Le capitalisme ne devrait-il pas mériter d’être qualifié de crime contre l’humanité  ? S’abstenir (électoralement), c’est résister au Jeu de la mort (point de vue)

samedi 3 avril 2010.
 

Abstention au Jeu de la mort planétaire ou nouveau pacte citoyen

Par Marie-Jean Sauret, Psychanalyste*, signataire de l’Appel des Appels. Comment construire un « vivre ensemble » respectueux de tous ?

Qui doute de l’enrôlement idéologique des télévisions  ? Mais les rendre responsables de toutes les manipulations dédouanerait le système capitaliste qui les exploite. L’abstention aux élections régionales (53 et 49 %), malgré la moyenne de trois heures de TV par jour, prouve à elle seule l’insuffisance des médias à convaincre d’aller voter (ou non). L’expérience de Milgram (1) met en évidence la capacité d’un sujet de sortir de sa passivité et de détourner sa pulsion de mort contre un autre même indifférent, jusqu’au meurtre. Rien que nous ne sachions déjà  : la manipulation médiatique, la complicité des médias avec le pouvoir, la soumission volontaire de chacun, la capacité meurtrière de l’individu lambda.

Les expérimentateurs ont pris le risque de laisser croire à des cobayes qu’ils commettaient, pour un jeu, un crime, voire un meurtre  : celui qui est passé par là n’est plus le même (à condition de le « digérer », sera-t-il plus circonspect à l’endroit de la haine qui l’habite, interdisant la « récidive »  ?). L’émission expose cette incitation au crime (au meurtre) et son consentement, et démontre la capacité des gens ordinaires à devenir des criminels  ; malgré l’intention « scientifique » de la réalisation, en quoi échappe-t-elle à l’idéologie néolibérale et à l’exploitation de son mauvais goût pour la télé-réalité  ? Ne renforce-t-on pas l’idéologie qui accompagne le discours capitaliste en la dénonçant de cette façon  ?

La soumission volontaire au système, l’absentéisme électoral pourraient être enrichis d’autres exemples. Comment en rendre compte  ? Nous n’avons pas fini de payer le contournement du « non » des Français (et d’autres) à la Constitution européenne – lequel contournement fait s’équivaloir, à la faveur de l’adoption du traité de substitution (avec la complicité d’une partie de la gauche), « non » et «  oui » dans la même inconsistance politique. Nous n’avons pas fini de payer non plus l’absence de réponse du gouvernement aux six mois de grèves universitaires ni non plus le refus de négociations dans la plupart des conflits sociaux… Un peu comme si l’État et les chefs d’entreprise savaient qu’ils n’avaient rien à donner, parce qu’ils ne font qu’appliquer une logique décidée au niveau européen… lequel ne fait que formaliser pour la faciliter la logique capitaliste.

Dès lors, pourquoi voter quand les alternatives politiques ne tranchent pas radicalement avec le système dont nous souffrons  ? Au lendemain des élections, un sondage auprès des votants qui ont dit « non » à Sarkozy ne leur fait-il pas demander la poursuite des « réformes »  ? Ne pas voter pour le système, c’est assurément refuser de contribuer à sa direction mortifère  : que l’on en juge aux milliards de victimes du capitalisme (victimes de la faim et de la soif dans le monde, du déplacement des populations, de la fermeture des frontières, de la guerre, de la surexploitation du travail, des mauvaises conditions de vie et de santé, etc.). Quoi pèse (animateur, public ou téléspectateur) sur la décision – un clic –, des patrons qui exploitent des sans-papiers, des dirigeants qui délocalisent et licencient, des actionnaires qui engrangent des profits, des investisseurs qui appauvrissent, des banques qui détournent l’investissement vers la financiarisation, des spéculateurs qui affament, du député qui vote une baisse d’allocation ou un impôt supplémentaire, du propriétaire qui augmente indûment un loyer ou loue un appartement insalubre, etc.  ? Ici, l’insonorisation garantie contre le cri des victimes. La « soumission volontaire » des témoins est flagrante (absente dans l’expérience de Milgram) tant les solidarités et les protestations demeurent sous-proportionnées  !

Le capitalisme ne devrait-il pas mériter d’être qualifié de crime contre l’humanité  ? En ce sens, s’abstenir (électoralement) de participer à cette politique, c’est résister au Jeu de la mort planétaire – et le pourcentage est meilleur que celui des résistants de la téléréalité éponyme  ! Peut-on voter « non » » quand le «  non  » vaut le « oui »  ?

Pourtant l’abstention n’est-elle pas aussi consentement à son propre écrasement et à celui de la majorité de ses concitoyens  ? Ce consentement exploite la pulsion de mort dont la civilisation ne protège plus, puisqu’elle la retourne contre soi  : sinon, pourquoi le suicide (entre autres) serait-il l’une des premières causes de mortalité dans le monde de la globalisation – devant les victimes de la guerre et des accidents de la route réunis  ?

La capacité de sujets à détourner la violence sur leur partenaire de jeu suggère une autre leçon. S’emparer de la manette inclut presque une note d’espoir  : le sujet peut agir lui-même (ici au sein de l’équation capitaliste  : une vie = tant d’argent = tant de volt = la satisfaction paradoxale de jouer) et vérifier les conséquences de son action – criminelle. Qu’un seul résiste, d’ailleurs, donne l’idée… d’un front de résistance, capable d’une autre décision.

Revendiquons la responsabilité de nos actes, au-delà du jour de l’élection. Cela implique un nouveau pacte citoyen, tel que nous trouvions à enrôler la pulsion de mort pour casser l’ancien monde et la lier à la pulsion de vie  : pour construire un « vivre ensemble » respectueux de tous. J’ai cru en voir un frémissement avec le Front de gauche – à condition que nous soyons capables de l’exempter des luttes intestines pour le pouvoir au profit d’une autorité partagée et de la restauration d’un « non » qui soit non-condition d’un « oui » à inventer. L’histoire continue.

(1) c’est l’expérience de Milgram qu’a cherché à reproduire le Jeu de la mort (lire l’Humanité du 17 mars) * Dernier ouvrage paru  : Malaise dans le capitalisme, Toulouse, P.U.M., 2009.


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