Au Chili aussi, la capitulation de la gauche devant le centre renforce la droite !

samedi 26 décembre 2009.
 

Ce dimanche 13 décembre avait lieu le 1er tour de l’élection présidentielle au Chili. Tout ce qui concerne ce pays latino-américain a, pour la gauche française, une résonance très particulière. Pour toute une génération militante, ce pays a été, durant 3 ans, celui de l’espoir de voir enfin se réaliser l’alliance du socialisme et de la liberté. Les noms du président socialiste Salvador Allende, du grand poète Pablo Neruda et du chanteur révolutionnaire et martyr Victor Jara font encore vibrer en nous l’internationalisme et le souvenir de l’insoumission, de la résistance et de la volonté de changer le monde. En septembre 1973, pour beaucoup de militants de gauche en France, il était minuit dans le siècle au Chili après les assassinats d’Allende et Jara, le coup d’Etat sanglant et la féroce dictature installée par le sinistre Pinochet. Beaucoup de socialistes, de communistes et d’opposants chiliens ont alors trouvé refuge dans notre pays. Le régime de Pinochet a non seulement traqué et éliminé des centaines d’opposants, mais a aussi livré le Chili au libéralisme le plus brutal. Privatisations, gel des salaires, répression des mouvements sociaux, le pays est soumis pieds et poings liés aux multinationales et au libre-échange généralisé.

En 1988, après un référendum, Pinochet quitte le pouvoir et laisse place à une coalition de centre-gauche composée du Parti socialiste et de la Démocratie Chrétienne. Cet « arc central » organise alors la transition démocratique sous les présidences de Alwin (1990-94), Frei (1994-1999), Lagos (1999-2005) et de la première femme à exercer cette fonction Michèle Bachelet (depuis 2005). Cette coalition a tenté de tourner la page des années sombres de la dictature mais n’a pas opéré de véritable rupture avec l’ère Pinochet. Bon nombres de mesures prises durant les années de dictature sont restées en place (notamment dans l’éducation) et la politique économique et sociale est restée trop souvent dans le cadre des diktats libéraux du FMI, de la Banque Mondiale et de l’OMC. Les inégalités sociales restent criantes et les criminels des années noires n’ont jamais été jugés. Pinochet lui-même est mort en 2006 sans avoir eu à répondre de ces assassinats devant la justice. Cette coalition était peut-être nécessaire dans un premier temps, mais, prés de 20 ans après la chute de Pinochet, est ce toujours le cas ? Le temps était certainement venu pour le PS chilien de rassembler la gauche et d’offrir un vrai projet de transformation sociale au pays. Il pouvait s’inspirer des recettes gagnantes de ses frères latino-américains de Bolivie, du Venezuela, d’Uruguay et d’Equateur… La socialiste Michèle Bachelet, a incarné un vrai espoir pour les salariés et les jeunes chiliens lors de son arrivée au pouvoir fin 2005. Elle a cependant souvent déçu les attendes placées en elle en menant une politique sociale-libérale et en n’écoutant pas le puissant mouvement étudiant qui s’était levé dans le pays en 2006. Ne pouvant se représenter lors de cette élection, Bachelet a alors déroulé le tapis rouge à Edouardo Frei (déjà président de 94 à 99). Le PS chilien a ensuite décidé ensuite de soutenir ce centriste bon teint dés le 1er tour et de ne pas présenter de candidat. Une partie des militants socialistes refusant cette capitulation décident de présenter la candidature de Jorge Arrate. Ancien conseiller économique d’Allende chargé de mettre en œuvre les nationalisations, plusieurs fois ministre dans les années 90, celui-ci a tenté de rassembler autour de sa candidature tous ceux qui refusaient d’abandonner le drapeau du Socialisme et de la République à Frei. Des socialistes, des communistes et des écologistes se sont rassemblés pour le soutenir dans des conditions difficiles… Son ambitieux programme de redistribution des richesses est resté largement ignoré durant toute la campagne… Les grands médias privés ont choisi d’écarter Arrate pour braquer les projecteurs sur Pinera le candidat de la droite ultra-libérale. Derrière ce Berlusconi Chilien, patron et milliardaire, se sont unis les nostalgiques de Pinochet, les milieux d’affaires et les grandes multinationales. Disposant de moyens financiers gigantesques, il mené une campagne d’affichage dans tout le pays et a promis aux Chiliens une nouvelle ère de prospérité… En face, la plate campagne de Frei n’a pas permis de structurer un vrai débat gauche-droite et a laissé un boulevard au populiste Pinera pour dérouler ses grands thèmes. Un quatrième candidat était en lisse avec Marco Enriquez-Ominami, dissident inclassable, rassemblant des soutiens de gauche et de droite, mais surfant sur le rejet de la coalition centrale dirigeant le pays depuis plus de 15 ans.

Le 1er tour laisse apparaître une nette avance de la droite avec 44 % des suffrages pour Pinera qui devance de 14 points le centriste Frei qui atteint à peine les 30 %. Enriquez-Ominami a obtenu 20% tandis qu’Arrate, le candidat de gauche, n’est parvenu qu’à rassembler 6, 3 % des voix. La clé du second tour prévu le 17 janvier prochain sera le report des voix du candidat indépendant…Cependant, la droite éloignée du gouvernement depuis 1990, parait bien placée pour l’emporter. La dynamique progressiste à l’œuvre sur le continent depuis 10 ans en serait alors affaiblie et l’impérialisme américain retrouverait là un allié tout à fait fiable.

Plusieurs leçons sont à tirer de ce scrutin, la gauche et les socialistes n’ont rien à gagner à mettre leur drapeau dans la poche en allant chasser sur des terres qui ne sont pas les leurs. L’affaiblissement du clivage gauche-droite profite toujours aux libéraux et fait reculer toutes les forces de gauche. Vanté par certains dirigeants du PS français comme un modèle, la coalition entre une partie de la gauche et le centre porte en réalité une lourde responsabilité dans la défaite probable des progressistes chiliens. A l’heure où beaucoup défendent les alliances avec le Modem, cette leçon est à méditer… Nous en revenons à Mitterrand qui, en 1995 écrivait avec force : « Je crois pour demain comme hier à la victoire de la gauche, à condition qu’elle reste elle-même. Qu’elle n’oublie pas que sa famille, c’est toute la gauche. Hors du rassemblement des forces populaires, il n’y a pas de salut ». Nous ajouterons en France… comme au Chili !

Par Julien Guérin (42)


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