23 février 1950 : les Affaires Raymonde Dien et Henri Martin

vendredi 24 février 2023.
 

« Henri Martin, Raymonde Dien (bis)

N’ veulent pas qu’on tue les Vietnamiens (bis)

Ils aiment tant la paix

Qu’aux juges ils sont suspects »

Il arrive encore que des femmes et des hommes, disons d’un certain âge, anciens (ou toujours actuels) militants, entonnent ce refrain lorsqu’on évoque devant eux la lutte contre la guerre d’Indochine. Longtemps, ces noms de très jeunes gens (elle : 21 ans, lui : 22 ans), arrêtés en février et mars 1950, ont été mêlés, comme symboles – un gars, une fille – de l’hostilité de la jeunesse française à la « sale guerre ».

Aujourd’hui encore, beaucoup s’en souviennent. Comme quoi la mémoire anticolonialiste a la vie dure. Quant à ceux qui n’ont pas connu ces années, il n’est jamais inutile de leur rappeler ce que furent, alors, les luttes.

Raymonde Dien, jeune militante communiste d’Indre-et-Loire, est la première arrêtée. Le 23 février 1950, elle s’est couchée sur les rails, juste devant un train chargé d’armes et de munitions à destination de l’Indochine, en gare de Saint-Pierre-des-Corps. Elle est interpelée le jour même et incarcérée à Tours, puis à Bordeaux et accusée de « complicité de détérioration de matériel susceptible d’être employé pour la Défense nationale » (la défense nationale, c’est bien connu, était alors à 12 000 km de la métropole). Elle est défendue par Me Jacquier-Cachin, la fille du directeur de L’Humanité. Finalement, Raymonde Dien, reconnue coupable, mais bénéficiant de circonstances atténuantes (!), est condamnée, le 1er juin, à un an de prison ferme. A la veille de Noël, elle bénéficiera finalement d’une libération (légèrement) anticipée.

Il n’empêche. Pour une action contre la guerre du Vietnam, une très jeune fille, une militante de la paix, venait de passer dix mois en prison.

Le cas Henri Martin était différent. En 1945, lorsque le territoire métropolitain est à peine libéré, Henri Martin, jeune communiste dès 16 ans, maquisard FTP à 17, s’engage dans la Marine. Appelé en Indochine, il est persuadé qu’il va affronter l’armée japonaise, alliée des nazis. Mais, lorsqu’il arrive sur place, les Japonais sont déjà désarmés, et il est témoin, à son corps défendant, des premiers combats contre le Viet Minh. C’est à ce moment seulement qu’il entend parler, pour la première fois, d’un certain Ho Chi Minh et de l’indépendance, nouvellement proclamée, du Vietnam. De retour en France, il est affecté à l’Arsenal de Toulon. Pour lui, il reste, sous l’uniforme, un citoyen. Il commence donc un travail d’intense propagande au sein de l’armée : distributions de tracts, de la presse anti-guerre, inscriptions à la peinture etc. Ce qui devait arriver arrive : Henri est arrêté par la Gendarmerie militaire le 14 mars 1950. En plus des motifs classiques, atteinte au moral de la nation, agitation politique illégale au sein de bâtiments militaires, l’accusation veut lui mettre sur le dos un acte de sabotage. Lors du procès, l’édifice s’écroulera, et Henri sera définitivement lavé de cette indignité par le Jury, pourtant militaire. Restera, donc, un procès politique, et seulement politique.

Henri Martin, militant antifasciste et anticolonialiste

Pour cette seule activité – certes interdite –, le jeune marin va être condamné à cinq années de prison ! Il en fera finalement plus de trois, avant d’être gracié (de mauvaise… grâce) par le président Auriol, en août 1953.

Les affaires Raymonde Dien et Henri Martin vont permettre à la propagande anti-guerre de prendre une dimension nouvelle. Les deux emprisonnés avaient des profils comparables : jeunes, déterminés, ils avaient su tenir tête à leurs juges, transformer leurs procès en actes politiques, retourner la situation, devenir eux-mêmes procureurs des crimes que commettait alors la IVe République au nom de la France.

Surtout, le PCF et des organisations qui luttaient à ses côtés, l’UJRF (ancêtre des Jeunesses communistes), la CGT, l’Union des Femmes françaises, le Secours populaire, menèrent une campagne intense, d’une variété et d’une amplitude exceptionnelles. Un temps, la France entière parla des deux jeunes gens : meetings, prises de parole, lâchers de tracts, inscriptions à la peinture dans les lieux les plus invraisemblables, représentations de théâtre militant… En cette période de guerre froide, synonyme de clivages politiques forts entre le PCF et la quasi totalité des autres forces politiques, la campagne pour Raymonde Dien et Henri Martin fut par ailleurs un des rares moments où les communistes brisèrent leur isolement. Jean-Paul Sartre, le premier, s’engagea fortement pour la libération d’Henri Martin, entraînant derrière lui l’équipe des Temps Modernes, mais aussi Michel Leiris, Hervé Bazin, Vercors, Prévert (son célèbre poème « Entendez-vous, gens du Vietnam » lui est dédié)… L’équipe d’Esprit, avec Jean-Marie Domenach, mena également campagne. Des milliers de militants socialistes, voire MRP, des élus non communistes s’engagèrent.

Et la guerre d’Indochine ? Elle était omniprésente dans les thèmes mis en avant. Les accusés eux-mêmes, tout au long des procès, ne parleront que de cela. La presse d’opposition, s’appuyant sur la popularité grandissante des prisonniers, dénonça crescendo la « sale guerre », menée contre la liberté et l’indépendance d’un peuple – en cela, cette campagne reste un moment fort de l’histoire de l’anticolonialisme français – mais aussi contre les intérêts de la nation française, au seul bénéfice de la stratégie américaine de refoulement du communisme.

Trois ans et demi après la libération de Raymonde Dien, dix mois après celle d’Henri Martin, l’armée française subissait en Indochine, à Dien Bien Phu, son plus cruel revers (7 mai 1954). Puis, ce furent les accords de Genève (20 juillet).

Qui avait raison, des va-t’en guerre (avec le sang des autres) ou des militants emprisonnés ?

Alain Ruscio


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