Paléontologie : du nouveau venu de l’Altaï dans la famille humaine

vendredi 2 avril 2010.
 

Quelques grammes d’os, une nano-pincée d’ADN et, à l’arrivée, une petite révolution pour la paléoanthropologie : une nouvelle espèce humaine vient sans doute d’être découverte. Et pour la première fois, une telle lignée est décrite, non pas à partir de caractères anatomiques de pièces fossiles, mais sur la foi d’analyses génétiques.

"Quand j’ai découvert les résultats du séquençage, j’ai cru à une erreur, un artefact", raconte Johannes Krause, de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste de Leipzig (Allemagne). Mais les vérifications multiples ont confirmé l’inattendu : l’ADN tiré d’une minuscule phalange d’auriculaire, trouvée dans une grotte des montagnes de l’Altaï, au sud de la Sibérie, et datée de moins de 40 000 ans, appartient bien à un individu du genre Homo. Mais, et c’est là la surprise, d’une lignée différente de sapiens et neanderthalensis.

Ce qui signifie qu’à une époque où deux espèces d’hommes - notre ancêtre direct Cro-Magnon et Néandertal - cohabitaient, un proche cousin subsistait lui aussi en Eurasie. De quoi compliquer le tableau de famille, et l’histoire des migrations depuis le berceau africain de l’humanité. D’autant que plus près de nous encore, l’homme de Florès, découvert en Indonésie en 2003, vieux de 13 000 ans seulement, constitue pour certains une quatrième espèce humaine. Nous sommes les seuls survivants de ce rameau particulier des homininés.

"Cette créature était restée sous nos écrans-radars", indique Svante Pääbo, directeur du département de génétique évolutionniste de l’Institut de Leipzig, qui a dirigé les travaux publiés dans la revue Nature du 25 mars. Ce qui a permis de débusquer le nouveau venu, ce sont les formidables progrès réalisés ces dernières années dans l’étude de l’ADN fossile, dans lesquels l’institut allemand a joué un rôle moteur. Longtemps, les résultats étaient entachés de suspicion, car il était difficile de se prémunir contre des contaminations des échantillons par de l’ADN des expérimentateurs eux-mêmes.

Désormais, les chercheurs disposent d’outils pour distinguer sans conteste l’ADN ancien, souvent plus dégradé. En l’occurrence, l’ADN analysé est dit mitochondrial (ADNmt), c’est-à-dire qu’il provient du génome de minuscules usines biologiques, les mitochondries, qui fournissent l’énergie aux cellules.

Contrairement à l’ADN tiré du noyau cellulaire, cet ADNmt est d’origine strictement maternelle. Il n’offre qu’une vue parcellaire, car il exclut tout apport génétique masculin. Mais son intérêt réside dans sa capacité à enregistrer de nombreuses mutations au fil du temps, ce qui permet d’établir des distances génétiques entre spécimens, que l’on peut traduire en grandeurs temporelles, grâce à cette horloge moléculaire.

En comparant l’ADN de l’inconnu de l’Altaï à celui de 54 hommes modernes et de six néandertaliens, l’équipe de Svante Pääbo a constaté que les différences étaient deux fois plus nombreuses entre le nouvel homininé et nous que celles qui nous séparent de Néandertal. Ce qui signifie que si Homo sapiens et Homo neanderthalensis ont divergé il y a 466 000 ans environ, il faut remonter à plus d’un million d’années pour retrouver l’ancêtre commun à l’homme de l’Altaï, Néandertal et l’homme moderne.

Qui pouvait être cet aïeul commun ? Difficile à dire. Les chercheurs préfèrent pour l’instant s’abstenir de toutes conclusions hâtives. "Nous nous gardons même d’employer le terme d’espèce pour désigner ce nouvel homininé, indique Svante Pääbo. Il faudra encore préciser les choses grâce à l’analyse de l’ADN nucléaire, qui est en cours et pourrait aboutir d’ici plusieurs mois." Les chercheurs sont plus diserts sur les implications migratoires de leur découverte. Jusqu’alors, on comptait en effet trois sorties d’Afrique bien identifiées. D’abord celle d’Homo erectus, il y a environ 1,9 million d’années. Puis celle de l’ancêtre de Néandertal, il y a un demi-million d’années. Enfin la sortie d’Homo sapiens, il y a 50 000 ans. L’irruption de l’individu de la grotte de Denisova suggère un épisode inédit d’"Out of Africa".

La génétique pourrait ménager d’autres surprises sur ce terrain, "car nous avons de grands trous dans notre documentation, surtout en Asie", commente le paléoanthropologue Pascal Picq (Collège de France). Il se réjouit de l’avènement, avec la paléontologie moléculaire, d’une "source d’information supplémentaire dans une discipline d’occurrence rare". De nouvelles analyses d’ADN pourraient préciser dans les prochaines années des liens de parenté - tout au moins pour les fossiles des régions septentrionales, où cet ADN a plus de chances de s’être conservé.

Reste que la génétique ne peut pas tout. Paléontologues et archéologues ont encore leur mot à dire. A savoir qu’il y a 40 000 ans, la grotte de Denisova offrait un abri bienvenu face au rude climat de la steppe alentour. Cette caverne a été occupée par intermittence depuis 125 000 ans. Dans les niveaux où a été retrouvée la précieuse phalange, des bracelets ont aussi été découverts.

Mais pour Jean-Jacques Hublin, directeur du département d’évolution humaine à l’Institut Max-Planck de Leipzig, l’idée qu’une nouvelle espèce "ait pu inventer cette culture du paléolithique supérieur, toute seule dans son coin de Sibérie, est assez extravagante". Faut-il donc imaginer des contacts, une acculturation avec d’autres humains contemporains ? Ou bien faire l’hypothèse que le sol de la grotte a été remanié, et que la phalange s’est retrouvée dans des niveaux plus récents que ceux d’origine ? L’os ne répondra pas : il est trop petit pour permettre une datation directe. Il appartenait à un enfant de 6 ans environ. Probablement une fillette, puisque les chercheurs de Leipzig l’ont baptisée "X woman", dévoilant les premiers fruits de l’analyse de l’ADN nucléaire, prometteuse...

Hervé Morin


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