Résultats des élections régionales 2010 en Aveyron : un changement de siècle dont les lendemains nécessitent unité et clarté

mardi 23 mars 2010.
 

J’ai connu bien des vieux militants qui auraient été heureux de vivre quelques années de plus pour voir ça

Dimanche 21 mars au soir, dans mon canton rural marqué à droite la gauche atteignait plus de 53% à Golinhac, 52% à Entraygues après les 11,8% pour le Front de Gauche au premier tour. Je craignais un phénomène local

Lorsque Guilhem m’a téléphoné quelques pourcentages, je croyais rêver : en Aveyron la gauche engrangeait 86,73% à Viviez, 86,13% à Firmi, 83,89% à Cransac, 83,08% à Aubin, 80,61% à Decazeville, 65% à Onet

Lorsque sont tombés quelques informations sur Midi Pyrénées, j’ai compris que je ne rêvais pas : 72, 85% dans l’Ariège, 71,66% dans le Lot, 70,07% dans le Gers, 69,5% dans la Haute Garonne, 66,21% dans le Tarn, 66,18% dans le Gers et 64,75% dans le Tarn et Garonne.

En 2004, la presse employait le mot de déroute pour parler de la défaite de la droite en Midi Pyrénées et dans son bastion historique de l’Aveyron. En effet, la gauche venait d’être majoritaire dans ce dernier département avec 50,94% des voix.

Comment alors caractériser le tremblement de terre électoral qui vient de se produire sur le département avec 60,66% pour Martin Malvy. Jamais, depuis la Révolution française, la gauche n’a obtenu ici un tel résultat.

Je ne prétends pas apporter dans le texte ci-dessous une analyse complète et définitive pour expliquer ce phénomène, seulement lancer la réflexion, seulement assumer une responsabilité incontournable des militants politiques : essayer de comprendre la réalité.

Il est vrai que le contexte politique national de cette élection a été porteur.

Cependant, des raisons d’évolution sociale, d’évolution institutionnelle et de recomposition politique ont joué au moins autant.

Il est évident qu’en 1992, la gauche payait l’affaiblissement de deux de ses trois forces politiques : les radicaux et le PCF. En 2010, la recomposition des forces politiques apporte à la gauche deux souffles porteurs, celui du Front de Gauche et celui des Ecologistes, alors que la droite subit l’affaiblissement de sa composante UMP sarkozienne et la disparition des autres.

1) Comparaison des résultats du premier tour pour la gauche, de 1992 à 2010 sur 28 cantons

Belmont : de 17,7% à 57%

Bozouls : de 24,6% à 54,94%

Camarès : de 22,6% à 55,96%

Cassagnes Bégonhès : de 19,9% à 62,39%

Conques : de 18,73% à 52,79%

Cornus : de 28,4% à 52,03%

Entraygues sur Truyère : de 24,75% à 51,15%

Estaing : de 15,8% à 41,55%

La Salvetat Peyralès : de 39,29% à 58,11%

Laissac : de 20% à 48,96%

Marcillac : de 26,2% à 64,48%

Millau Est : de 33,2% à 68,71%

Mur de Barrez : de 19,3% à 44,49%

Najac : de 39,24% à 62,58%

Nant : de 28,7% à 62,77%

Naucelle : de 38,9% à 63,71%

Pont de Salars : de 19,1% à 55,64%

Réquista : de 15,5% à 58,54%

Rignac : de 37,49%à 63,24%

Rodez Nord : de 29,7% à 65,42%

Saint Affrique : de 27,8% à 67,08%

Saint Rome de Tarn : de 23,6% à 59,53%

Saint Cernin sur Rance : de 13,8% à 55,98%

Sévérac le Château : de 33,9% à 57,47%

Sainte Geneviève : de 12% à 40,59%

La progression est logiquement moins forte dans les 3 fiefs de la gauche même si elle est très significative

Aubin : de 61,14% à 84,54%

Capdenac : de 44,7% à 72,93%

Decazeville : de 51,74% à 76,27%

2) Comment expliquer une telle progression de la gauche sur ces 28 cantons

Le contexte politique conjoncturellement porteur pour la gauche a pesé sans aucun doute. Cependant, il n’explique pas toute l’ampleur du phénomène. Il ne peut expliquer des progressions de 30 à 40% dans beaucoup de cantons

Je pense que l’on peut distinguer sept phénomènes complémentaires :

2a) L’Aveyron n’est plus un petit pays, lové au coeur du Massif central, se protégeant des vents progressistes du Midi.

Ce qui se dit en chaire compte moins à présent que la radio et la télévision ; le département fait partie de Midi Pyrénées où la gauche est majoritaire ; les principaux évènements suivis par la population ne sont plus locaux mais nationaux et internationaux ; tous les cantons connaissent des renouvellements assez rapides de leur population avec en particulier des retraités venus des villes, des néo-ruraux...

2b) Plusieurs cantons ou parties de cantons sont devenus péri-urbains, en tous cas majoritairement composés de salariés

C’est le cas par exemple pour des cantons essentiellement ruraux en 1992 comme Pont de Salars, Marcillac, Bozouls, Laissac qui abritent à présent une partie significative des salariés travaillant sur le secteur de Rodez.

Toutes les communes de l’Aveyron comprennent à présent une majorité de citoyens relevant de la Sécurité Sociale, ce qui montre une évolution professionnelle où le nombre d’agriculteurs et indépendants diminue nettement. Même dans le petit commerce des chefs lieux de cantons le nombre de salariés a beaucoup progressé depuis 20 ans.

2c) Beaucoup de cantons ont connu une certaine évolution de leur composition sociale

L’électorat paysan très majoritairement clérical et conservateur a laissé une place dans les campagnes à des agriculteurs de la confédération paysanne beaucoup plus ouverts et plus enclins à voter à gauche. Des néo-ruraux venus de la ville (pour la retraite mais pas seulement) peuvent être identifiés en nombre non négligeable lorsque l’on distribue un tract. Les communes elles-mêmes ont aidé à cette évolution en rénovant des villages en voie de désertification, en créant ici et là, pour maintenir la population, de petites cités.

Cette évolution de la composition sociale se retrouve même dans les villes où le centre n’est plus un bastion conservateur comme ce fut longtemps le cas, par exemple à Rodez : les familles riches s’achètent à présent une belle maison "au vert", un petit domaine à la campagne ou en banlieue éloignée.

2d) L’implantation institutionnelle de la gauche

Depuis 18 ans, la gauche a peu à peu conquis des mairies, des postes de conseillers généraux, une députée, des sénateurs. Le cas de Saint Affrique est typique : les 40% supplémentaires de 1992 à 2010 s’expliquent en bonne partie par la puissance de la gauche dans les institutions locales et le travail qu’elle y accomplit. Ce réseau d’élus, qu’on le veuille ou non, pèse lourd dans la crédibilité des diverses forces politiques en milieu rural. Il ne fait pas de doute que cette institutionnalisation contribue aussi à une évolution notabiliaire et plus droitière du PS mais c’est là une autre question.

2e) Le Front de Gauche renforce nettement la gauche aveyronnaise

Connaissant précisément plusieurs cantons, je ne doute pas de l’écho rencontré par la campagne antisarkozyste active et concrète menée par le Front de Gauche, même si cela a plus contribué à apporter des voix au PS qu’à ses candidats au premier tour

Mathématiquement, le Front de Gauche a contribué en 2010 à la victoire de la gauche.

C’est évident dans les villes et cantons où la gauche réalise de bons résultats :

* Firmi : 18,68%

* Viviez : 16,24%

* Cransac : 16,12%

* Aubin : 15,31%

* Decazeville : 15,26%

* Boisse Penchot : 13, 65%

* Millau Est Paul Bert : 14,24%

* Millau Ouest Puits de Calès : 16,58%

C’est évident aussi en comparant les résultats du PC en 1992 (alors seule force à gauche du PS) avec ceux de 2010 dans les cantons ruraux.

J’en citerai quelques-uns :

Belmont : de 2,9% à 6,71%

Camarès : de 2,8% à 5,98%

Entraygues sur Truyère : de 1,87% à 8,21%

Marcillac : de 3,7% à 6,11%

Nant : de 3,2% à 5,81%

Peyreleau : de 5,2% à 7,54%

Saint Beauzély : de 3,9% à 6,37%

Cette progression de 1992 à 2010 se retrouve aussi dans les cantons urbains :

Rodez Est : de 2,8% à 5,32%

Rodez Ouest : de 2,9% à 6,16%

Rodez Nord : de 4,7% à 8,75%

Même à Millau, cette progression est significative :

Millau Est : de 6,7% à 8,08%

Millau Ouest : de 5,9% à 8,16%

Dans les anciens fiefs ouvriers et communistes comme le Bassin de Decazeville et Capdenac, le Front de Gauche a permis un redressement considérable par rapport aux résultats du PCF sur les 10 dernières années.

En ajoutant les voix du Nouveau Parti Anticapitaliste et de Lutte Ouvrière, on constate l’importance du vote antilibéral et anticapitaliste en 2010 par rapport à 1992.

2f) L’embellie d’Europe Ecologie renforce sans aucun doute le rapport de forces global de la gauche en multipliant les voix des écologistes de 1992 : de 5% à 12,35%

2g) L’Aveyron, comme Midi Pyrénées, comme la France, comme le Monde connaissent actuellement une phase de lente remontée de la combativité, des aspirations et de la conscience populaire.

Ayant déjà écrit plusieurs articles sur le sujet, mis en lige sur ce site, je n’ allonge pas inutilement ce texte.

3) Succès de la Gauche et perspective de République sociale

3a) Quel est l’intérêt d’un succès électoral des partis de gauche pour nous ?

* un succès électoral, surtout s’il est important, donne confiance au mouvement social pour défendre ses revendications

* un succès électoral, surtout s’il est important, donne confiance aux centaines de milliers de citoyennes et citoyens de gauche ancrés dans chaque commune, chaque lieu de travail, chaque famille

* un succès électoral, surtout s’il est important, renforce l’espoir du changement et l’attente de propositions des organisations politiques pour cela.

* un succès électoral de la gauche, surtout s’il est important, divise la droite, affaiblit l’exécutif dans ses attaques et ses projets

3b) Ceci dit, un succès électoral de la gauche institutionnelle ne représente ni une victoire politique décisive ni un évènement sans conséquences néfastes à contrecarrer

Même d’un point de vue électoral, le gros succès de la gauche lors des régionales de 2004 n’a pas été suivie par une victoire lors des élections présidentielle et législatives, bien plus importantes, qui ont suivi en 2007.

De bons résultats électoraux peuvent donner l’illusion qu’il suffirait d’attendre dans le calme, sans lutte, sans mouvement, sans grève l’élection suivante. C’est le contraire qui est vrai. Le rapport de forces social influe considérablement sur les rapports de force politiques. En tout cas, il est impensable de vouloir avancer vers un changement social sans conforter le camp des salariés et couches populaires.

De bons résultats électoraux renforcent le poids des élus au sein de la gauche et aussi l’ambition de certains qui vont plus miser sur leur propre plan de carrière que sur une perspective de réponse à l’urgence sociale et démocratique.

3c) le succès de la gauche lors de ces régionales était évidemment préférable à une défaite mais le poids de ce succès sur le long cours de l’histoire dépend de ce que nous en ferons :

* dans le renforcement du parti de gauche

* dans l’avenir de l’unité de l’Autre gauche

* dans le type de recomposition de la gauche elle-même

Jacques Serieys


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