Aimer s’apprend, comme le reste. La sexualité, c’est la créativité

lundi 22 février 2010.
 

A travers les propos du Ministre Luc Chatel, de certaines associations ou organisations politiques, de vieux démons nauséabonds remontent à la surface. Protégeons notre jeunesse ! Il est trop tôt au primaire pour parler de sexualité. Le problème c’est qu’ensuite au collège, il est trop tard, comme le constate le récent rapport remis par l’IGAS à la Ministre de la santé concernant la contraception et l’IVG chez les mineures. Dans une société qui expose, décompose, instrumentalise et consomme les corps à n’en plus finir, nous nageons ici dans une pudibonde hypocrisie. Autant dire que nous n’en avons pas fini de visiter les égouts de la République.

Nous avons l’impression de revenir aux débats du XIX° siècle, lorsque Freud découvrit les mécanismes de la sexualité infantile, théorie qui fit alors scandale dans les mêmes termes. Pour dire les choses simplement, Freud démontrait que si l’enfant a une sexualité, cette sexualité infantile, n’a rien à voir avec la sexualité active de l’adulte. Cependant elle nous permettait de comprendre les principes de la sexualité humaine. Dire qu’il existe une sexualité infantile, cela signifie simplement que dès le plus jeune âge, nos actions ne sont pas mues par un instinct, mais par la recherche du plaisir contrariée par le principe de réalité. C’est cette quête du plaisir qui donne à nos actions une dimension « sexuelle ». Ainsi la sexualité ne se réduit pas aux fonctionnement des organes génitaux, mais englobe toutes les activités par lesquelles l’enfant, puis l’homme, vont rechercher une satisfaction. La sexualité humaine possède la spécificité de ne pouvoir être réduite à l’assouvissement d’un instinct animal ou à la reproduction mécanique d’une norme, qui serait hétérosexuelle et qui viserait la perpétuation de l’espèce humaine.

La sexualité c’est la créativité, c’est la vie proprement humaine elle-même. Elle ne réduit pas l’homme à une partie de son corps, au contraire, elle est la construction d’une totalité, d’un être-au-monde. En effet, pour satisfaire ses désirs, l’homme seul ou en groupe, sera obligé de mettre en œuvre des stratégies. Il devra réfléchir, construire des outils, travailler une nature qui lui résiste, qui fait obstacle à la réalisation de son désir, une nature qu’il faut connaître et domestiquer. Mais il devra aussi apprendre à tenir compte du désir de l’autre, à l’accepter, à le reconnaître, à le respecter, à l’aimer. Pour cela il devra apprendre à renoncer, quitte à rester insatisfait. C’est donc dans la recherche du plaisir, mais attention, nous dit la philosophie, d’un certain plaisir, celui que procure une « vie bonne » nous dit Aristote, une vie qui n’est pas centrée sur l’utilité que l’on peut retirer d’autrui, comme le fait Mme Boutin dans ce débat, que les hommes vont construire ce qu’ils sont, vont construire leur humanité.

Le problème n’est pas d’accepter que coexistent des normes hétérosexuelle et homosexuelle. Le problème c’est d’abord d’apprendre à aimer. Chaque histoire d’amour est le résultat d’un trajet où s’entremêlent une histoire personnelle, unique, qu’il s’agit de comprendre et d’assumer, et un apprentissage culturel. C’est pour cela que l’Ecole a un rôle déterminant à jouer. A l’école l’enfant va découvrir ce que l’on appelle les Humanités : l’Art, la littérature, la philosophie. Ainsi il va donner forme à son désir, à sa sexualité. Il ne s’agit pas simplement d’expliquer dans le cours de biologie l’anatomie humaine, le fonctionnement des organes génitaux de l’homme et de la femme, ou de se contenter de dire que la sexualité ce n’est pas le catalogue d’obscénités que l’on voit chaque jour à la télé en entretenant le mystère d’une grande découverte à venir, mais d’expliquer que la sexualité c’est la spécificité du désir humain qui se construit dans une humanité épanouie et créative, qui fonde notre estime de soi et nécessite la reconnaissance de l’autre et des autres. La sexualité serait alors la première fondation du politique. Cela monsieur le Ministre, cela peut se faire dès le plus jeune âge.

par Aline Louangvannasy, professeure de philosophie, Secrétaire nationale de la CGT Educ’action


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