De la République à la République sociale Histoire et dynamique

lundi 4 janvier 2016.
 

La formule de la "République sociale" a été proposée en politique à gauche par l’un des fondateurs essentiels du socialisme français, Jean Jaurès. Certes, la référence à Jaurès joue dans les cercles socialistes contemporains un rôle incantatoire, sans cesse invoquée et utilisée pour toutes les causes, y compris les plus étrangères à ses idées et à ses combats. Mais il n’est jamais vraiment cité. ici, pour cet article, parmi les nombreux textes de Jaurès consacrés à cette perspective de la République Sociale, nous nous sommes appuyés sur le fameux discours à la Chambre du 21 novembre 1893. Il y développe son idée de République "jusqu’au bout" et définit ce que doit être le but du socialisme.

A) Le drapeau de Jaurès

A1) Sa démarche générale

« Le socialisme proclame que la république politique doit aboutir à la république sociale. » C’est la formule la plus connue de ce discours. Il y a en effet un premier aspect de son texte qui est un classique dans le socialisme français de l’époque qui consiste à replacer le combat socialiste dans le prolongement de la Révolution française et de l’avènement de la République.

Ce discours a une résonance particulière au coeur des années du combat républicain d’alors : nous sommes en pleine ascension des exigences républicaines mises en oeuvre au début de la Troisième République contre la réaction monarchiste et cléricale, le pays ne tardant pas à se partager fortement entre Dreyfusards et Antidreyfusards.

Jaurès souligne alors que le combat républicain a sa propre dynamique : développer avec conséquence le programme républicain débouche sur l’exigence socialiste. Les revendications socialistes qui mettent en cause la domination capitaliste sur la société découlent du combat républicain lui-même.

Pour faire sa démonstration il reprend un argument socialiste qui a traversé tout le 19ème siècle, qu’on retrouve par exemple fréquemment chez Marx : il y a une contradiction entre l’ordre politique républicain, fondé d’une part sur l’affirmation de l’égalité juridique entre tous les citoyens, d’autre part dans un ordre économique et social qui creuse sans cesse de nouvelles inégalités. L’avènement d’un véritable régime républicain a pour effet de mettre à nu cette contradiction et d’élargir l’exigence d’égalité du champ politique au champ économique et social. Jaurès appelle donc les républicains des débuts de la Troisième République à être conséquents avec eux-mêmes et à poursuivre leur lutte après les premiers pas vers l’égalité.

A2) Son argumentation

Elle est précise, partant de quatre conquêtes républicaines essentielles pour montrer comment elles constituent des chemins qui conduisent à l’égalité sociale. Chacun de ses quatre arguments a fait l’objet des discours et d’écrits spécifiques :

- > 1) La conquête du suffrage universel provoque une dynamique. Comment peut-on faire du citoyen le souverain dans l’ordre politique et soustraire à cette souveraineté tout ce qui détermine sa vie sociale ? La justification même du suffrage universel appelle son extension à tout ce qui constitue le bien commun des citoyens. Comme il le dit si bien, l’émancipation politique appelle l’émancipation sociale.

- 2) La conquête de l’instruction scolaire obligatoire et laïque est un levier considérable car elle permet à toute la population, y compris es plus pauvres, d’acquérir les connaissances sur la nature et le monde social capable de construire l’autonomie intellectuelle de chaque personne, condition de la remise en cause de la domination.

- > 3) La laïcité a « réveillé la misère humaine », interrompu la « vieille chanson » de l’impuissance et de la soumission. On voit ici que Jaurès a une vision combative de la laïcité contrairement à ce que racontent certains commentateurs contemporains qui voudraient le rallier à une laïcité réduite à une simple tolérance. La laïcité est pour lui un moyen d’arracher le peuple au pouvoir superstitieux que l’Eglise répand dans les consciences. En détachant le peuple du pouvoir clérical, l’énergie populaire qui se perdait dans les espoirs d’une autre vie peut désormais se consacrer aux conditions de vie sur terre.

- > 4) La conquête de la liberté d’exercice des syndicats ouvriers n’est pas la moindre des avancées républicaines. Pour Jaurès, elle présente l’avantage de favoriser la lutte ouvrière en rassemblant les ouvriers dans une force plus grande et plus unie. Loin d’être l’instrument de la conciliation capital/travail prônée par la majorité des républicains de l’époque. Jaurès montre que les institutions républicaines peuvent et doivent être un point d’appui pour la lutte sociale comme facteur de progrès social.

Bref, pour lui, le socialisme sort du système républicain comme d’une matrice et il y demeure lié dans tous ses développements. Cette idée n’est pas isolée : on peut la trouver à la même époque parmi des socialistes d’autres pays. Marx, lui-même, juste avant sa mort en 1883 a exprimé une idée similaire.


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