Jurys citoyens : diversion royale

samedi 28 octobre 2006.
 

Ségolène Royal aime à se réjouir que le débat au sein du Parti socialiste ait lieu autour de ses propositions. Susciter la controverse peut certes être une stratégie médiatiquement rentable car la provocation fait vendre du papier. Mais la taille du haut-parleur dont il dispose ne dispense pas celui qui en use de le faire de manière utile. Hélas, quand il ne donne pas raison aux préjugés les plus conservateurs, le vacarme Royal sert au mieux de diversion aux vraies questions.

Prenons le dernier exemple en date, les jurys citoyens. La méthode à elle seule est éclairante. Au départ il y a un sondage rendu public en fin de semaine dernière selon lequel 60% des personnes interrogées estiment que « les élus et les dirigeants politiques sont plutôt corrompus ». Quelques détails de cette enquête méritent d’être relevés. Non pas pour souligner malicieusement qu’elle a pris comme « cas d’école » la ville de Béthune, dont le maire Jacques Mellick, réélu après une condamnation pour faux témoignage, soutient activement la candidature de Royal. Mais pour noter que les personnes sondées estiment que les responsables non élus (77,9% pour le gouvernement) sont davantage corrompus que ceux qui sont élus (68% chez les députés). Royal n’en déduira pourtant que la nécessité de surveiller les élus et non pas de contrôler l’exécutif.

Le terme de « jury » citoyen pour évoquer des panels tirés au sort n’a donc pas été choisi au hasard : il s’agit de faire écho à ce sentiment que les élus seraient majoritairement corrompus. D’aucuns loueront cette méthode. Royal n’est-elle pas à l’écoute de l’opinion, à laquelle elle s’efforce de répondre même lorsque le sujet n’est pas « politiquement correct » ?

Mais contrairement à ce que l’on croit souvent, les sondages n’expriment pas l’opinion du pays. Même lorsque les échantillons sont statistiquement représentatifs et que les questions ne sont pas biaisées (ce qui est rare), ce ne sont jamais les citoyens qui rédigent les questionnaires. Les sondages expriment d’abord les centres d’intérêt de ceux qui posent les questions, les sondeurs et leurs clients. Ils traduisent les préoccupations des cercles dominants. Même lorsqu’ils semblent « politiquement incorrects ». Par exemple, expliquer la crise politique de la France par les affaires de corruption est une manière d’évacuer toute mise en cause du contenu des politiques suivies dans notre pays. C’est vouloir, comme aux Etats-Unis, saturer le débat public d’enquêtes de moralité sur les dirigeants, pour mieux faire accepter le fait qu’ils sont devenus interchangeables sur la plupart des questions de fond.

Il n’y a pas besoin d’un sondage pour caractériser l’état d’urgence politique dans lequel vit notre pays. Il aurait suffi pour cela de ne pas traiter le 21 avril comme un simple accident, de participer aux grands mouvements de contestation de la politique libérale du gouvernement, depuis le combat contre les lois Fillon et Ferry en 2003 jusqu’au référendum contre le projet de Constitution européenne en 2005. Ces mouvements ont exprimé le refus constant du libéralisme. Ils ont démontré une disponibilité, une énergie consciente, reposant sur des citoyens motivés, sur des militants impliqués dans les syndicats, les associations, les partis de gauche. C’est dans cette opinion agissante et éclairée qu’est la force de la gauche et non dans « l’opinion » fragile, inconstante, arraché à des sondés pris au dépourvu sur un trottoir.

Le problème de la France n’est pas seulement que nombre de nos concitoyens ont la conviction que la volonté populaire pèse moins que les intérêts du capital et que la politique du pays se décide au MEDEF et à la corbeille. C’est surtout qu’il s’agit là d’une réalité. Les privatisations, l’abandon du service public, la dérive antidémocratique de l’Union européenne, le mépris du peuple affiché à longueur de colonnes, la mise en concurrence des territoires par la décentralisation, tout cela a rendu la souveraineté populaire impuissante, conformément au dogme libéral de la toute-puissance du marché. L’objectif et la méthode pour le changement de la gauche doit donc être en premier lieu la reconquête de la souveraineté populaire.

Le projet adopté par le Parti socialiste offre des points d’appui pour les candidats qui voudraient exprimer cette exigence. Il prévoit en particulier un référendum dans les six mois suivant l’élection pour instaurer une République parlementaire nouvelle. Ce chantier peut permettre d’engager la refondation républicaine du pays. Il tire une leçon des échecs de la gauche au pouvoir, qui s’est laissé corseter par le moule de la Cinquième République. Il engage la remise en cause de ce régime dont l’objectif même était d’assurer l’irresponsabilité du pouvoir et de rabaisser le peuple. Voilà qui mériterait d’être largement débattu car il s’agit là d’une réponse à la hauteur de la crise politique. Sauf que le gadget du jury citoyen a éclipsé l’ambition d’un changement véritable.


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