Emancipation : La puissance d’agir des dominés (sociologie)

samedi 17 décembre 2011.
 

De plus en plus de chercheurs en sciences sociales s’emploient à conjuguer la critique des inégalités et des injustices sociales et la réflexion sur les formes possibles de l’émancipation. Deux ouvrages collectifs apportent à cet égard de nouveaux éléments.

* Sexe, race, classe. Pour 
une épistémologie de la domination, sous la direction d’Elsa Dorlin. Éditions PUF, 2009, 28 euros.

* Chemins de l’émancipation et rapports sociaux de sexe, sous la direction de Philippe Cardon, 
Danièle Kergoat et Roland Pfefferkorn. Éditions la Dispute, 2009, 23 euros.

Celui que dirige Elsa Dorlin analyse l’« intersectionnalité » des modes de domination  : il s’agit non plus de dénaturaliser, par exemple, l’imposition des normes de genre isolément, mais d’en saisir l’extension à d’autres types d’assujettissement et d’oppression, « raciaux » entre autres. En témoigne la situation de femmes issues de minorités racialisées et aliénées à des tâches précaires et sous-payées, qui met en jeu l’entrecroisement des dynamiques de pouvoir. L’intérêt de l’ouvrage est de montrer qu’une « épistémologie des résistances » sur d’innombrables « cultures de la domination » gagne à faire converger des luttes sociales jusqu’alors éparpillées. Ainsi des expériences aussi tenaces que le Black Feminism sont-elles à même de stimuler un imaginaire émancipatoire transversal.

Privilégiant plutôt l’étude de la domination exercée sur les femmes, le livre coordonné par Philippe Cardon, Danièle Kergoat et Roland Pfefferkorn, explore les « conditions de possibilité de l’émancipation ». Articulant une approche théorique de la dialectique de l’individuel et du collectif, et des enquêtes de terrain variées (principalement dans le monde du travail, à la fois oppressif et potentiellement libérateur), les auteurs définissent une sorte de grammaire de l’affranchissement collectif. La conviction s’impose ici que les aspirations à l’autonomie et à la libération émanant des femmes dominées doivent s’efforcer de dépasser le stade du désir individuel pour être formulées sous la forme de revendications communes, appuyées par exemple sur des structures associatives ou des microentreprises. Un des enjeux ici est de lutter contre les effets négatifs de l’individualisation, notamment salariale (contrats précaires), qui font obstacle à ces mouvements de mise en commun des expériences de la domination. Car du « je » au « nous », le pas est d’autant plus difficile à franchir que les rapports sociaux sont noués et réifiés. Mais le livre montre que ce nouage n’est jamais qu’une construction historique réversible, pourvu que les acteurs en prennent conscience.

Par-delà leurs différences de stratégie, ces approches de l’émancipation signalent la possibilité d’une issue ici et maintenant. Elles parient sur la puissance d’agir des dominés, qu’elles repèrent au cœur de la domination et des normes figeant les individus. C’est une démarche utile alors qu’un certain ministère de l’« identité nationale » alimente la crispation identitaire.

Arnaud Saint-Martin sociologue

Source : http://www.humanite.fr/2010-02-02_I...


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