Quand le capitalisme cherche à transformer les virus en or (Par Bernard Doray, Médecin psychiatre)

dimanche 17 janvier 2010.
 

Comment l’esprit de cynisme a-t-il pu infiltrer certaines institutions médicales ?

À la Fête de l’Humanité, on s’écrasait comme rarement au concert de Manu Chao et ailleurs. Alors que des messages du nouvel hygiénisme commençaient à tester la popularité d’une éventuelle prohibition des baisers, une foule joyeuse arborait le tee-shirt  : « Stoppons la grippe capitAliste », en blanc sur fond rouge, avec un « A » majuscule. Il est des actes politiques qui portent une vérité que l’on ne saisit qu’après coup. Aujourd’hui, alors que l’épilogue semble s’approcher, le bilan de la prise en charge de la nuée de grippes est plutôt lourd. Il montre la médiocrité des dispositifs d’urgence d’un système de santé publique anémié. Il laisse à penser qu’après tout ce tintouin, si se présente dans quelques années une véritable grave pandémie, le public risquera de ne pas y croire. Mais, surtout, il donne la mesure de l’infiltration de certaines institutions médicales par un esprit de frivolité économique et de cynisme. Quelques dates pour prendre la mesure de cette évolution  :

1991 : une journaliste de l’Événement du jeudi révèle que le Centre national de transfusion sanguine (CNTS) a sciemment distribué, de 1984 à 1985, des produits sanguins dont certains étaient contaminés par le virus du sida. C’est un immense scandale. Quatre médecins, dont l’ancien directeur du CNTS, Michel Garretta, ont été jugés. Laurent Fabius, Georgina Dufoix et Edmond Hervé ont comparu devant la Cour de justice de la République pour « homicide involontaire ». Bien qu’aucun des trois derniers nommés n’ait tiré de bénéfice de ce grave dysfonctionnement, on a considéré qu’il y avait là un acte dont on pouvait discuter le caractère criminel. Autrement dit, un acte extrêmement grave.

2001 : en mars 2001, c’est le procès de Pretoria, qui oppose l’Association sud-africaine des fabricants de médicaments à une ligue de 39 compagnies pharmaceutiques dont les plus grandes  : Merck, Rhône-Poulenc, Lilly, Novartis, ou encore GlaxoSmithKline. Raison du procès de Pretoria  : au sein de l’Organisation mondiale du commerce, une série d’accords dits Adpic interdit aux pays adhérents de produire un médicament ou de l’acheter à l’étranger sans verser des royalties au propriétaire de l’invention, et ce pendant vingt ans après la date de ladite invention. Or, l’Afrique du Sud, qui est alors le pays le plus touché au monde par la pandémie, a voté une loi favorisant la production locale de médicaments génériques accessibles à la population. Le procès est un semi-échec pour les multinationales, et divers compromis sont passés, mais déjà, la société planétaire a avalé le concept d’un monde à l’envers où la légalité peut tuer en masse et où l’acte hippocratique est criminalisé.

2007 : Handicap International et Amnesty International font savoir qu’ils rompent leurs contrats avec le groupe d’assurance Axa, qui a investi dans la production de mines antipersonnel et de bombes à fragmentation. L’affaire reste assez confidentielle et, le 14 avril 2009, 
M. Claude Bébéar, président du directoire d’Axa pendant la période en question, est décoré de la légion d’honneur par un président Sarkozy tout juste revenu du Mexique, où il a parrainé un contrat de 100 millions d’euros pour une usine de production d’un vaccin contre la grippe, usine construite et exploitée par Sanofi Pasteur, division vaccins de Sanofi-Aventis. L’existence d’une pandémie n’est pas encore révélée, et la course de la médecine contre elle ne sera lancée qu’un mois et demi plus tard, le 23 avril au soir, par le ministre mexicain de la Santé, qui avait pourtant démenti le matin même l’existence d’un risque. Mais pendant ce temps d’occultation de l’épidémie, le monde boursier a apparemment bien flairé la bonne affaire et une autre course a démarré, celle secrète, pour les non-initiés, de la course au brevet. Pour les participants à cette course, Sanofi a pris des précautions. Dans un communiqué, cette firme annonçait la bonne nouvelle qui faisait s’envoler ses actions, mais en mettant en garde les investisseurs sur les « facteurs de risques ». Dans le détail de ces risques, le lecteur ne voit que contentieux juridiques. Mais on imagine bien que le risque majeur et non dit, pour ce monde à l’envers, était la possibilité que la pandémie massive ne soit pas au rendez-vous. Ce qui est jusqu’à aujourd’hui le cas. Car les virus appartiennent au réel.

Les citoyens normaux ne se plaindront pas que le pire ne soit pas au rendez-vous. Et ils découvriront un peu plus ce que signifie ce capitalisme sans boussole éthique dont le rêve serait de faire des épidémies pour ses marchandises au lieu de faire des remèdes pour combattre les plus grandes urgences médicales.


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