Un bouclier rural pour parer l’exode (article de Libération)

mardi 23 mars 2010.
 

Le maire de Lormes, dans la Nièvre, propose un plan pour revitaliser les campagnes, en relançant notamment les services publics.

L’idée lui est venue en voiture en allant à Nevers, dans la Nièvre, en février 2009. « J’allais causer budget au conseil général, raconte Fabien Bazin, maire PS de Lormes, 1 500 habitants, dans le Morvan. J’étais en train d’écouter un débat sur le bouclier fiscal. Et je me suis dit : "Pourquoi pas un bouclier rural qui garantirait l’égalité des droits et des chances aux territoires ruraux ?" » Dans cette haute Bourgogne où les routes sont sinueuses et où on mesure les déplacements en temps plutôt qu’en kilomètres, Fabien Bazin a eu tout le loisir de peaufiner au volant son projet d’« exception rurale à la française » et de « droit opposable à l’Etat par les collectivités rurales ».

Parmi les principales dispositions figurent la création de zones franches rurales, inspirées de celles des banlieues, avec une fiscalité adaptée au petit commerce et à l’artisanat, et un soutien aux associations d’intérêt général comme les centres sociaux. Le maire de Lormes préconise également l’instauration d’un « temps d’accès minimum aux services publics » qui permettraient aux habitants des territoires ruraux d’être à moins de quarante-cinq minutes d’une maternité, de vingt minutes d’un accueil de médecine générale, de quinze minutes d’une école élémentaire ou d’un bureau de poste. Et pour ce faire, le « bouclier rural » prévoit la suppression dans les campagnes de la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. « Un gendarme en moins dans ma commune, c’est une famille qui s’en va, explique le maire de Lormes. Les enfants de gendarmes représentent 10% des effectifs de l’école maternelle. »

Pour financer le bouclier rural, Fabien Bazin compte sur « l’abrogation de la part la plus critiquable » du bouclier fiscal, « qui donne plus à ceux qui ont déjà trop, et en affectant ces moyens à la ruralité ». Il propose également la création d’« un fonds de péréquation environnemental » en faveur des campagnes, qui « serait alimenté par les départements très "carbonés" et les entreprises dont le bilan carbone est supérieur à la moyenne départementale ».

« Maternité ». Ce matin-là, à Nevers, Fabien Bazin est venu présenter son bouclier rural devant l’amicale des maires de la Nièvre, où le projet a été approuvé à l’unanimité par le conseil général en juin. Sous les hauts plafonds du palais ducal, il y a beaucoup de cheveux blancs, on écoute posément ce jeune conférencier qui fait d’emblée dans la proximité et le concret pour exposer son projet : « Quand vous recevez dans vos communes vos résidents secondaires, ils disent : "A Paris, à Lyon, on ne se parle plus." Chez nous, quand il y a la queue au supermarché, c’est qu’un client prend des nouvelles de la caissière. Quand on fait un mariage ici, on prend le temps, on n’est pas à la chaîne. Moi, mon fils est né à la maternité de Clamecy. Sa mère a été accompagnée par des gens qui venaient prendre des nouvelles à la maison. Nous, on n’est peut-être pas très nombreux, mais on se parle. C’est une richesse. »

Partout où il emporte son projet de bouclier rural - actuellement dans une vingtaine de départements, Fabien Bazin répète deux chiffres : les 20% des habitants des campagnes françaises occupent plus de 80% du territoire et huit millions de citadins ont un projet de vie à la campagne (1). « C’est la fin de l’exode rural ! s’emporte l’élu. Aujourd’hui, c’est l’exode urbain. A part les ghettos de riches comme Paris, l’essentiel des habitants des villes connaissent des problèmes financiers. Le système est à bout. Il faut se préparer à l’arrivée des citadins. » C’est à Lormes que Fabien Bazin voit l’avenir, pas à Neuilly-sur-Seine dont, dit-il, l’ancien maire et actuel président de la République « n’a pas de projet pour les zones rurales ».

« Proximité ». Un bouclier rural, donc, pour revitaliser des campagnes et faciliter l’installation de nouveaux habitants, la démonstration est plaisante mais pour l’heure, dans la salle du palais ducal, on navigue entre doléances et inquiétudes : « Il faut qu’on arrête de dépouiller nos territoires, lance un élu. La chirurgie de l’hôpital de Clamecy est pratiquement fermée ; ils ont prévu un bus pour emmener les patients à Auxerre. Il faut qu’on fasse confiance aux élus ruraux. On a l’impression que plus on s’éloigne de la ville, plus on considère que l’on perd en intelligence. On est en train de glisser d’un principe d’égalité entre territoires vers un principe d’équité. Il faut le refuser. »

A Urzy (1 800 habitants), raconte la maire, « on a supprimé l’année dernière trois classes. Ils veulent mettre en place des jardins d’éveil. Mais qui va intervenir dans ces jardins ? » René-Pierre Signé, qui fut maire de Château-Chinon à la suite de François Mitterrand de 1981 à 2008, rapporte comment il a interpellé la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, au Sénat sur l’avenir des hôpitaux de proximité. « Si on les supprime au profit de grands pôles de médecine, que va-t-on faire avec le patient qui a saigné du nez durant la nuit ? s’interroge le sénateur socialiste, médecin généraliste à la retraite. Il ne faut pas oublier que la majorité des actes chirurgicaux ne sont pas des actes de haut niveau et que, dans huit cas sur dix, ils peuvent se régler dans des hôpitaux de proximité. En revanche, il y a des actes médicaux qui n’attendent pas. Comment aller jusqu’à Dijon quand on a la rate perforée ? »

Il y a trois semaines, Fabien Bazin s’est rendu rue de Solferino présenter le bouclier rural devant le laboratoire d’idées du PS. Le projet doit déboucher sur une proposition de loi défendue par le député socialiste de la Nièvre Christian Paul : « On est en train de vivre les derniers temps du maillage cantonal des services publics, estime le parlementaire. Dans la Nièvre, le signal a été donné quand nous nous sommes retrouvés avec un canton sans médecin. La question aujourd’hui, c’est de se demander ce que l’on va imaginer pour l’avenir. Il faut partir des besoins et non d’une logique budgétaire centralisée. Il ne faut pas forcément être crispé sur le canton, mais penser coproduction locale. Il faut réinventer un modèle de vie et de présence publique dans les campagnes. »


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