Bolivar, héros mythique de l’indépendance

lundi 19 mars 2018.
 

Simon Bolivar (1783-1830) est le personnage le plus important de l’Amérique latine, visionnaire, prophétique. Ce héros mythique des révolutions pour l’indépendance fut un génie militaire et politique. Le premier à avoir une vision continentale et un projet pour l’Amérique du Sud (une grande confédération), influencé par les philosophes des Lumières. Le premier à affirmer l’existence d’une identité latinoaméricaine.

Bolivar le décolonisateur, père de cinq pays, au cours de ses chevauchées libératrices, élabore des Constitutions, signe des décrets portant abolition de l’esclavage des Noirs, du servage des Indiens, instituant le partage des terres, un État fort pour défendre les faibles, les libertés politiques, des réformes universitaires, la nationalisation des mines…

Il prône inlassablement l’unité du continent, véritable obsession. Il a pressenti les dangers de l’expansionnisme des États-Unis, qui « semblent destinés par la providence à répandre dans notre Amérique des misères au nom de la liberté ». Il interpelle une Europe « sourde à la clameur de ses propres intérêts ». Mais les élites, les riches, les caudillos finiront par s’opposer aux chantiers bolivariens. Le 17 décembre 1830, il meurt, désespéré de l’échec de ses rêves. Il écrit : « Servir une révolution, c’est labourer la mer. »

Que reste-t-il aujourd’hui du projet et de la pensée bolivariens ? Une Amérique latine à la reconquête d’elle-même. « Un arc-en-ciel terrestre qui a été mutilé. Ils nous ont laissés aveugles de nous-mêmes […], nous ne sommes plus ce qu’ils nous ont dit » (Eduardo Galeano). Hugo Chavez se propose de « terminer l’oeuvre de Bolivar », de démonter les mécanismes de dépendance, de prédation. La question d’une vraie indépendance, d’un nouveau modèle de développement, est posée au Venezuela, en Bolivie, en Équateur. Le choix n’est pas, comme le claironnent les médias serviles, entre le « néolibéralisme démocratique » et le « populisme autocratique ». Lula a contribué à réintégrer Cuba dans le concert des nations latino-américaines…

Chaque processus obéit à ses logiques propres. Terminer l’oeuvre de Bolivar, c’est rendre les pauvres « visibles ». Hugo Chavez a contribué au retour des utopies émancipatrices. Depuis janvier 2005, il prône un « socialisme du XXI e siècle », un modèle à inventer. Les médias dominants lui mènent une guerre de basse intensité. Le très sérieux journal le Monde a titré sur l’un de ses blogs, le 20 janvier : « Pour Hugo Chavez, les États-Unis sont responsables du séisme » en Haïti, un bobard pour toute déontologie. Les dénigrements pleuvent : « totalitaire » (il a gagné 14 élections sur 15), « nationaliste, populiste », des concepts attrape-tout, coupés des conjonctures historiques… Les États-Unis et l’Union européenne enragent. Ils proposent le modèle de l’Union européenne pour l’intégration latino-américaine (el Pais, 12 mai 2009) et la mise en place d’ici à 2015 d’une zone de libre-échange transatlantique, « un nouvel Occident ». Le libre-échange et la concurrence au lieu de coopérations solidaires. L’Amérique latine préfère désormais chercher des espaces de dialogue, d’affirmation et de coopération sans les États-Unis. À Cancun (Mexique, 22 et 23 février 2010), lors d’un sommet latino-américain, vient de voir le jour la Communauté des États latino-américains, sans Washington. Obama tente de reprendre la main, en misant sur la Colombie, en blanchissant les putschistes du Honduras, en discréditant Chavez et Evo Morales… Entreprise difficile, dans un continent laboratoire d’expériences pleines de possibles et de réponses aux grands défis globaux. L’écrivain vénézuélien Uslar Pietri a bien raison : « Bolivar, c’est notre Amérique. »

PAR JEAN ORTIZ, MAÎTRE DE CONFÉRENCES À L’UNIVERSITÉ DE PAU.

Tribune libre dans L’Humanité


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