De la réussite d’Airbus public aux ratés d’Airbus largement privatisé

jeudi 26 avril 2012.
 

1) La réussite d’Airbus public

Partant d’une part de marché d’à peine plus de 10% dans les années 1970, Airbus va devenir en 2000-2001 le leader mondial avec 56% de parts de marché. De 1990 à 2000, son chiffre d’affaire va quadrupler (de 4,7 milliards à 20 milliards) et son nombre d’appareils livrés bondit de 650 à 2800.

Investissements publics, productivité et fidélisation de la main d’oeuvre, innovation technologique, telles sont les recettes qui ont permis à Airbus de monter rapidement en puissance face à Boeing. La locomotive de l’investissement public permit ainsi à Airbus d’accomplir une percée industrielle qui n’a guère d’équivalent dans l’histoire économique.

Tout a commencé quand la France et l’Allemagne ont constaté qu’elles n’arrivaient à rien avec leurs entreprises aéronautiques nationales dans un marché mondial complètement écrasé par Boeing, qui y imposait ses prix et ses standards au détriment des compagnies européennes.

En 1970, les gouvernements français et allemand décident de mettre sur pied un consortium public pour créer de toutes pièces un véritable constructeur aérien capable de concurrencer Boeing.

D’un point de vue libéral, ce pari paraît délirant, car il mise sur une logique de monopole tant pour la production (chaque Etat va se spécialiser pour coopérer et non se concurrencer sur les mêmes productions) que pour la commercialisation (les compagnies aériennes françaises et allemandes sont priées d’acheter Airbus).

Le support choisi est un Groupement d’intérêt économique, pur produit d’économie mixte dominé par la France et l’Allemagne (38% chacun) et complété par l’Espagne (4%) puis la Grande Bretagne (20%). Chaque pays produit ce pour quoi il est le plus performant. Les Anglais font les ailes, les Allemands l’essentiel du fuselage, les Espagnols l’empennage (arrière) et les Français le nez, la section centrale et l’assemblage du tout.

2) Investissements publics et innovations technologiques d’Airbus

Le projet ainsi que le schéma de répartition du plan de charge sont rendu possibles par des investissements publics considérables des gouvernements français successifs, en particulier à Toulouse, qui va être le pivot du développement d’Airbus, des bureaux d’étude à l’assemblage.

Au delà de cet effort proprement français, Airbus est globalement assis sur un système original de financement public. La décision de lancement de chaque nouvel appareil est prise par les Etats (essentiellement les gouvernements français et allemand) qui mettent à disposition les ressources financières nécessaires à la recherche, au développement et à la mise en production de chaque appareil sous forme d’avances publiques remboursables.

Dans ce système, la logique de profit est absente, car, une fois les avions vendus et les Etats remboursés, les éventuels surplus comptables sont réinvestis. Ce mode de financement public à long terme permet à Airbus de miser dès le départ sur la recherche et l’innovation, en engageant des dépenses d’investissement colossales par rapport à celles de Boeing.

Grâce à cet effort, Airbus va révolutionner tous les standards technologiques de l’aviation mondiale.

Il va initier sur l’A 320 les commandes électriques.

Il va remplacer progressivement les tôles par des matériaux composites plus légers et résistants.

Il va introduire les fibres optiques pour les communications.

Il va repenser l’assemblage des avions en passant du traditionnel rivetage au soudage laser.

Airbus va aussi asseoir sa percée industrielle sur une main d’oeuvre à forte productivité par rapport à celle de Boeing. La qualification y sera longtemps valorisée car justement rémunérée. Et l’Etat aura à coeur, en particulier sur les sites toulousains, de garantir la continuité des équipes et la transmission des savoir-faire, y compris en période de faibles commandes.

A plusieurs reprises, l’Etat va ainsi imposer la reconversion partielle des chaînes de production et des personnels, qui furent amenées, entre deux avions, à fabriquer des téléviseurs, des frigos et même des caravanes pour ne pas laisser l’appareil industriel inemployé.

3) Le basculement dans la logique privée de rentabilité à court terme

Le système qui a fait la réussite d’Airbus va être attaqué par une conjonction de forces qui ont intérêt à la privatisation.

Boeing se saisit d’abord des normes commerciales internationales du GATT pour dénoncer les financements publics dont bénéficie Airbus. Ces critiques trouvent logiquement un écho du côté de la Commission européenne qui a toujours considéré Airbus comme une anomalie économique et qui va pousser les Etats à abandonner le système initial, au nom de la politique commerciale européenne.

Face à cette offensive libérale, le système Airbus aurait pu résister si le couple fraco-allemand avait tenu. Mais, dès 1996, Helmut Kohl lâche Airbus et soutient les tentatives de daimler Benz Aerospace de nouer un partenariat avec Boeing pour un futur gros porteur.

Ce projet ayant échoué, les Allemands se tournent vers les Anglais et nouent une nouvelle majorité à la tête d’Airbus. Les firmes Daimler Benz et British Aerospace, déjà en partie privatisées, lorgnent sur les profits que le secteur aéronautique européen pourrait dégager en étant privatisées.

Devenus minoritaires et menacés d’un éclatement pur et simple d’Airbus, les représentants de l’aéronautique publique française sont obligés d’accepter la transformation du consortium public en société privée. Cette transformation s’étalera de 1997 à 2001 dans le cadre d’une vaste réorganisation de l’industrie aéronautique et de défense européenne qui verra naître EADS (dont Airbus est aujourd’hui une filiale).

On assiste alors à une montée en puissance des actionnaires privés (notamment BAE, Daimler, Lagardère) et à une dilution des participations publiques devenues résiduelles ( 15% de l’Etat français, 5% de l’Etat espagnol).

Sous la pression des actionnaires, les fonctions financières et marketing, jusque-là subordonnées, prennent peu à peu le dessus sur les fonctions technologiques et productives. Les commerciaux misent sur une différenciation à outrance de l’offre pour appâter les clients et engagent Airbus dans une course aux options à forte marge bénéficiaire, sans être certains que la production suivra à temps.

Dans le même temps, les financiers forcent à réduire la durée du cycle de développement des appareils, en comprimant en particulier les temps de recherche et de tests (prototypes et production en pré-série). Le tout pour accroître la rentabilité à court terme.

4) Quand les rats (gros actionnaires) mangent la cargaison avant de quitter le navire

Après le basculement vers la logique privée de rentabilité à court terme, les ingrédients sont réunis pour transformer le fabuleux projet industriel et technologique de l’A 380 en vaste désastre financier.

A cela s’ajoute une valse des patrons à la tête d’Airbus ( 4 depuis 2001) qui empêche toute continuité industrielle face aux actionnaires. Sous leur pression, Airbus est ainsi fragilisée stupidement par des plan successifs de réduction des coûts à chaque fois que la rentabilité à court terme semble menacée par les fluctuations des commandes.

C’est le cas en 2002, après le krach du secteur aérien qui suit le 11 septembre. Airbus programme 6000 suppressions d’emplois alors que l’entreprise n’est pas menacée dans ses fondamentaux industriels.

L’entreprise sera obligée d’en recruter presque autant deux ans plus trad avec la relance du carnet de commande, au prix d’une grosse perte de savoir-faire et d’un énorme gaspillage humain.

Le même scénario se répète aujourd’hui avec le plan de restructuration annoncé suite aux pertes générées par l’A 380, alors même qu’Airbus dispose encore d’énormes carnets de commande.

Après avoir fait main basse sur Airbus à partir de 2001, pour en tirer de juteux profits (1,7 milliards d’euros de résultats nets en 2005, hausse de 35%), les principaux actionnaires privés d’Airbus sont aujourd’hui en train de le lâcher.

British Aerospace est en train de revendre ses 20% dans Airbus à EADS. Quant à daimler Chrysler et lagardère, autres fervents supporters de la privatisation il y a quelques années, ils ont vendu récemment la moitié de leurs parts dans EADS. Cela aggrave la chute du cours de l’action EADS et menace la solidité financière d’Airbus.

Dans ce désastre, les gouvernements français et allemands se demandent bien aujourd’hui comment ils vont pouvoir stabiliser le capiatl d’EADS, au point que la très libérale chancelière Merkel a envisagé un moment un rachat d’actions par l’Etat allemand.

Quant à la valse des actions vendues, achetées, revendues, on sait aujourd’hui que la Russie a ainsi acquis 7% du capital d’EADS. Il ne manque plus que de découvrir une main mise américaine, sous une forme ou sous une autre et le groupe européen public aura vécu.

Article rédigé à partir d’un dossier de A Gauche n° 1056


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