A propos du financement des régions (par Gauche Unitaire)

samedi 13 février 2010.
 

Les têtes de liste “Europe Ecologie” d’Ile-de-France proposent, dans Le Monde daté du 3 février 2010, “Trois réformes solidaires pour venir au secours des finances locales“. Celles-ci portent sur les modalités d’un emprunt possible pour les collectivités territoriales et pas seulement les Régions.

Les auteurs veulent ainsi contourner la future loi sur la réforme territoriale et contrecarrer la diminution des financements des collectivités territoriales résultant de la suppression de la taxe professionnelle.

Mais ils font l’économie de la nécessaire analyse de la restructuration des pouvoirs sur le territoire, se contentant de dénoncer une réforme politicienne (sous-entendu tournée contre le PS et les Verts). Or, la réforme va bien au-delà.

Une restructuration des territoires et des pouvoirs

La réforme vise à recentraliser toutes les initiatives, et ce pas seulement du fait que les Régions sont tenues par la gauche, en exceptant la commune, redevenue un lieu de pouvoir mais sans en avoir les moyens. Le Préfet devient tout puissant, les partenariats public-privé (les PPP) s’imposent, ainsi que la contractualisation pour financer toutes les mesures prises. Celles-ci le seront en collaboration forcée avec les représentants de l’Etat déconcentré, sans laisser aux différentes instances aucune possibilité de définir une autre politique. Seront de ce fait remises en cause toutes les capacités d’une collectivité territoriale d’intervention en faveur des salariés.

Il faut également faire le bilan de la décentralisation qui a été initiée à partir de 1986, la formation des Régions, bien après le vote des lois Deferre en 1982. Cette décentralisation s’est accompagnée d’une déconcentration de l’Etat central, restructurant le territoire et les pouvoirs. Dès le début, avec le transfert des compétences, il s’est agi d’instiller la politique d’austérité et la baisse des dépenses publiques.

A partir de 1995 (avec les lois Pasqua), puis de 1999 (avec les lois Voynet et Chevènement), on a vu se multiplier les lieux de pouvoir – Communautés de communes, pays…- alors qu’étaient conservées les structures héritées de la Révolution française, les départements… Plus personne ne sachant qui est responsable de quoi. C’était une manière de diffuser la politique d’austérité que gauche et droite ont mise en œuvre. Et ce par le transfert des compétences aux collectivités territoriales, pas seulement aux Régions, puisque le département prenait en charge tout le secteur du social sans disposer des financements correspondants (donc rognant sur les crédits à la culture, ce qui pose d’autres questions).

Il fallait bien se résoudre à simplifier cet écheveau. Tout le monde s’attendait à une contre-réforme. Sarkozy, comme à son habitude, la met en place.

La réforme territoriale de 2014 ne vise pas seulement “l’orientation politique des collectivités territoriales”, elle restructure de nouveau les pouvoirs sur le territoire. La suppression de la taxe professionnelle participe de la volonté de réduire les charges des entreprises pour augmenter le profit, en remettant en cause les solidarités collectives et l’impôt. Dans le même temps, et de manière logique, Sarkozy veut supprimer un fonctionnaire territorial sur deux pour laisser libre le champ de l’entreprise privée. Cette volonté idéologique ne saurait être sous estimée. Il veut aussi donner davantage de pouvoirs aux Métropoles considérées comme les lieux de développement et d’accumulation du capital de demain. Les analyses en la matière nous viennent des Etats-Unis. C’est aussi une recentralisation des financements passant par davantage de pouvoirs aux organismes déconcentrés de l’Etat, le préfet de région en l’occurrence. Derrière c’est aussi une volonté de tout contrôler, de remettre en cause des espaces de liberté.

La question des financements

Comment faudrait-il poser, au-delà de ces réflexions nécessaires pour appréhender le contexte, la question des financements à la fois des entreprises, pour orienter leurs investissements et leurs productions, et pour l’aménagement du territoire permettant la sauvegarde de l’emploi ? Comment agir dans ce nouveau contexte ? Comment préparer le combat ? Comment d’ores et déjà empêcher le Préfet et le patronat de définir la politique à suivre ? Comment alimenter la lutte des classes en appuyant toutes les expériences d’autogestion, de contrôle par les salariés du développement de l’entreprise, pour empêcher les fermetures ?

Il faut comprendre d’abord ce contexte, un contexte dégradé du point de vue de la lutte des classes, pour déterminer les réponses possibles. En termes de financement comme pour le reste.

Les têtes de liste Europe Ecologie se contentent de répondre sur le terrain technique du financement, en proposant d’abord un « code prudentiel ». Il s’agit d’éviter les “produits structurés” qui ont été proposés par les banques aux collectivités territoriales. Ces derniers se retrouvent mêlés à des produits toxiques, liés directement à la crise financière qui a débuté en août 2007.

Ces « produits structurés » mixent différents risques liés à des types d’endettement. Ainsi les “SIV” (Structured Investment Vehicul ; tout simplement “véhicule” en français) étaient composés de subprime (des prêts immobiliers à risques), de prêts moins risqués, et de Sicav monétaires sans risque aucun (du moins avant de faire partie du véhicule). La cotation de ces SIV s’est écroulée, entraînant la prise de conscience de la coupure de la sphère financière d’avec la création de richesses. La spéculation avait atteint ses limites.

Cette crise a touché toute la finance, puis toute l’économie (voir le Petit manuel de la crise financière et des autres, Syllepse), y compris les sociétés qui avaient respecté un “code prudentiel”. Les collectivités territoriales américaines, qui utilisent – utilisaient ? – beaucoup le recours à l’emprunt sur les marchés financiers, elles aussi ont été victimes de cette crise. Il faut comprendre dans le même temps la logique de l’endettement – dont chaque surendetté a fait l’expérience. Il faut pouvoir payer les intérêts de la dette. Pour ce faire, dans le cas probable où les recettes ne suivent pas – et d’où pourraient-elles provenir ? -, il faut s’endetter pour faire face aux intérêts de la dette précédente. Cette « cavalerie » peut se traduire par des risques de quasi-faillite. Pour les éviter, il faudra augmenter les impôts, les taxes pesant sur les plus faibles.

Sans doute pour éviter cet engrenage, les têtes de liste proposent de “développer la pratique d’emprunts auprès des particuliers”. Avec des limites. D’abord, ils ne peuvent excéder 5 ans. La déduction est évidente : cibler sur, par exemple, “l’isolation thermique”. Pour combien de ménages ? Pour quel type de logement ? Comment résoudre ce problème sans se battre pour un service public du logement, pour le faire sortir de la logique de la valorisation du capital ? En outre, ce service public pourra faire sortir le secteur du BTP du marasme actuel en relançant globalement le bâtiment avec un effet de levier non négligeable sur l’ensemble de l’économie…

Si dans l’état actuel des choses on veut favoriser le logement social, et l’emploi, il est nécessaire de déterminer un plan d’investissements passant par la construction d’un pôle public régional de financement, de crédit ! Il ne pourra pas prendre la place des banques, mais il pourrait favoriser le crédit bancaire aux entreprises, à condition de le faire fonctionner suivant des valeurs qui sont celles du service public. Ce pôle public pourrait cautionner des emprunts bancaires permettant aux banquiers de redevenir ennuyeux, c’est-à-dire de faire leur travail de banquier… A savoir financer l’économie et la création de richesses !

Il serait le fer de lance d’une politique alternative, à condition de le concevoir dans un cadre interrégional. Ce serait un des moyens de lutter contre les inégalités entre les régions, entre les collectivités territoriales, par un système de compensation permettant aux régions riches de financer les régions moins riches ou plus petites. Ce serait une démonstration politique de grande ampleur de la solidarité, thème qui reste trop souvent cantonné aux discours du dimanche.

Les auteurs, sous une forme différente, rejoignent cette nécessité de l’interrégionalité en voulant ”organiser le groupement d’emprunts sur les marchés financiers internationaux”, passant par la coopération de toutes les collectivités territoriales. Idée juste dans le cadre proposé plus haut. Mais en tant que telle, cette proposition ne changerait rien, elle paraît seulement porteuse d’une critique implicite de la gestion de la gauche des Régions. La gauche n’a pas centralisé sa gestion, laissant toute liberté aux potentats locaux (le cas Frêche étant symptomatique des formes de féodalité qui se sont développées). Cette nécessité de la coopération se trouve renforcée par la crise systémique actuelle et par les déstructurations sarkoziennes. Non seulement les régions – les départements, toutes les collectivités territoriales – pourraient gérer autrement et se donner les moyens d’une politique sociale, mais elles pourraient aussi reconstruire l’espoir en faisant démonstration concrète qu’il est possible de mettre en place une politique alternative. Au-delà, ce serait aussi l’appel à la mobilisation citoyenne et sociale pour imposer des choix de société. Il est évident qu’il ne peut y avoir, dans le contexte actuel, de solutions seulement techniques.

Un pôle régional de financement

En ce sens, la proposition d’un “pôle régional de financement” est bien une première réponse. Centraliser tous les crédits orientés vers le développement économique et social de la région : pour ouvrir des négociations avec les responsables de l’Etat, les Préfets aux ordres du gouvernement ; pour aller à l’affrontement dans les meilleures conditions ; pour peser dans les orientations prises au lieu de subir les contraintes imposées par le pouvoir central. On pourrait se servir d’un tel outil, le faisant fonctionner comme un service public avec le souci de l’intérêt des salariés, pour discuter avec les banques de leurs possibilités de financement, et de cautionner si nécessaire un certain nombre de prêts… Un tel pôle aurait vocation à devenir interrégional pour faire la preuve qu’une autre politique est possible, qu’elle peut s’incarner dans la réalité.

Il s’agira de faire une démonstration politique qui suppose de s’affronter au gouvernement – et non de négocier dans une position de faiblesse -, ainsi qu’au Medef, pour leur imposer des choix de développement incluant des débuts de réponse à l’ensemble des crises vécues, dont la crise écologique.

La réponse aux crises suppose de faire preuve d’imagination, de sortir des habitudes, de concevoir le lien entre les propositions de financement et les luttes sociales comme citoyennes. Faute de quoi c’est la défaite qui se profile. Si la loi territoriale se met en place en 2014, il faudra en effet revoir de fond en comble toutes les pratiques, il ne suffira pas de vouloir emprunter, il faudra aussi trouver les prêteurs et, faute de financement visible, ils se feront rares et avec des taux d’intérêt plus élevés, ouvrant ainsi la porte aux produits toxiques pour avoir les crédits nécessaires au fonctionnement des collectivités territoriales.

L’aménagement du territoire appelle de l’audace si l’on veut éviter tous les drames liés aux licenciements et aux fermetures d’entreprise.

Si l’on comprend que la crise est systémique – et donc ne pas faire semblant de croire qu’elle est terminée -, on voit que les solutions radicales sont à l’ordre du jour. Le fonctionnement de service public est une manière de dire qu’il ne faut pas accepter la logique du capitalisme !

Nicolas Béniès


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