Jacques Higelin la révolution en chantant

mardi 2 mars 2010.
 

Quelle est la motivation de votre présence au Bataclan  (concert pour L’Humanité) ?

Jacques Higelin.

Ma présence coule de source. C’est un acte de soutien d’abord à la presse, ensuite à une presse particulière  : celle qui propose un autre regard sur les défavorisés. Je suis inquiet pour les journalistes qui, dans l’ensemble, sont maltraités. Leur situation se précarise de plus en plus. S’ils n’entrent pas dans le moule, ils prennent le risque de se faire jeter. Ils dépendent de tractations qui ont lieu au-dessus de leur tête et qui n’ont rien à voir avec leur travail. L’Humanité, qui a gardé une parole libre, mérite d’être défendue. Je n’ai pas ma carte au Parti communiste ni dans aucun autre parti, mais je suis en sympathie avec les gens qui mobilisent leur énergie et leur réflexion pour plus de justice.

Que pensez-vous des journaux gratuits  ?

Jacques Higelin.

Dans ce monde, rien n’est gratuit. Ca veut dire que quelqu’un paie, en l’occurrence les sociétés qui achètent des pubs. Le système habitue les gens à la gratuité. Beaucoup ne sont plus prêts à payer pour un journal, pour de la musique ou de la littérature. Considérer la culture et le journalisme comme des denrées sans valeur contribue à l’appauvrissement général. J’achète des journaux, que je choisis avec soin  : une manière non seulement de m’informer, mais aussi de nourrir ma réflexion. Je le dis clairement, j’ai besoin – intellectuellement, philosophiquement – de la presse.

Sans nourriture de la pensée, 
il y a risque de déclin humain  ?

Jacques Higelin.

Exactement. On se retrouve avec des émissions télévisées comme la Ferme des célébrités, un divertissement sans risque pour le pouvoir. D’énormes moyens sont attribués à cet écran sans fumée. Soyez distrayants, et vous serez bénis. Je me reconnais en des artistes comme Nougaro, Ferré, Brassens, Barbara, Brel, dont l’art constitue un contre-pouvoir réel et populaire. Maintenant, on marche dans le désert.

Ce soir, le hip-hop est magnifiquement représenté par Busta Flex, la Canaille, HK, Sir Samuel, Spekta… C’est un courant qui vous touche   ?

Jacques Higelin.

Complètement. Parce qu’il a une culture de refus de la soumission. C’est précieux, quand on sait que les banlieues sont quotidiennement soumises à une grosse pression policière et étatique. Nicolas Sarkozy a osé parler de nettoyage au Karcher. Plusieurs années après, ça continue de me mettre en colère. Maintenant, on est quasiment considéré comme délinquant, si on est pauvre, voire malade. Pour les plus démunis, il est difficile de manger, mais encore plus d’obtenir un toit, alors que de nombreux logements restent vides. La loi de réquisition n’est pas appliquée, encore moins à Neuilly et dans le 92.

Ce soir, vous serez partie prenante d’un plateau comportant une cinquantaine d’artistes. Qu’éprouvez-vous  ?

Jacques Higelin.

Je suis heureux de voir toute cette solidarité autour de l’Humanité. C’est l’humanité dans sa richesse qui est représentée.

Que ressentez-vous, quelques heures avant de chanter un titre avec Archie Shepp  ?

Jacques Higeli.

À la fois de la joie et de l’émotion. Je suis attaché à ce courant du jazz  : l’Art Ensemble of Chicago, avec lequel j’ai collaboré il y a un bail, Ornette Coleman, Eric Dolphy. Nous vivons l’époque Kleenex. Achetez, consommez, jetez. Ces artistes sont de véritables résistants. J’ai eu la fierté de jouer avec Archie et son groupe au Duc des Lombards, en 2009. La veille, nous avions répété chez lui. En regardant ces génies de la musique, je me disais intérieurement  : « Comme j’ai de la chance  ! » Je redevenais soudain le môme que j’étais, à quinze ans, quand j’ai rencontré Sidney Bechet. Le jazz, c’est une joyeuse révolution qui a secoué le monde.

Un dernier message  ?

Jacques Higelin.

Oui, en direction de toutes les personnes qui travaillent à l’Huma, comme journalistes ou à d’autres tâches. Je leur dédie ma chanson. Si je les oubliais, c’est comme si j’omettais de remercier les techniciens qui œuvrent dans l’ombre. Chapeau bas aux travailleurs de l’Huma  !

Entretien réalisé par Fara C.

Jacques Higelin en tournée, notamment du 9 
au 14 mars à la Cigale. Nouvel album  : Coup de foudre (EMI).


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