La justice ouvre une enquête sur les suicides à France Télécom (7 articles)

dimanche 18 avril 2010.
 

1) Réquisitoire introductif contre France Télécom

2) France Télécom, enquête préliminaire pour harcèlement moral Communiqué du syndicat Solidaires SUD PTT

3) Extraits du rapport de l’Inspection du Travail sur les suicides à France Télécom

4) France Télécom, l’étape judiciaire par PAR PIERRE MORVILLE, DÉLÉGUÉ SYNDICAL CENTRAL CGC-UNSA France Télécom

5) Enquête ouverte sur les suicides à France Telecom (article La Dépêche du Midi)

6) Entretien avec Maître Jean-Paul Teissonnière, avocat du syndicat SUD, qui a déposé plainte

7) La justice s’empare des suicides à France Télécom Article de L’Humanité

1) Réquisitoire introductif contre France Télécom

Le parquet de Paris engage un réquisitoire introductif. Il va donc nommer un juge d’instruction pour la plainte au pénal de la fédération SUD contre la direction de France Télécom. Cette plainte, déposée le 14 décembre 2009, mettait en cause le rôle pathogène des organisations du travail et des formes de management à France Télécom-Orange.

Elle s’inscrit en complément du procès-verbal transmis au parquet par l’inspection du travail de Paris pour «  mise en danger de la vie d’autrui  » et «  harcèlement moral  » visant France Télécom en tant que personne morale ainsi que trois de ses dirigeants : l’ancien Pdg Didier Lombard, l‘ancien directeur exécutif Louis-Pierre Wenes, et le Drh Olivier Barberot.

Au nom des exigences de rentabilité financière et au mépris des nombreuses alertes faites les syndicats, les instances représentatives du personnel, les élu-e-s, les médecins du travail, sur les risques psychosociaux dans l’entreprise, la direction de ce groupe industriel du CAC 40 a gravement mis en danger la vie de ses salarié-es. Cette politique a pro- duit son lot d’états dépressifs, de tentatives de suicides, et de suicides, avec une situation de crise particulièrement mise sous le feu médiatique pendant l’été 2009.

Cette décision du parquet de Paris d’ouvrir une instruction judiciaire constitue une première avancée vers un procès qui alimentera le débat public. Pour la fédération SUD, il faut que la responsabilité pénale des employeurs soit clairement engagée en ce qui concerne les risques psycho-sociaux et « la délinquance » des organisations du travail pathogènes.

A France Télécom, à Renault, à Pôle Emploi ou ailleurs, tous les salarié-es doivent pouvoir bénéficier de protections contre les risques psychosociaux ! Il faut que les organisations et conditions de travail, formes de management qui ont produit de tels dégâts puissent être remises en cause.

Source : http://www.sudptt.org/article.php3?...

2) France Télécom, enquête préliminaire pour harcèlement moral Communiqué du syndicat Solidaires SUD PTT

Une nouvelle étape dans le combat contre les nouvelles organisations du travail

Dans le cadre de la plainte déposée par la fédération SUD PTT contre la direction de France Télécom, le parquet de Paris engage un réquisitoire introductif. Il va donc nommer un juge d’instruction pour cette plainte au pénal déposée le 14 décembre 2009, qui mettait en cause le rôle pathogène des organisations du travail et des formes de management à France Télécom-Orange. Pour l’Union syndicale Solidaires cette nouvelle constitue une étape positive dans le combat engagé par la fédération SUD PTT depuis de nombreuses années.

Cette procédure concerne au premier chef France Télécom, mais elle déborde très largement ce cadre car les questions de souffrance au travail, de suicides des salariés sont présentes dans toutes les entreprises petites ou grandes, privées ou publiques. Pour l’Union syndicale Solidaires, elles trouvent très clairement leur origine dans les méthodes de management et les nouvelles organisations du travail mise en place depuis une vingtaine d’année.

Le combat qui se joue est de regagner du terrain sur la bataille idéologique avec le libéralisme financier qui veut adapter l’homme au travail et qui use des bassins d’emploi dans une forme de culture extensive pour les abandonner une fois épuisés. Dans ce cadre, la plainte déposée par la fédération Sud PTT et acceptée par le parquet permet de pointer les responsabilités : à l’origine de la souffrance au travail il n’y a pas de causes individuelles mais une organisation du travail pensée, conçue rationnellement, et générant une dégradation constante des conditions de travail des salariés et leur fragilisation. Nul ne s’y trompe et surtout pas les nombreux salariés qui les subissent chaque jour.

L’union syndicale Solidaires suivra avec attention les suites réservées à cette enquête préliminaire et poursuivra, avec toutes les forces syndicales, associatives, avec tous les acteurs de la santé au travail qui le souhaitent, ses efforts pour remettre les questions du travail au coeur de l’action et de l’activité syndicale au même titre que les questions des salaires, de l’emploi et de service public. La santé au travail cela ne se négocie pas !

3) Extraits du rapport de l’Inspection du Travail sur les suicides à France Télécom

* « Mise en danger d’autrui du fait de la mise en œuvre d’organisations du travail de nature à porter des atteintes graves à la santé des travailleurs »

* « Méthodes de gestion caractérisant le harcèlement moral »

Selon ce rapport, la justice ne doit pas seulement s’intéresser à la responsabilité pénale des personnes morales, France Télécom et sa filiale Orange, mais aussi à celle de ces trois dirigeants :

* Didier Lombard, ex-PDG, désormais président

* Louis-Pierre Wenes, ancien directeur délégué et bras droit de Didier Lombard, débarqué en mars,

* Olivier Barberot, toujours DRH du groupe.

« Les atteintes à la santé mentale, l’absence de prise en compte des risques psychosociaux liés aux réorganisations sont le résultat d’une politique mise en œuvre sur tout le territoire national au cours de la période 2006-2009.

La responsabilité de cette politique et de ses effets n’incombe pas à chaque directeur d’unité France Télécom qui n’ont fait qu’appliquer des décisions et des méthodes prises au plus haut niveau du groupe. Elle incombe aux personnes physiques précitées. »

Le stress des salariés et la vague de suicides sont directement liées à la stratégie établie au siège parisien du groupe, accuse le rapport de l’inspection du travail. Une stratégie fixée en 2005 par le plan « Next », visant à augmenter la "productivité" de 15% en trois ans, avec des objectifs chiffrés : supprimer 22 000 emplois, faire changer de métier 10 000 salariés, et embaucher 8 000 personnes. Au final, les effectifs de France Télécom sont passés de 161 700 à 103 000 personnes entre 1996 à 2009.

Dès le début, la direction de France Télécom était consciente des risques. Le sujet avait été abordée lors de la formation des 4 000 cadres chargées d’appliquer la nouvelle stratégie. Le rapport explique :

« Les résistances et les moyens de les faire céder sont développés, ses effets sur la santé mentale des travailleurs y sont également abordés. Ainsi un schéma illustre le positionnement du salarié lors du processus de mise en mouvement et les phases appelées “phases du deuil”.

Parmi ces phases, une phase est identifiée comme étant la phase de décompression qui se caractérise par la tristesse, l’absence de ressort, le désespoir, la déprression (…). Les atteintes à la santé mentale due à la politique mise en œuvre par l’entreprise sont donc déjà identifiées. »

4) France Télécom, l’étape judiciaire

PAR PIERRE MORVILLE, DÉLÉGUÉ SYNDICAL CENTRAL CGC-UNSA DU GROUPE FRANCE TÉLÉCOM-ORANGE (FTO), PORTE-PAROLE DE L’OBSERVATOIRE DU STRESS ET DES MOBILITÉS FORCÉES.

L’ouverture d’une instruction judiciaire pour « harcèlement moral » et visant explicitement les pratiques de gestion sociale en cours dans le groupe France Télécom-Orange apparaît à tous les spécialistes comme une « première ». Si les charges sont confi rmées par le juge d’instruction, l’initiative constituera une novation importante en matière de doctrine juridique et sociale. Elle formaliserait un lien éventuellement pénal entre des choix managériaux contestables et leurs conséquences individuelles sur les personnels. Ce serait un rappel fort, suivant le Code du travail, de la responsabilité juridique des dirigeants sur la santé et sur les bonnes conditions de travail de leurs employés.

La crise sociale sans précédent qui secoue notre entreprise n’est que l’une des formes dramatiques d’un malaise général que l’on retrouve dans un grand nombre d’entreprises. Depuis la fi n des années 1980, se sont répandus dans les directions d’entreprise des diktats managériaux qui procèdent d’un pur discours idéologique dans un monde globalisé, fi nanciarisé et hyperlibéral, et où les salariés sont comptabilisés avant tout comme une charge fi nancière.

Résultat, 30 000 emplois à FTO ont été supprimés, dans les quatre dernières années, sans aucune mesure conventionnelle, ni plan social d’accompagnement ! Cette pression incessante à la démission a plongé des dizaines de milliers de salariés dans l’isolement, favorisant le doute quant à leurs propres compétences, voire leur utilité sociale, débouchant sur un grand désarroi dans le personnel. La crise a abouti, à la rentrée 2009, essentiellement sur pression des pouvoirs publics, à des changements de têtes et à l’ouverture d’une négociation sociale d’ampleur. Depuis octobre, syndicats et direction débattent chaque semaine dans plus de huit chantiers de négociations qui, de l’emploi aux conditions de travail, en passant par la rémunération et les principes mêmes de l’organisation du travail, ont l’objectif de refonder un nouveau « contrat social ». Stéphane Richard, le nouveau patron de France Télécom, s’y est engagé. Les premières et fortes mesures qu’il a prises, comme la fi n des mobilités forcées et des fermetures de sites, vont dans le bon sens. Bien sûr, c’est au regard des transformations concrètes de la vie de l’entreprise que notre syndicat portera son jugement défi nitif.

Dans l’attente, les personnels, notamment devant le pic suicidaire du début de l’année 2010 (11 décès en treize semaines), restent sceptiques et méfi ants. Le malaise n’est pas encore dissipé, la confi ance manque. D’autant qu’une partie du « top management » n’a toujours pas pris conscience de la gravité de la crise, ni de l’urgence de réformes radicales.

Certes, dans cette grande entreprise, la modifi cation en profondeur de mauvaises pratiques, l’apprentissage d’un dialogue social ambitieux, loyal et décentralisé, prendront du temps. Mais le changement se manifeste aussi par des actes forts.

Dans la procédure qui va s’ouvrir, trois principaux dirigeants de l’ancienne équipe de direction sont cités. Ils seront certainement auditionnés. Pourtant, ils sont toujours aux affaires et à des postes clés. Est-ce raisonnable ? On est également interloqué par les déclarations de Me Claudia Chemarin, l’avocate du groupe, qui affi rmait en fi n de semaine, sur la très délicate question des suicides reconnus ou non comme accidents du travail, que la direction entendait se battre pied à pied sur chaque cas, si nécessaire pendant des années ! Bref, on a la promesse, pour les proches des collègues qui se sont suicidés, d’années de comptabilité funeste et d’arguties macabres ! L’indécence affi chée de ce système de défense justifi e à elle seule l’ouverture d’une instruction dans laquelle notre syndicat a pris la décision de se porter partie civile

5) Enquête ouverte sur les suicides à France Telecom (article La Dépêche du Midi)

Dans la tragédie quotidienne vécue par les salariés de France Telecom, l’annonce de l’ouverture d’une information judiciaire contre X pour « harcèlement moral », faite hier par le parquet de Paris, laisse présager une lueur d’espoir dans une politique de management incriminée par les syndicats qui prévoit un plan de 22000 suppressions de postes. Jamais, une entreprise aussi importante - le groupe a réalisé 3,47 milliards d’euros de bénéfices et distribué 3,65 milliards de dividendes en 2009 - n’a été autant endeuillée. En deux ans, entre 2008 et 2009, syndicats et direction ont comptabilisé 35 suicides, 11 depuis le mois de janvier. Comment un salarié normalement constitué peut-il en arriver à se donner la mort sur son lieu de travail, parfois devant ses collègues de bureau ? Enfin, la justice s’empare de cette catastrophe sociale.

La direction de France Telecom campe sur une position presque indécente. « Contrairement à ce qui a été dit jusqu’à présent, il n’y a pas de politique de harcèlement qui pourrait générer des suicides », insiste Me Claudia Chemarin, avocate du groupe. Ce que conteste la plainte du syndicat Sud-PTT qui fait suite à un rapport accablant de l’inspection du travail. « On est face à une organisation du travail toxique, mise en place volontairement par la direction de France Telecom pour créer des frustrations chez les salariés afin qu’ils partent », dénonce Me Jean-Paul Teissonnière, dépositaire de la plainte pour Sud-PTT et joint hier par téléphone. Selon lui, ces 35 suicides ne sont « que la partie immergée de l’iceberg qui cache des milliers de dépressions chez les salariés ».

Source : http://www.ladepeche.fr/article/201...

6) Entretien avec Maître Jean-Paul Teissonnière, avocat du syndicat SUD, qui a déposé plainte

En quoi est-ce important de faire remonter les cas de suicides intervenus chez France Télécom jusqu’au pénal  ?

Me Jean-Paul Teissonnière. Jusqu’à présent les cas de suicides ont été traités sur le plan civil, avec la reconnaissance par exemple de la faute inexcusable de l’employeur. Ils n’ont, en revanche, jamais été traités sur le plan pénal. L’ouverture d’une information judiciaire constitue donc une première, une étape nouvelle dans la reconnaissance des troubles psychosociaux.

Qu’est-ce qui a convaincu le parquet de Paris d’ouvrir une enquête  ?

Me Jean-Paul Teissonnière. Le rapport de l’inspection du travail a relevé en des termes sévères en quoi la direction de France Télécom a mis en place une machine infernale dans le but de se débarrasser de salariés dont le statut de fonctionnaires empêchait un licenciement classique. Comme les départs volontaires n’ont pas suffi, la direction a décidé de franchir une étape, d’organiser la frustration pour que les salariés aient envie de partir. Les cas de dépression nerveuse se sont multipliés dans des proportions considérables. Les suicides en sont la pointe émergée.

Êtes-vous dans l’état d’esprit de parvenir à créer un précédent ?

Me Jean-Paul Teissonnière. Oui, car dans le cas de France Télécom, ou de Renault, la mise en place de conditions de travail profondément pathogènes est volontaire. Les conséquences en ont été dramatiques. Ce sont des infractions au code du travail et au code pénal.

Avez-vous conscience que vous soulevez un problème qui se passe dans beaucoup d’autres entreprises ?

Me Jean-Paul Teissonière. C’est quand même très impressionnant chez France Télécom. Mais il est vrai qu’une idéologie managériale, basée sur la recherche de profits à court terme dans les entreprises, a amené des conditions de travail pathogènes et généré des risques professionnels d’un nouveau genre. Il faut maintenant identifier les dégâts, les qualifier sur le plan pénal et les sanctionner pour se mettre dans la situation que cela ne recommence pas.

Entretien réalisé par Paule Masson

7) La justice s’empare des suicides à France Télécom Article de L’Humanité

Le parquet de Paris a ouvert, jeudi, une information judiciaire pour harcèlement moral, suite à la série de suicides de salariés de l’opérateur téléphonique, déstabilisés par le plan de suppression de 22 000 postes.

Après avoir forcé les portes de l’entreprise pour émerger sur la place publique, la question des suicides à France Télécom, et de l’organisation du travail qui en est à l’origine, arrive sur le terrain judiciaire. Jeudi, le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire contre X pour « harcèlement moral » et « insuffisance du document d’évaluation des risques dans l’entreprise », suite à la plainte déposée en décembre par le syndicat SUD-PTT, et au rapport remis en février par l’inspectrice du travail Sylvie Catala, portant sur la politique managériale de l’ex-opérateur public.

« Mise en danger d’autrui »

Le parquet n’a toutefois suivi qu’une partie de l’analyse de la fonctionnaire, qui, outre le harcèlement moral, signalait à la justice une « mise en danger d’autrui du fait de la mise en œuvre d’organisations du travail de nature à porter des atteintes graves à la santé des travailleurs », qualification non retenue par le parquet. Dans son texte de 82 pages portant sur quatorze cas de suicides, l’inspectrice explique que ces événements ne doivent rien à la fatalité, mais découlent d’une « politique mise en œuvre sur tout le territoire national au cours de la période 2006-2009 ». Dès 2005, en effet, la direction du groupe décide avec son plan Next de faire changer 10 000 agents de métier, et de supprimer 22 000 postes, en trois ans. Mais comme les effectifs sont constitués en majorité de fonctionnaires qu’elle ne peut licencier, elle choisit d’utiliser la pression, le managament par le stress, les mobilités forcées, pour inciter les agents à partir de manière « volontaire ».

Le rapport montre que la direction est parfaitement consciente des risques que ces méthodes font peser sur la santé des salariés, puisque des formations dispensées aux cadres exposent les dépressions pouvant découler de la « phase de deuil » vécue par les salariés subissant la restructuration. Par la suite, les nombreuses alertes des délégués syndicaux, des CHSCT, des CRAM, des médecins et inspecteurs du travail, ont été ignorés par la direction, souligne le rapport, qui met en cause les trois dirigeants du groupe de l’époque  : Didier Lombard (ex-PDG remplacé par Stéphane Richard), Louis-Pierre Wenes, ex-directeur général délégué, et Olivier Barberot, directeur des ressources humaines du groupe.

« Harcèlement moral »

L’enquête sera confiée à un juge d’instruction du pôle de santé publique de Paris, où pourraient également être centralisées sept ou huit autres enquêtes préliminaires en cours en France, sur des cas individuels de salariés faisant état de « harcèlement moral » par France Télécom. À Besançon par exemple, une information judiciaire pour « homicide involontaire » a été ouverte en mars sur le cas d’un salarié de vingt-huit ans qui s’est suicidé en août dernier. « Des suicides ont déjà été reconnus comme liés au travail, des fautes inexcusables de l’employeur ont déjà été reconnues après des suicides, mais c’est la première fois qu’une plainte en nom collectif portant sur l’organisation du travail arrive au pénal », se félicitait hier Jean-Michel Bénichou, du syndicat SUD-PTT, tandis que le syndicat CFE-CGC-UNSA de France Télécom annonçait qu’il se constituait partie civile.

La direction de France Télécom a répliqué, façon fier-à-bras  : « Le groupe n’a pas de politique de harcèlement qui pourrait générer des suicides » et « n’a rien à redouter dès l’ouverture d’une information judiciaire contre X pour harcèlement moral », a déclaré son avocate Me Claudia Chemarin.

Fanny Doumayrou


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