L’Auvergne voit rouge pour ses campagnes

vendredi 19 février 2010.
 

Pesant 8,5 % des emplois, l’agriculture reste un secteur clé de la région, à la croisée des enjeux économiques et écologiques. Les éleveurs de la filière qualité attendent une intervention des politiques qui résiste aux pressions du marché.

Pas de prêchi-prêcha ni de discours convenu prêt à débiter. Ce matin-là, réunis autour du café dans une ferme familiale de Saint-Hilaire-la-Croix, à quelques kilomètres de Riom, André Chassaigne et plusieurs de ses colistiers du Puy-de-Dôme (Maïté Ballais, 2e de liste, Gauche unitaire ; Pascal Estier, 7e, maire divers gauche des Ancizes ; et Claude Voisin, 11e, syndicaliste agricole) sont venus d’abord pour écouter. Au programme de la journée : la visite de deux exploitations familiales à taille humaine. Une centaine de bovins et quelques dizaines d’hectares de terre pour les nourrir. Des maillons essentiels à l’aménagement et à l’économie d’une région fortement rurale, ou l’agriculture représente encore 8,5 % des emplois, le double de la moyenne nationale, employant plus de 40 000 personnes. Mais des maillons de plus en plus fragilisés aussi, du fait de la libéralisation du secteur agricole.

Quatre suicides dans le canton

Mathieu et Marc sont de ceux-là. Ils racontent la difficulté pour des jeunes agriculteurs de s’installer et de vivre de leur production, faute d’aides suffisantes et adaptées et de réglementation des prix agricoles. « Á nous deux, nous parvenons à dégager un revenu mensuel de 500 euros chacun, mais sans compter nos heures », témoigne Marc, trente-deux ans, associé à Mathieu depuis l’an dernier. Une somme à peine suffisante pour vivre, au prix d’un travail mêlant les casquettes les plus diverses pour tenter de surnager. Depuis, peu, ils se sont mis à la vente directe de leur viande aux consommateurs pour échapper aux diktats des prix imposés par les monopoles de la grande distribution. « Nous sommes à la fois agriculteurs, éleveurs, transformateurs, artisans, bouchers, commerciaux, gestionnaires… » énumère Marc. Mais même au prix d’un travail acharné, beaucoup ne s’en sortent plus. « On compte quatre suicides ces derniers mois dans le canton », souligne Bernard Favodon, maire de Saint-Hilaire. Dans la région, les paysans sont de plus en plus nombreux à se transformer en simples naisseurs pour le compte d’acheteurs italiens, qui engraissent les bêtes avant d’en réexporter une partie sur le marché français.

Un moyen de survivre face à la flambée des coûts de l’alimentation pour bétail, mais qui rend les exploitations tributaires des fluctuations du marché italien. « Il faut tendre vers l’autosuffisance des exploitations. Les paysans ne maîtrisent pas les prix du marché. Alors que celui qui produit ses céréales maîtrise ses coûts », explique Olivier, quarante ans, éleveur à Saint-Pardoux, et responsable d’un syndicat agricole.

Résister, et non accompagner

André Chassaigne écoute et réfléchit à voix haute. « Il faut passer les politiques régionales au crible des critères environnementaux. Á la problématique du revenu, se croise celle des bêtes engraissées en Italie et qui reviennent ensuite sur le marché français, ce qui pose un problème de logique environnementale », estime-t-il. Mais les régions ont-elles le moyen d’agir sur ce qui semble relever pour une grande part des orientations de la politique agricole commune (PAC) décidée à l’échelle de l’Europe ? Pour Claude Voisin, syndicaliste agricole candidat sur la liste du Front de gauche, c’est oui. Problème : le conseil régional intervient déjà aujourd’hui… mais en amplifiant les logiques à l’œuvre qui favorisent les grosses exploitations.

C’est le cas de la « charte ovine » mise en place « sans concertation », dénoncent les paysans présents, et qui n’accorde les aides régionales qu’aux éleveurs de plus de cent brebis, quand l’Europe a fixé ce seuil à cinquante… Pour André Chassaigne, « les régions de gauche doivent permettre de créer un rapport de forces. Mais aujourd’hui l’Association des régions de France, forte de 20 régions à présidence socialiste sur 22, est davantage dans l’accompagnement des politiques nationales qu’en résistance. Il faut des politiques régionales en rupture avec elles ». Dans la discussion qui s’ensuit, se dégage la proposition d’un « contrat territorial d’exploitation » (CTE) au niveau régional. Un dispositif inspiré du CTE instauré au plan national en 1999, mais décentralisé en région, et dont le principe consisterait à accorder des aides en contrepartie d’engagements des exploitants en faveur du développement de filières de qualité et de la préservation de l’environnement. « Cela permettrait d’encourager la qualité, et non l’agrandissement des exploitations qui fait des paysans des concurrents », acquiesce Olivier. Pour André Chassaigne, « il faut aller vers plus de partenariats entre les collectivités, en retenant l’idée d’un chef de file en fonction des secteurs. La région pourrait venir en appui pour conforter l’action en faveur d’une agriculture paysanne ».

Sébastien Crépel


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