Prédominant aux Etats-Unis, le judaïsme libéral reste très minoritaire en France

mercredi 10 mars 2010.
 

Delphine Horvilleur a le phrasé clair et le ton posé des bons pédagogues. La jeune femme de 35 ans enseigne, certes, mais elle est surtout rabbin, un titre acquis aux Etats-Unis, après cinq ans d’études à l’école rabbinique libérale de New York. Elles ne sont que trois comme elle en France. Trois sur le millier de femmes rabbins en poste à travers le monde. Trois symboles des mouvements juifs libéraux, alternatives au judaïsme orthodoxe ou traditionaliste, qui reste majoritaire en France.

La France, où la population de culture juive est estimée à 500 000 personnes, demeure avec Israël une exception en la matière. Aux Etats-Unis, le judaïsme libéral est prédominant. Le Congrès européen des mouvements libéraux qui se tient du 4 au 7 mars à Paris doit faire le point sur le développement de ce courant, apparu en France en 1907. "On y aborde des questions qui sont au coeur de la pensée juive moderne : la place de la femme, la bioéthique, le souci environnemental ou la lutte contre le fondamentalisme religieux", indique Mme Horvilleur, membre du Mouvement juif libéral de France (MJLF), l’une des organisations françaises. Avec une poignée de synagogues dans lesquelles femmes et hommes prient ensemble, le judaïsme libéral touche en France quelque 15 000 personnes, selon Joëlle Allouche-Benayoun, chercheuse au CNRS. "Ce courant, qui cherche à adapter le judaïsme à la modernité, est en expansion", estime-t-elle. Une croissance en partie due aux réponses qu’il apporte aux couples mixtes, en progression, et qui représentent 30 % à 40 % des mariages dans la communauté.

Des raisons historiques expliquent que le judaïsme libéral soit resté marginal en France. "Le consistoire, qui, depuis deux cents ans, organise le culte et offre une sorte de service public pour les juifs, a favorisé un judaïsme centralisé", explique la chercheuse. "Cela a ancré l’idée que les sensibilités alternatives étaient une forme d’hérésie", confirme Mme Horvilleur. "Mais, le judaïsme libéral n’est ni un schisme ni une secte." Son caractère confidentiel tient aussi à l’absence de reconnaissance de la part des courants majoritaires. Il n’existe quasiment aucun contact au niveau institutionnel entre les libéraux et le consistoire. Contacté par Le Monde, le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, n’a pas souhaité s’exprimer. "C’est une situation proprement française. Aux Etats-Unis, des orthodoxes enseignent dans les séminaires libéraux", constate Mme Horvilleur.

En tête des griefs

En tête des griefs adressés aux libéraux arrivent la place faite aux femmes, l’interprétation des textes et l’ouverture aux conversions, notamment pour les enfants non juifs de couples mixtes. "Ce qui est contesté, ce sont leurs arrangements avec la Torah et une sorte de judaïsme à la carte", indique Mendel Samama, rabbin du mouvement loubavitch, courant également en progression. Au cours de leur histoire, les juifs libéraux furent accusés de défendre une intégration proche de la dilution.

Cette absence supposée de fidélité à la tradition agace Mme Horvilleur. "On estime être fidèles à nos ancêtres en étant aussi iconoclastes qu’eux ! Nous encourageons un judaïsme de questionnement, afin que les fidèles puissent faire un choix informé. Et nous sommes contre une lecture unique des textes, source du fondamentalisme religieux." Cette culture débouche parfois sur des questions inattendues. "Si l’on considère que la casherout correspond à une éthique de consommation, une tomate cultivée avec des pesticides et cueillie par des gens sous-payés est-elle casher ?", s’interrogent par exemple des juifs libéraux américains.

Sur la question des conversions, les mouvements libéraux assument leur ouverture. "Nous sommes ouverts aux personnes qui sont "aux frontières", reconnaît Mme Horvilleur. Aujourd’hui, les identités sont hybrides, les mariages mixtes, une réalité. Les leaders religieux doivent engager un débat sur ce sujet."

Reste le lien avec Israël, qui, depuis les années 1970 et la conversion des libéraux au sionisme le plus orthodoxe, constitue en France l’un des rares points d’accord avec leurs coreligionnaires.

Stéphanie Le Bars


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