Le meeting parisien du Front de Gauche ou de l’art oratoire de Mélenchon (article de Mediapart)

vendredi 12 mars 2010.
 

Rafraîchis par le vent des drapeaux, nous sommes deux mille à écouter ronronner la tribune de la Mutualité. Lundi 1er mars, 20H, grand meeting des listes île de France et Paris du Front de Gauche. Les orateurs -Buffet, Billard, Picquet, Coquerel- se succèdent au pupitre labellisé « Ensemble pour des régions à gauche, solidaires, écologiques et citoyennes ». Buffet et les autres sont applaudis poliment, mais la salle n’attend qu’un exposant, qui, pourtant, ne figure pas sur les listes : Jean-Luc Mélenchon, président du parti de gauche et vrai moteur du front de gauche.

Mélenchon présente bien, sobre et noir sur fond rouge. De là ou je suis, il semble flotter, le buste dans une marée de drapeaux qui émergent du public. Le public, justement, retient son souffle pendant que l’orateur s‘avance vers le pupitre. Pendant les deux heures qu‘ont parlé ses camarades, on l’a vu corriger, annoter, réciter son discours. Pourtant, après avoir posé sa poignée de feuillets, il n’y jettera pas une seule fois un coup d’œil. Le Verbe est magnifique, phrase longue, phrase courte, alternance rhétorique portée par des modulations parfaites. Le teint blanc et les lèvres rouges, le corps sans cesse en mouvement, il regarde dans les yeux chacun des deux mille présents. Ceux qui l’ont précédé n’ont cessé de beugler, lui murmure puis gagne en puissance. Il parle de fierté, de gauche retrouvée, de cette gauche qui n’a pas peur de regarder les grands dans les yeux, de cette gauche tête de bois, celle qui ne s’en laisse pas compter. On s’est ennuyé en écoutant Buffet ânonner péniblement ces notes sur le « cynisme » des « vautours financiers », qui se « goinfrent » sur la « sueur des travailleurs » , on a ri parfois, comme lorsque Billard s’est sentie obligée de préciser que le Gosplan n’avait « pas été une réussite », ou lorsque le représentant des alternatifs a mugi que les travailleurs devaient « prendre leurs choses en main ». Mélenchon utilise la même rhétorique -banques parasites, actionnaires charognes- mais ça passe, le propos n’en souffre pas, il y gagne même en couleur et en humour. Méluche est un orateur, les autres sont des communicants. La salle le sait. Dès ses premiers mots, on entend comme des râles de plaisir. Enfin, la parole de Jean-Luc ! Celle qui guérit, donne du courage, fait rire et réfléchir. Autour de moi, les gens décroisent les jambes, se penchent, écoutent, les yeux fixés sur cette tête de mule aux traits bourrus.

Le fond n’a pas changé - unité de ceux qui sont restés à gauche, non au Modem qui veut inscrire dans la constitution la limitation du déficit. Quelques thèmes ont été accentués à l’occasion des régionales : régularisation des sans papiers, figures obligées des meetings d’extrême gauche, lutte contre les villes voyous qui ne respectent pas les 20% de logements sociaux, réduction des inégalités entres le villes d’île de France, tarif unique pour les usagers du métro, égalité homme-femme et défense de l’IVG face aux « zigotos » pro-vies qui gagnent en résonnance dans les milieux conservateurs. Plus généralement, défense et renforcement du services public (bien que l’on affirme ne pas avoir peur du mot nationalisation, on parle plus volontiers d’une France 100% service public). Sur ce canevas, tout les orateurs brodent leur propos avec une emphase un peu ridicule pour un front, qui se veut populaire, mais qui ne fera sûrement pas plus de sept pour cents le 14 mars prochain.

Pas de religion en politique, Mélenchon l’a martelé trois fois, dénonçant -figure désormais obligée à gauche comme à droite- Huntington et le clash des civilisations. Pourtant, il y a bien quelque chose de cela lorsqu‘il parle, quelque chose qui lie et donne envie de grandir. Comment placer un tel orateur dans un meeting politique ? Mélenchon ne peut être que l’acmé, le suivant paraît ridicule. Les gens ne s’y trompent pas, qui se lèvent et partent, sitôt son discours terminé, sous le regard désolé du Méluche. Car si l’homme a du talent, il a aussi le sens du collectif et sait céder la vedette. La preuve, Pierre Laurent, qui arrive à la tribune, tête de liste en île de France a gentiment soufflé la place d’un Jean-Luc qui s’y voyait bien. Pourtant, lorsque Laurent prend la parole, le vent Front de Gauche est déjà passé, ce n’est ni l’unitaire Picquet, ni l’éternelle Buffet, ni même la tête de liste locale Pierre Laurent, qui l’insuffle, mais bien le député européen Jean-Luc Mélenchon.

Par Rémi N


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message