. Le capitalisme est un système économique unique dans l’histoire qui fait de la concurrence elle-même une force contraignante sur les producteurs, les poussant à accroître la productivité du travail et les profits sous peine de disparaître. La question est donc de savoir comment un système de normes orientant les conduites des producteurs a pu s’établir dans un premier pays puis, par la voie impérialiste, dans le reste du monde. Reprenant l’analyse que faisait Marx de « l’accumulation primitive », l’auteure situe la rupture historique dans la mise en place en Angleterre au XVIe siècle de rapports sociaux de propriété d’un nouveau genre. Ellen Meiksins Wood remet ainsi au premier plan les relations de classe, en insistant sur la destruction des droits coutumiers que les paysans exerçaient sur les « communs » et leur expropriation massive.

Le livre montre ainsi comment l’extension du capitalisme procède à la fois de la violence étatique et de la diffusion des impératifs concurrentiels dans tous les pays et dans toutes les activités. Les politiques néolibérales qui font aujourd’hui de la « compétitivité » la norme suprême continuent d’étendre à toute l’humanité la même logique impitoyable.

Christian Laval, Sociologue


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