Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac, Laurence Parisot (MEDEF) veulent substituer le contrat à la loi (Gérard Filoche)

vendredi 27 octobre 2006.
 

Le contrat se substituera à la loi annonce Ségolène Royal. Jacques Chirac a fait le même discours au Conseil économique et social. Laurence Parisot plaide encore plus fortement dans le même sens. Et Nicolas Sarkozy aussi, dans ses récents discours d’Agen et de Périgueux.

Voilà qui semble faire un nouveau - mais dangereux - consensus entre la droite et gauche. Le Medef est ravi, si cela peut paralyser d’avance, une future majorité parlementaire de gauche pour qu’elle ne puisse pas légiférer souverainement sur le droit social, ni reconstruire ce qui a été détruit dans le Code du travail depuis un certain 21 avril 2002... Qu’est-ce qui différencie le contrat et la loi ? Le contrat est dépendant de l’accord du Medef tandis que la loi est dépendante d’une majorité du Parlement élue démocratiquement au suffrage universel.

Est-ce qu’il faut substituer les négociations entre partenaires sociaux, au fonctionnement normal du Parlement élu au suffrge universel ? Est-ce plus démocratique, plus consensuel ou plus efficace ? Non. Avec les partenaires sociaux ce n’est ni la règle de la majorité ni la démocratie qui l’emportent comme lors des élections républicaines. Mettre sur le même plan, 1,2 millions de patrons et 15,5 millions de salariés, c’est un paritarisme qui ne corrige pas le déséquilibre existant manifestement au détriment des salariés lequel favorise une forme de veto patronal .

Est-ce habile, si revient une majorité de gauche, de proclamer que l’on se privera de la force de la loi ? Ne vaut-il pas mieux plaider une meilleure synergie entre contrat et loi pour assurer le bon fonctionnement social de notre République ? Il faut autant de contrats que possible mais autant de lois que nécessaire.

Il est naturel que le gouvernement et l’Assemblée consultent au maximum les partenaires sociaux avant et pendant l’élaboration et l’adoption d’un projet de loi ; c’est évidemment plus dynamique.

Encore faut-il que les modalités de ces négociations soient établies afin que le camp des salariés ne soit pas lésé :

que tous les syndicats de salariés ayant un certain seuil de représentativité soient reconnus comme tel, sans ostracisme. que les accords soient validés selon leur caractère majoritaire que les institutions représentatives du personnel ne soient pas seulement consultées mais disposent d’un droit à un avis conforme . que le chantage à l’emploi, au salaire, et contre le principe de faveur soit interdit. que l’ordre public social commun à tous les salariés (durées du travail, Smic et grilles de salaires, droits syndicaux et de grève, protection face aux licenciements abusifs, protection en matière d’hygiène, sécurité, santé au travail...) soit contrôlé et respecté par tous. Ensuite, il est conforme aux principes républicains, qu’après s’être s’inspiré d’accords déjà passés ou en cours de discussion, le législateur ait le dernier mot. Mais ce n’est pas le choix du Medef : Mme Parisot réclame la modification de l’article 34 de la Constitution justement parce qu’il confie au Parlement le soin de légifèrer en matière de droit du travail, de droit social et de protection sociale...

Elle trouve formidable qu’on aborde ce sujet-là avec le rapport de Dominique-Jean Chertier préconisant de rendre obligatoire un délai de trois mois entre l’annonce d’une réforme et l’adoption du projet de loi correspondant en conseil des ministres, pour favoriser la concertation.

(S’il avait fallu trois mois de délai entre les accords Matignon des 7-8 juin 1936 - les congés payés n’étant concédés que le 11 juin - et le vote des lois pour les 40 h et lesdits congés payés, que se serait-il passé ? Même question lors du deuxième vote du Parlement d’avril 2006 qui a annulé judicieusement, mais en catastrophe, le CPE.)

Selon D.J. Chertier, si les partenaires sociaux arrivaient à un accord, le Parlement et le gouvernement seraient contraints de le reprendre intégralement à leur compte ou de renoncer à la réforme. (Cela vient d’être illustré de facto avec l’abandon de la loi sur le "CV anonyme"). Il recommande aussi une réforme du Conseil économique et social, devant lequel le Premier ministre serait obligé de présenter chaque année un agenda de réformes élaboré en concertation avec les partenaires sociaux qui s’imposerait ensuite à lui.

Pourquoi une telle défiance ? Parce que les députés ne connaissent pas l’entreprise, répond franchement Mme Parisot.

On entrerait là dans une autre République de type corporatiste. Le corporatisme est un système où la force de groupes de pression sociaux l’emporte sur les droits universels, où, la toute-puissance d’un patronat appuyé sur des syndicats officiels et consentants prévaut sur celle de l’ensemble des citoyens.

Le corps médical accusera alors les parlementaires de ne pas connaître la médecine, les chercheurs accuseront les députés de ne rien connaître à la recherche, les enseignants reprocheront aux élus de tout ignorer de la pédagogie... Et le Parlement sera tenu en lisière par différentes corporations, il ne pourra plus faire la loi sans être soumis à des lobbys, des calendriers et des textes préétablis... Corporatisme et communautarisme s’harmoniseraient dans la France d’après . Ce serait une vraie rupture avec le modèle social français .

Mais ce serait un système explosif : imaginons, une fois limités constitutionnellement les pouvoirs du Parlement, qu’un, deux ou trois syndicats se fassent les interlocuteurs privilégiés du Medef et concluent des accords répétés avec lui, sans représenter pour autant une majorité de salariés ni de citoyens, qu’arrivera-il ?

La gauche ne devrait pas se laisser si facilement lier les mains dans un consensus pour que le contrat se substitue à la loi .

Gérard Filoche


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