Climat : « Les négateurs du réchauffement ignorent les faits établis » (par Thomas Stocker, coprésident du GIEC)

jeudi 24 décembre 2009.
 

Les climato-sceptiques attribuent le réchauffement en cours à d’autres facteurs que l’activité humaine ; ils prennent une place grandissante dans le débat public. Thomas Stocker, professeur de physique du climat à l’université de Berne (Suisse) et coprésident du groupe I du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), voit dans ces discours la « négation » de « faits établis » et conteste leur caractère scientifique.

Stéphane Foucart – Les « climato-sceptiques » véhiculent dans les médias et sur Internet des informations contestant l’influence des activités humaines sur le climat. Sont-elles le reflet d’un véritable débat scientifique ?

Thomas Stocker – Non. D’ailleurs, je ne qualifierais pas ces gens de « sceptiques », parce que le scepticisme est une démarche scientifique nécessaire qui porte tout progrès de la science. J’appellerais plutôt ces gens des « négateurs » (« deniers » en anglais), terme plus approprié, car ils ignorent les faits mis au jour par les sciences du climat depuis quarante ans. Et si le discours de ces négateurs s’intensifie, c’est parce que c’est aujourd’hui qu’il est nécessaire de prendre des mesures fortes afin qu’un objectif climatique soit fixé, et que nous réduisions nos émissions.

Ce « déni » de science a-t-il une influence sur les politiques ?

Sans doute. Ce que nous voyons sont les éléments d’une propagande très similaire à celle montée jadis par l’industrie du tabac, pour nier les effets de la cigarette sur la santé. Il est scientifiquement démontrable qu’il y a un parallélisme - aux Etats-Unis en tout cas - entre les efforts de lobbying de certains milieux et la dissémination du doute sur divers aspects du changement climatique, que ce soit ses causes ou ses effets prévisibles.

Aux Etats-Unis, de prétendus think tanks, financés par les industries pétrolières et minières, louent les services de scientifiques qui n’ont souvent jamais travaillé sur le climat, mais qui produisent des documents qu’ils diffusent, qu’ils mettent à disposition des médias, des décideurs politiques ou de leur entourage.

Certains comparent le GIEC à une inquisition qui dit le vrai et « excommunie » ceux qui portent une parole alternative.

C’est absurde. Le GIEC n’est pas une organisation qui enrôlerait des chercheurs qui deviendraient ensuite membres d’un cercle fermé... Notre structure organisationnelle est au contraire transparente et ouverte : elle permet à tout chercheur qui a une expertise dans la science climatique de faire valoir cette expertise.

Notre travail est fondé sur la littérature scientifique revue par les pairs. Nous évaluons celle-ci sans distinction, quand bien même elle a pu être publiée dans des conditions d’intégrité discutables - de telles situations ont d’ailleurs été débattues en France voilà quelques mois. Nous n’adoptons pas nécessairement les résultats publiés, même s’ils le sont dans des revues comme Nature, Science ou Earth and Planetary Science Letters, mais nous les évaluons à la lumière de l’ensemble des connaissances, qui compte nombre de faits désormais établis.

Quels sont-ils ?

Les principaux sont que la température moyenne globale a augmenté au siècle dernier de plus de 0,7 °C, que les océans se sont élevées de 17 cm, que les glaces ont perdu 10 % de leur couverture, que les eaux de surface de l’océan se sont acidifiées, source potentielle de problèmes de calcification pour certains organismes marins comme des planctons ou les coraux.

Plusieurs ensembles de preuves obtenues de manière indépendante établissent un lien causal entre ces observations et l’augmentation de la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre. La teneur en CO2 est actuellement plus élevée de 29 % qu’au cours des derniers 800 000 ans au moins. La croissance du CO2 dans l’atmosphère est 200 fois plus rapide que dans les 100 derniers siècles. Enfin, cette augmentation de CO2 est le fruit de la combustion de ressources fossiles et de la déforestation. Tout cela, et il en existe d’autres, ce sont des faits établis.

On ne peut plus les contester ?

Pas les faits, mais bien sûr les incertitudes et les frontières de la science, en gardant une approche scientifique. Il ne suffit pas de dire : « Tout le monde se trompe, voici ce que je pense. »

Quels sont les points qui sont encore en débat ?

Il reste de nombreuses questions ouvertes. Comme l’existence de « points de basculement » du système climatique. Par exemple, nous ne savons pas où se situe le seuil au-delà duquel la calotte glaciaire du Groenland serait condamnée à disparaître. Il reste aussi des questions sur la réponse globale de la végétation terrestre : nous pensons que, soumise au réchauffement, elle produira plus de gaz à effet de serre, ce qui contribuera à aggraver le réchauffement - mais nous ne savons pas la quantifier précisément. Un autre débat tient à la prédictibilité du climat à échelle de dix à vingt ans. C’est un domaine très jeune qui fera l’objet d’un chapitre entier dans le prochain rapport du GIEC.

Thomas Stocker, coprésident du GIEC

Propos recueillis par Stéphane Foucart


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